5 décembre 2014

Mike Nichols II. Le Lauréat (1967)


The Graduate (Le Lauréat), 1967
Sous ses apparences de comédie légère, le propos est véritablement acerbe, offrant une impitoyable plongée au cœur d'une société bourgeoise dont la réussite sociale a mené à une impasse où ne règne plus que l'ennui. The Graduate met en scène le choc des générations, entre des parents qui incarnent l'american way of life dans toute sa tristesse et une jeunesse qui se cherche de nouveaux modèles, hors du chemin tracé pour elle par ses aînésIl est vrai que l'intrigue retombe dans une certaine convention par la suite : la diabolique Mrs. Robinson qui, derrière son libertinage révèlera un authentique puritanisme (elle veut conserver sa fille), le final conte de fée où Ben arrache la mariée à son prétendant, mais les incertitudes demeurent, jusque dans cette mémorable scène muette dans le bus, où l'on voit défiler toutes les émotions dans les yeux du jeune couple, entre bonheur et doute, confiance et peur de l'avenir. Tout reste à jouer, et ce n'est pas vraiment le happy end malgré les apparences. La charge passe d'autant mieux qu'elle se pare d'une dimension comique, et on se régale sur plusieurs irrésistibles séquences vaudevillesques. 

Cette deuxième réalisation de Mike Nichols impressionne une nouvelle fois par ses trouvailles de mise en scène. Tournant en Panavision couleurs, Il travaille magnifiquement ses plans en exploitant à fond le cadre en score : la scène de la party d'accueil du début, oppressante à souhait, la scène de séduction de Mrs. Robinson, et puis évidemment cette magnifique séquence générique à laquelle Tarantino rendra hommage dans Jackie BrownLes raccords surprennent par leur inventivité, notamment dans l'étonnant montage qui nous montre Ben enchaîner glande à la piscine et nuits avec Mrs. Robinson. Nichols vient de la scène mais s'accapare ici pleinement le langage cinématographique, d'une manière toute personnelle et que je trouve franchement géniale.  Sa direction d'acteurs n'est pas en reste, et l'on est constamment ébloui par le jeu des acteurs : plus que troublé par le rentre-dedans d'Anne Bancroft, touché par le mélancolique désœuvrement de Dustin Hoffman. On notera le choix audacieux du comédien quasi débutant, au physique peu emballant par rapport aux jeunes premiers de l'époque qu'on aurait attendu dans le rôle (Newman, Redford, Beatty), dont certains auditionnèrent d'ailleurs et que Nichols rejeta, plutôt intelligemment. C'est ce qui permettra d'autant mieux l'identification du spectateur avec ce personnage de Ben Braddock, qui deviendra aussitôt l'étendard de sa génération. Le film bénéficie des délicates chansons de Simon et Garfunkel, qui ne sont pas pour rien dans son succès. The Sound of silence est un de ces morceaux qui pour moi suspendent le temps. C'est Nichols qui tenait personnellement à utiliser les chansons du duo, et il proposera ensuite à Garfunkel de faire l'acteur.

Historiquement le film a une vraie importance en tant que teenage movie, comme La Fureur de vivre avait pu le faire en son temps, parce qu'il parlait soudainement à la jeunesse de son époque. Ce public, qui n'avait jamais été un cœur de cible pour les studios hollywoodiens, a fait le succès du film, qui fut aussi immense que terrifiant pour Nichols. Désormais, le réalisateur sera libre d'entreprendre le sujet qu'il veut, aux conditions qu'il veut. 


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