27 novembre 2014

Mike Nichols I. Broadway/Hollywood (1966)

Ça faisait très longtemps que je souhaitais faire part de mon enthousiasme pour le cinéma de Mike Nichols, en particulier concernant la première partie de sa carrière, si audacieuse par ses sujets traités, si novatrice par ses inventions formelles. Sa récente disparition me met face à une opportunité malheureuse que je serai bête de ne pas saisir. 

Né en Allemagne en 1931, Nichols est entré très tôt dans le show business, d'abord à la radio puis sur les planches des cabarets grâce au duo comique formé avec Elaine May. Et c'est en particulier sur la scène de Broadway qu'il va bien vite acquérir une extraordinaire réputation de metteur en scène, remportant succès critiques et publics et se voyant confié les plus prestigieux projets. C'est donc tout naturellement qu'Hollywood en vient à s'intéresser au jeune prodige, en lui offrant pour sa première réalisation un couple de star et une pièce à succès...



 Who's afraid of Virginia Woolf ? (Qui a peur de Virginia Woolf ?), 1966
Il fallait sans doute toute la fougue d'un jeune et talentueux metteur en scène pour traiter dignement un sujet aussi audacieux que celui proposé ici. Nichols s'autorise des écarts de langage inédits pour l'époque et filme des situations scabreuses qui n'auraient jamais été acceptées il y a peu par le Code de production hollywoodien. On est dans la continuité du sillon creusé par Elia Kazan avec ses adaptations de Tennesse Williams, et surtout d'Arthur Penn qui la même année décrivait la médiocrité bourgeoise dans The Chase (La Poursuite impitoyable)Dans ses films suivants, Nichols tentera de repousser à chaque fois un peu plus les limites du politiquement incorrect, avec une vraie volonté de proposer un cinéma qui parle à son époque. 

La pièce d'Edward Albee est ici adaptée assez fidèlement par Ernest Lehman tout en proposant quelques aérations pas trop artificielles (il fallait de toutes façons conserver la dimension étouffante de ce huis clos en quasi-temps réel). Spectacle dérangeant d'un couple qui s'aime à s'en déchirer, la pièce se voulait volontairement excessive, offrant ainsi un terrain de jeu idéal pour des acteurs. L'expérience de la scène de Nichols s'affirme ici comme fondamentale et l'homme demeurera tout au long de sa carrière l'un des directeurs d'acteurs les plus respectés par ses pairs, voyant défiler auprès de lui les plus grandes stars, certaines lui conservant une vraie fidélité tels Jack Nicholson et Meryl Streep (4 films chacun). 

L'observation de la relation amoureuse s'impose dès lors comme l'un des thémes de prédilection du cinéaste, revendiquant les influences de George Stevens, Renoir et BergmanLa présence du duo Richard Burton/Elisabeth Taylor fait évidemment tout le prix du film, et on ne peut contester le caractère époustouflant de leur performance, imprimée à jamais sur la pellicule. Les rôles collent parfaitement à la personnalité du couple, habitué au comportement fantasque qui a fait les choux gras de la presse depuis la naissance controversé de leur idylle sur le tournage du Cleopatra de MankiewiczLe film fera sensation, sans doute grâce à l'événement promis par une telle affiche. Voir cet authentique couple se déchirer à l'écran a quelque chose de troublant et cela tourne parfois à l'expérience (et je ne parle pas de ce que ça peut provoquer si comme moi vous avez l'occasion de voir la pièce sur scène). À l'écran comme dans la vie, les deux connaissent bien les affres de la boisson, et semblent composer sans mal des individus aussi odieux que pathétiques, avec une absence totale de pudeur et une prise de risque qui s'avèrera payante puisque Taylor remportera l'oscar de la meilleure actrice cette année-là (première des nombreuses récompenses qui émailleront la carrière de Nichols). Le jeu de miroir est en fait multiple, car la situation désolante illustrée par leur couple semble annoncer le triste futur promis aux jeunes mariés qu'ils accueillent le temps d'une soirée, encore bercés par les illusions de leur amour tout frais. Tout n'est pourtant pas si noir, et l'on quitte cette perturbante compagnie en ayant plutôt l'impression qu'ils possèdent une force et une solidité peu commune, assez loin du sentiment de gâchis qu'ils auront tenté d'exprimer. La superbe partition d'Alex North participe évidemment  de cette mélancolie qui finit par nous étreindre. 



Dossier Mike Nichols

Aucun commentaire: