13 novembre 2014

Des colts, des bottes... et des baffes

En 1964, le succès international de Pour une poignée de dollars ouvre une brèche dans laquelle l'industrie cinématographique italienne va s'engouffrer avec gourmandise. En exacerbant la violence du western américain et l'épure des films de samouraïs japonais, en faisant d'acteurs hollywoodiens en quête d'un second souffle ses têtes d'affiche, et en injectant une dose de musique pop à des thèmes classiques, Sergio Leone impose les codes d'un nouveau genre, qui finira par influencer en retour le cinéma américain. Et l'Homme sans nom incarné par Clint Eastwood est vite rejoint par une cohorte de Django, Ringo, Sabata et autres antihéros apathiques, bons bien qu'un peu brutes. Petit passage en revue chronologique, évidemment aussi incomplet qu'arbitraire...




Texas addio (Texas, adios), Fernando Baldi, 1966
Un western spaghetti qui répond aux contraintes du genre mais qui peine à trouver sa cohérence, proposant des situations qui ne débouchent sur pas grand chose, sans trop faire d'effort pour que le spectateur y croie. Franco Nero est totalement transparent dans le rôle d'un sheriff qui décide un beau jour d'aller venger la mort de son père, celui-ci ayant été abattu une bonne quinzaine d'années auparavant par un bandit devenu depuis riche propriétaire au Mexique. La caractérisation de ce bandit n'est pas inintéressante, avec la révélation d'un secret qui complexifie un peu les rapports familiaux du héros. 

Mais à côté de ça, trop de personnages apparaissent comme des caricatures, dont le soudain basculement du sadisme à la générosité apparaît bien improbable. Les bastons au corps à corps veulent en faire trop et sont un peu trop appliquées, tandis que la virtuosité au colt de Nero prête plutôt à sourire. La fin parviendrait presque à sauver la mise, échappant au traditionnel réglement de compte fatal. On retiendra davantage la photographie soignée d'Enzo Barboni (futur réalisateur des premiers Trinitaet la très chouette musique d'Anton Garcia Abril, et sa mémorable chanson générique, Texas goodbye. 




Si sei vivo spara (Tire encore si tu peux), Giulio Questi, 1967
Un film qu'on qualifiera de baroque tant il est bourré de trouvailles insolites. Ces ingrédients  en font un spectacle souvent fascinant. Ça démarre sur un Thomas Milian — à l'interprétation constamment géniale — qui surgit de terre tel un zombie. Recueilli par deux Indiens (aux traits tout ce qu'il y a d'italiens) il part en quête de l'or qu'on lui a volé et de ses assassins, et débarque dans une ville peuplée d'habitants tous plus pourris les uns que les autres, dont on apprend vite qu'ils ont déjà lynché les types qu'il était venu trouver ! On y croisera entre autres une bande de cowboys homosexuels mangeurs de fruits, tous vêtus du même intimidant costume noir. 

Incontestablement inspiré, Questi se permet d'étonnantes audaces gores qui feraient presque basculer le film dans le bis : les villageois plongent les mains à même les plaies d'un bandit pour en extirper les balles en or qui l'ont tué. Plus loin, on a droit à une scène de scalp en gros plan. Au milieu de ce monde étrange, décalé, on finit par ne plus trop savoir ce que souhaite encore notre héros mort-vivant, qui semble parfois suivre un peu les traces de l'Étranger de Pour une poignée de dollars, passant d'un camp à l'autre et poussant les gens à s'entretuer. Ici pas de duel final, mais la mort particulièrement atroce d'un des bad guys.




Corri, uomo, corri (Saludos hombre), Sergio Sollima, 1968 
Grand film d'aventures picaresques, fortement teinté d'aspirations révolutionnaires, comme souvent chez ce réalisateur. On y retrouve l'attachant personnage de Cuchillo, créé deux ans plus tôt par Milian et Sollima dans Colorado (The Big gundown), autre western qui ne se prenait pas trop au sérieux, offrant sont lot de vrais moments de virtuosité génialement soutenus par la musique de Morricone. On passe ici à la vitesse supérieure, avec un scénario encore plus réussi, des péripéties qui s'enchaînent avec bonheur et drôlerie, et on se régale de retrouver un Lee Van Cleef parfaitement employé. Formidable contributeur à la formule du buddy movie, Sollima aime bien exploiter les jeux d'opposition au sein d'un duo

Le réalisateur emballe le tout par une mise en scène pleine de maîtrise, sachant véritablement créer ses ambiances (superbe séquence de la ville désertée la nuit). C'est plein d'idées, et le portrait qui est fait de ces héros idéalistes appartenant à une époque déjà révolue achève de rendre le film étonnamment touchant. Du bonheur.




I Giorni dell'ira (Le Dernier jour de la colère), Tonino Valerii, 1968
Une autre pépite. Le film est dominé par la figure de Lee Van Cleef, mystérieux tueur virtuose qui, patriarche malgré lui, va prendre sous son aile Giulianno Gemma, excellent en orphelin crotté, humilié par toute la population soi-disant honnête et bienpensante d'une petite ville de l'Ouest. Le jeune homme va apprendre au côté du maître, s'endurcir et devenir un vrai Dieu du colt. C'est ainsi qu'il va à son tour terroriser ceux qui autrefois lui crachaient dessus. 

La progression du récit est ainsi pleine de malice et surtout mise en scène avec beaucoup de brio par un Valerii qui confirme ici — si on devait en douter — que son talent n'est pas que celui d'un film (Mon nom est personne pour ne pas le citer, les deux titres présentant d'ailleurs plusieurs similitudes, notamment tout ce discours sur les vieilles gloires du Far West). Les personnages sont nombreux, tantôt odieux, tantôt très attachants, et les quelques gunfights superbement troussés. Le final où Gemma met en pratique une à une les leçons de son maître est carrément jubilatoire. Un régal.

  


Lo chiamavano Trinità (On l'appelle Trinita), Enzo Barboni, 1970
Vers la fin des 60's, décennie assurément dorée, un tandem émerge, renouvellant quelque peu une formule éprouvée en y injectant une bonne dose de bouffonnerie. Le joli Terence Hill et le grognon Bud Spencer (de leur vrais noms Mario Girotti et Carlo Pedersoli) vont alors imposer un nouveau style de western, entre comédie et parodie, dans toute une série de films plébiscités par le public. On n'est plus dans le récit d'aventures picaresques tel qu'illustré par Leone ou Sollima, mais dans le gag limite puéril. C'est l'époque plus ou moins glorieuse des Trinita, Plata, Providenza, Etcaetera... que j'associe pour ma part aux beaux jours de La 5. 

Terence Hill est donc Trinita et c'est à peine si on peut qualifier de cowboy son personnage loqueteux qui ne se départit jamais de sa bonne humeur. Son entrée en scène le rend d'emblée sympathique, affalé sur un brancard que traîne son cheval. Sa virtuosité presque surnaturelle aux pistolets participe évidemment de son indécrottable assurance qui donne tout son sel à ses confrontations avec ses ennemis. Face à lui, Bud Spencer est Bambino, demi-frère qui se fait passer pour un sheriff dans une ville paumée. En attendant d'être rejoint par sa bande pour aller braquer des banques un peu plus à l'Est, il est contraint de rendre la justice. L'arrivée de son frère qu'il déteste va l'encombrer. Voilà pour la dynamique du film. 

Le western se tient plutôt bien, avec comme enjeu principal une communauté de Mormons installés dans une plaine et que cherche à virer un grand propriétaire interprété par Farley Granger. Des pillards mexicains se joignent à l'aventure. Ce n'est pas encore la grosse comédie bouffonne qui caractérisera plus tard les deux lascars. L'humour est plutôt fin et tout à fait proche de ce qu'on pouvait trouver dans certains westerns ricains. L'ambiance est décontractée, à l'image du personnage de Trinita, pas particulièrement futé (c'est vraiment Bambino le cerveau) mais qui ne se décontenance jamais. Le film pose quand même les bases du genre avec des séquences de bourre-pif bien marrantes, des méchants ridiculisés et un final en forme de monumentale bagarre qui réunit tous les personnages. Les fringues sont plus poussiéreuses que jamais, les gueules sales et mal rasées et Barboni signe une mise en scène tout à fait soignée dans un joli scope (rappelons que l'homme était à la base directeur photo). Cet énorme succès commercial mettra franchement les glandes à Leone, persuadé d'avoir enfanté un monstre.




