25 août 2015

Bollywood boulevard

Retour sur quelques titres fameux de la comédie romantique et musicale indienne. Fameux parce qu'ils représentent à la fois la revitalisation d'un genre et sa redécouverte hors des frontières...


Dil to pagal hai, Yash Chopra (1997)
Ce qui est dommage c'est que Chopra semble complétement passer à côté du potentiel de son sujet. Il nous montre les coulisses d'un spectacle musical sans jamais sembler se soucier de crédibilité, comme s'il ignorait lui-même à quoi ça pouvait ressembler. On y suit donc une troupe de cinq ou six jeunes un peu demeurés répeter avec un amateurisme aberrant dans un improbable loft, et qui parviennent à livrer à l'arrivée un megashow de stade avec des dizaines de danseurs. Evidemment, je ne m'attendais pas non plus à du réalisme documentaire, mais il y aurait vraiment eu moyen de rendre cet univers plus solide. 

En tant que danseuses, Madhuri Dixit et Karisma Kapoor sont magnifiques (avec un petit faible pour cette dernière). Par contre, je n'ai pas du tout été convaincu par leur interprétation. Mais il faut dire que le scénario est tellement creux que les personnages échouent complétement à exister. Sur le concept des amours prédestinés, le scénariste joue avec ses personnages comme avec des pantins. Ces chassés-croisés amoureux m'ont ainsi semblé complétement arbitraires et même si l'on ne s'ennuie pas vraiment, on suit le récit sans réelle empathie, reniflant la conclusion à des kilomètres. Gros spectacle sur scène oblige, on n'échappe pas toujours à une certaine vulgarité dans la musique et les chorégraphies, mais ça alterne suffisamment avec des chansons pour le coup très plaisantes pour satisfaire les attentes. 




Kuch kuch hota hai, Karan Johar (1998)
Amis de la subtilité, passez votre chemin. Karan Johar emballe sur un rythme trépidant une véritable fresque sur l'amitié et les amours manqués. Tout n'est pas toujours de très bon goût, notamment dans la mise en scène, mais l'ensemble est largement transcendant pour que ces quelques lourdeurs récurrentes ne viennent jamais plomber l'atmosphère. Il faut de toutes façons accepter qu'on est là pour en prendre plein les yeux et les oreilles. Dans le genre, le flashback de la première heure sur la jeunesse des personnages se lâche pas mal avec ces fringues bien ringardes, la cool attitude abusive de Shahrukh Khan, le cabotinage éhonté de la prof d'anglais ou du surveillant général, l'apparition de Rani Mukherji en bombasse — et c'est vrai qu'elle le mérite — et tout un tas de scènes improbables sur la vie au lycée. Mais on peut justifier ça en se disant que ce récit nous est conté du point de vue d'une gamine, qui lit les souvenirs de sa mère et les visualise à travers ses propres références (c'est une enfant de la télé). Et puis cette atmosphère d'infantilisme et d'insouciance se révèle vite très attachante, notamment grâce à l'interprétation d'une Kajol irrésistible d'espièglerie et de vitalité. Et lorsque l'émotion et la sincérité des sentiments commence à naître au sein du groupe d'amis, les ruptures de ton fonctionnent merveilleusement, jusqu'à ces quiproquos idiots qui décident d'un destin. On a alors droit à de très beaux moments, certains fascinants comme l'interprétation en trio de la chanson-titre dans une campagne de ruines médiévales écossaises, d'autres bouleversants comme les adieux sur le quai de gare. 

Cette longue première partie a préparé le terrain à la suite qui parvient là encore à faire fonctionner avec brio les séquences les plus risquées. Le camp de vacances n'est pas crédible une seconde, le petit jeu entre le Colonel et la mère de Rahul est complètement crétin mais c'est bon. À la rigueur, le seul aspect plombant serait l'interprétation systématiquement médiocre de Salman Khan dans le rôle du fiancé encombrant. Toutes les péripéties qui s'ensuivent sont parfaitement balisées, mais qu'il est bon de s'embarquer dans ce genre de spectacle et d'en sortir avec la chanson-titre trottant dans la tête.



Mohabbatein, Aditya Chopra (2000)
C'est du bon. Une fresque très ambitieuse et plutôt bien écrite, mêlant adroitement plusieurs destins de couples comme autant d'incarnations de la passion amoureuse, sur fond de film d'université déguisant à peine son plagiat du Cercle des poètes disparus. Un spectacle particulièrement euphorique qui parvient souvent à éviter la complaisance mélodramatique. J'ai ainsi été vraiment touché par la façon dont apparaît le couple Shahrukh Khan / Aishwarya Rai, sans aucun pathos malgré leur histoire d'amour bien tragique. Chacune de leurs retrouvailles est pleine de fraîcheur, de malice et les deux acteurs s'amusent vraiment. J'ai été la plupart du temps assez sensible à l'humour du film qui cependant n'oublie pas de traiter de quelques sujets plus graves, égratignant sans méchanceté gratuite le poids de certaines traditions, comme le sort d'une jeune veuve prisonnière de sa belle famille. Le message sur le pouvoir tout-puissant de l'amour est certes bien naïf mais les acteurs y croient suffisamment pour qu'on accepte de les suivre.

Chansons et musiques sont d'excellente qualité, et les chorégraphies sont d'autant plus entraînantes qu'elles grouillent de danseurs (la fête de Holi sur la place du village, la soirée dansante dans le hall de l'école). C'est sans sophistication inutile, c'est joyeux. L'un des morceaux de bravoure, pourtant plus intimiste, est sans doute celui qui nous montre en montage parallèle les trois couples de jeunes se laisser aller à l'expression de leur attirance réciproque par la danse, chacun dans un contexte et avec un style bien particulier (jusqu'à un historique baiser buccal pour l'in des couples !). J'aurais quelques réserves sur le final et le retournement de veste un peu facile d'Amitabh Bachchan. Et puis Shahrukh Khan joue du violon comme une courgette. Je crois que je n'ai jamais vu un playback aussi mauvais, ce qui en devenait drôle (ils auraient au moins pu lui donner quelques cours). A part ça, il est absolument parfait dans le rôle.




Kabhi khushi kabhie gham (La Famille indienne), Karan Johar (2001)
Le réalisateur Karan Johar a clairement la volonté de s'inscrire dans le fil de son megasuccès précédent : il retrouve une bonne partie de la distribution (Kajol reprend même son prénom d'Anjali et Shahrukh celui de Rahul), démarre par un gros flashback d'une heure et demi, et s'offre un luxueux numéro musical pour la chanson d'amour, tourné cette fois dans le désert égyptien. On pourra même entendre un bref instant le thème principal de Kuch kuch hota hai. Par contre, j'ai été outré que Rani Mukherji disparaisse si vite de l'intrigue (je ne me lasserai jamais de sa beauté et de sa voix rauque). Les parents sont incarnés par deux superstars du ciné hindi d'hier, Amitabh Bachchan et son épouse Jaya. Dans le rôle du frangin, Hrithik Roshan est quant à lui un bien mauvais acteur, capable seulement de capitaliser sur sa gueule de minet. Heureusement, ses talents de danseur sont incontestables. Tout cela aboutira à une formule payante puisque le film sera champion du box office indien. Les thématiques sont plutôt courageuses, avec ce respect des traditions dont la trop grande rigueur ne conduira qu'à la douleur, et cet espoir placé en une jeunesse qui peut elle aussi guider les aînés. 

En fait, ce mélo fonctionne bien mais pèche par ses excès. Cette famille indienne de millionnaires vit dans un luxe tel qu'il finit par brider l'empathie du spectateur : déjà le monstrueux palace qui leur sert de demeure, les bagnoles et les fringues de marques qui se succèdent d'une scène à l'autre, suite éhontée de placements publicitaires, et même la vilaine déco pseudo-tendance de l'appartement londonien. Le but est certes de faire rêver son spectateur, mais Johar plonge avec une telle complaisance dans l'épate que cela en devient embarrassant. Le pire étant atteint avec la seconde partie et l'arrivée à Londres, où le mauvais goût semble vouloir régner désormais en maître. Le comportement de bitch de Kareena Kapoor est souvent très drôle parce que ne se prenant pas au sérieux, mais en même temps le côté fashion victim est si appuyé qu'il suscite vraiment la consternation. L'introduction de son personnage dans sa chambre est une séquence qui, dans le fond comme dans la forme est assez hideuse voire éprouvante. Il y avait parfois un peu de ça dans Kuch kuch hota hai dans sa peinture de l'univers lycéen mais les personnages y étaient mille fois plus sympathiques et leur problèmes nous apparaissaient à un niveau un peu plus humain.

Le problème c'est qu'ici on a pris le temps de s'attacher dans la première partie au couple formé par Kajol et Shahrukh Khan ; leur talent d'acteurs et leur complicité y étant pour beaucoup. Dès qu'ils passent au second plan et qu'intervient la romance entre Hrithik Roshan et Kareena Kapoor, l'émotion peine à surgir avec la même force. Leur relation est beaucoup plus superficielle et le film se plante un peu. Un truc que j'adore dans ces films bollywoods, c'est lorsqu'une réplique qui se veut particulièrement émouvante est immédiatement suivie d'un chœur langoureux. Ça force un peu la main à l'émotion du spectateur mais en général ça fonctionne. On sait que la subtilité n'est pas au programme. Le final propose ici un véritable lâcher des grandes eaux qui, bien que prévisible, réussit à émouvoir aux larmes. Mais la bougeotte de la caméra avec cette multiplication totalement irraisonnée de travellings avants, les gros coups de tonnerre qui viennent surdramatiser les réactions, tous ces effets sont trop lourdement et trop souvent utilisés et perdent de leur impact, surtout sur 3h30. Pour moi, le réalisateur atteint là les limites de son talent. Malgré tout, ça reste un spectacle suffisamment riche (et pour cause !), pour qu'on y trouve son compte. Décors, photographie, costumes, humour, chansons (à une ou deux exceptions) et chorégraphies parviennent souvent à emporter le spectateur et à faire oublier les autres fautes de goût. Quand bien même il a eu les honneurs d'une distribution salle en France, ce n'est cependant vraiment pas un titre que je recommanderai pour une initiation au genre, tant il y a de quoi en sortir définitivement vacciné.



Lagaan, Ashutosh Gowariker (2001)
Le film initiation, ce pourrait justement bien être celui-ci. À la fois fresque historique, drame sportif et comédie musicale, Lagaan est une merveille, pleine de vitalité et d'émotion. Il faudra néanmoins passer outre une mise en place (soit une petite heure de film) qui pourra sembler peu convaincante, voire laborieuse : scènes d'expositions à la chaîne, caractérisation sans nuances des méchants anglais, etc. Et puis, on réalise soudain qu'on est captivé par les enjeux du film, la façon très efficace dont s'exprime progressivement la solidarité des villageois. On palpite en espérant assister à la réunion des amants, on se révolte, on fond, et on vibre pendant le match de cricket quand bien même on n'en comprendrait pas toutes les règles. 

Avec une mise en scène ample et spectaculaire qui ne nuit jamais à une peinture chaleureuse d'une communauté, Gowariker parvient intelligemment à mêler le divertissement le plus jouissif à une dénonciation des injustices de la colonisation mais aussi de celles qui peuvent régner au sein même de la société indienne, tel le statut des intouchables. Bref, une super ambiance, un luxe de moyens appréciable, des personnages attachants, un climax haletant et des chorégraphies suffisamment nombreuses, régulières et peuplées pour faire en sorte que ces quelques 3h30 passent avec un vrai bonheur.




Swades, Ashutosh Gowariker (2004)
Où l'on réalise à quel point ces films prennent toute leur dimension sur grand écran, tant l'atmosphère d'une salle obscure profite à l'immersion au cœur de ces images en cinemascope et offre un écrin sans égal aux torrents d'émotion qui nous emportent, passant du rire frais au flot de larmes pourtant prévisible, de l'indignation à l'embarras causé par des yeux qui débordent d'amour. On sait qu'on est parti pour une projection de plus de 3h. C'est comme si on s'embarquait pour un voyage, d'autant plus dépaysant qu'on est inévitablement charmé par l'exotisme d'un pays et de traditions qui nous sont bien lointaines. Tout ce qu'on demande alors, c'est d'en prendre plein les yeux et de se mettre au diapason des sentiments exacerbés des personnages.

Sur le papier, l'histoire de Swades peut paraître édifiante, avec ce thème du retour au pays natal et du questionnement d'une identité aussi bien intime que nationale. Le film réussit cependant son pari haut la main en forçant avec énormément de sincérité l'empathie vis-à-vis des nombreux personnages de ce village, riche de contradictions sans que jamais on ait l'impression d'avoir affaire à des archétypes. En effet, même les plus absolutistes des villageois sauront se montrer par certains côtés aimables. Nous sommes invités à suivre les pas d'un Shahrukh Khan étonnant d'humilité, qui a lui aussi un peu oublié ses racines et la réalité sociale de son pays et se laisse aller dans un premier temps à l'émerveillement tout simple face à la richesse d'une terre des hommes. Progressivement, au contact des habitants, il va découvrir la persistance de coutumes et de conditions de vie qui semblent héritées d'un autre âge. Le réalisateur ne craint pas de gratter le vernis de la société indienne et on est très loin de la carte postale. Certaines situations dépeignant la misère sont véritablement très dures et bouleversent le protagoniste au même titre que le spectateur. Gowariker évite la séduction facile du public qui consisterait à idéaliser ses personnages et leur environnement. Il refuse l'évasion par le luxe et la mode. Les numéros musicaux sont très rares et les chorégraphies semble refuser toute sophistication pour mieux rester à hauteur d'homme (d'enfant, même). Au bout du chemin demeurent encore des pistes à explorer, et peut-être la magnifique promesse d'un amour vrai.