...Continuavano a chiamarlo Trinità (On l'appelle toujours Trinita), Enzo Barboni, 1971
Cette suite va pulvériser de loin les records du précédent. Il s'agit carrément du plus gros succès de tous les temps du box office italien. S'il est toujours plaisant de retrouver les deux frères et leur caractère désormais bien établi, il faut bien reconnaître que le scénario est d'une paresse rare. On fait la connaissance des parents, ce qui permet de constater que les frangins ont de qui tenir, puis on suit ces derniers dans leurs tentatives toutes plus foireuses les unes que les autres de mener une vie de hors-la-loi, Bambino ayant promis à leur père de veiller sur Trinita. Le récit s'apparente ainsi à une suite de sketches pas toujours très réussis, même si petit à petit une vague intrigue se met en place. 

Les ressorts comiques reposent ici essentiellement sur des confrontations entre ces deux bouseux bourrins et les conventions sociales (genre Trinita et Bambino jouent au poker, Trinita et Bambino se font un resto, Trinita et Bambino au confessionnal...). Le registre scato se développe un peu en la personne d'un bébé souffrant d'aérophagie, les bastons s'efforcent de passer à une échelle encore supérieure avec un final où nos deux héros sont déguisés en moines et affrontent quasiment à eux seuls les méchants, tout en jouant au rugby avec un paquet de dollars. On remarquera d'ailleurs que lors de ces empoignades bien burlesques personne ne pense à sortir son flingue. Sur fond de bruitages cartoonesques, Bud écrase des crânes et Terence colle des baffes. La mise en scène reste heureusement d'une belle élégance, mais les gags sont la plupart du temps trop poussifs pour que le film mérite vraiment d'être considéré au-delà du moment relativement agréable qu'il fait passer. Il donne d'autant plus de valeur au premier opus qui se confirme comme étant une belle réussite. Le duo formé par Hill et Spencer évoluera ensuite dans des univers plus contemporains (Attention on va s'fâcher !, Deux superflics, Pair et impair...).



Il mio nome è Nessuno (Mon nom est Personne), Tonino Valerii, 1973
Dans mon souvenir, il s'agissait d'un film d'aventures rigolo avec des scènes bien outrancières à base de baffes et de pêts (y'en a). Or, on a ici affaire à un film presque funèbre, une longue ballade à cheval entre deux approches d'un même genre cinématographique. Mon nom est Personne est un western d'un autre monde, en forme d'adieu à un genre et à une époque. Non pas un western crépusculaire, mais un enterrement en grande pompe. On est clairement ici dans des jeux de symboles, dans la peinture de mythes. Henry Fonda représente les derniers feux de la légende de l'Ouest. Après en avoir achevé la conquête, il opère logiquement un retour à la vieille Europe. Son personnage est las de combattre. Terence Hill incarne quant à lui la face contemporaine du western, devenue clownesque depuis quelques années en Italie. Fasciné depuis tout gosse par son héros, il souhaite lui offrir un départ en beauté avant de prendre la relève. Quand bien même il s'appelle Personne, il ne fait aucun doute qu'on est là face à un nouvel avatar de Trinita. Il en affiche tous les attributs, ainsi les plâtrées de haricots rouges bâfrés goulûment à la poêle. 

Le film, produit par Leone, se présente d'une certaine manière comme une mise au point — dans tous les sens du terme — du personnage et de ce qu'il représente. On relève des tas de citations qui revisitent le paysage du spaguetti western : la scène des baffes dans le saloon provient d'On l'appelle toujours Trinita, la scène où Personne tire sur le chapeau de Jack Beauregard était déjà présente dans Colorado, sans parler de l'ouverture avec les trois bandits qui préparent leur embuscade, décalque évident d'Il était une fois dans l'Ouest. Valerii orchestre superbement ce face à face, avec la collaboration de Morricone, qui signe là une partition magnifique. Derrière son goût pour le pastiche, ses mélodies et arrangements dispensent une profonde mélancolie. La direction artistique est exemplaire, avec une utilisation assez fabuleuse des décors et des paysages naturels. Le film semble avoir bénéficié de moyens bien supérieurs à la moyenne de ce type de productions. L'ensemble offre de superbes moments de cinéma, culminant sans doute lors de l'affrontement avec la Horde sauvage, défi d'autant plus beau qu'il s'annonçait impossible à relever, presque donquichottesque. Si on rigole beaucoup devant ce film riche de scènes surprenantes, on en sort au final avec un goût amer, celui de quelque chose qui a cessé d'exister. 

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