Veer-Zaara, Yash Chopra (2004)
L'ouverture du film m'a complètement mis par terre. On démarre en effet sur un clip trop beau pour être vrai dans une campagne flamboyante, avec couleurs qui pètent de partout, mouvements de caméra à la grue dans tous les sens et Shahrukh Khan qui danse et chante en s'adressant à une silhouette féminine. Un plan large nous montre l'homme et la femme courir l'un vers l'autre et au moment où ils vont se rejoindre... Bang ! Coup de feu, la femme s'effondre, et raccord incroyablement violent sur un Shahrukh hagard, visage sale et hirsute, croupissant dans une geôle obscure. En une fraction de secondes, Yash Chopra, l'une des plus grandes figures du cinéma hindi dont j'ai dit que son Dil to pagal hai ne m'avait pas convaincu, vient de régler son compte aux clichés bollywoodiens avec une violence incroyable. Par la suite le réalisateur se "rattrapera" un peu en nous offrant des chorégraphies monumentales, avec décors et costumes éblouissants de couleurs. La construction du film faite de flashbacks maintient intelligemment l'attention. On est comme devant un polar, impatient de voir toutes les pièces du puzzle s'assembler. On échafaude des hypothèses, on est surpris par certaines révélations. Et lorsque le drame s'installe véritablement, avec cette histoire d'amour impossible, à cheval sur deux pays, le superbe couple formé par Shahrukh et Preity Zinta parvient à exprimer une émotion telle qu'on est profondément touché par ces précieux moments de vérité. Filmés parfois en un seul long plan, c'est aussi spectaculaire que bouleversant de les voir en effet bientôt submergés par les larmes, isolés dans des décors aussi vastes que somptueux. On tremble, on espère, on désespère.

Le film contient pas mal de très belles idées de mise en scène et de montage. Je pense par exemple à la scène très audacieuse qui nous montre en parallèle le mariage de Zaara, l'acceptation de sa condamnation par Veer, et l'accident du car dans la route de montagne. Enfin, on peut peut-être trouver ça naïf, mais l'humanisme du film achève de rendre le spectacle inoubliable. Sont en effet abordés avec une étonnante franchise tout un tas de problèmes sociaux encore actuels, l'émancipation des femmes, la question des castes, le respect des ancêtres, l'appel à la paix entre Inde et Pakistan, la fraternité entre les peuples, le désir sincère de construire pour l'avenir un monde plus juste enfin dégagé des préjugés qui pèsent sur les âmes. À ce titre, le discours final de Shahrukh à son procès est vraiment très beau, très poétique. En sortant de la salle il pleuvait. J'étais bien tenté de danser tout trempé.



Kaal, Soham Shah, 2005
Un bon gros nanar, donc involontairement drôle, coproduit par Shahrukh Khan et écrit par Karan Johar, avec des teenagers hindis genre plus-beau-que-moi-tu-meurs, qui viennent barouder dans une réserve naturelle pour enquêter sur des tigres mangeurs d'hommes. Au programme : aventures, action, humour crétin, mystère et morts violentes.

Le comportement des personnages est hilarant de crétinerie, la mise en scène abuse des effets "bouh fais-moi peur". Le plus drôle étant peut-être l'intrigue elle-même qui se révèle progressivement n'être qu'un méchant plagiat du concept de Final destination. Sur le générique de début et de fin, et sans aucun rapport avec le film, on a droit à deux chorégraphies dans des décors aussi vulgaires que la musique, Shahrukh faisant la guest star dans la première. Prétentieux donc rigolo mais l'ennui avec les nanars bollywoodiens c'est leur durée un peu trop conséquente.



Nazar, Soni Razdan, 2005
Première et à ce jour unique réalisation de l'actrice Soni Razdan. Une histoire de serial killer résolue par une star de la chanson qui se découvre soudain la proie de visions effrayantes (elle voit les meurtres avant qu'ils arrivent). C'est grotesque, avec là encore plein de tics de mise en scène ridicules aux influences mal digérées. L'enquête policière n'est pas crédible pour deux sous, les acteurs sont mauvais (mention spéciale au beau gosse de service, Ashmit Patel, expressif comme une peau de phoque) et les quatre pauvres chansons qui parsèment le film sont passablement vulgaires.


Meera, top model et star du cinéma pakistanais, tient ici la vedette et la caméra a beau lui faire les yeux doux quand elle danse en sari mouillé, la façon qu'elle a de jouer la panique fait plutôt de la peine. Ça se laisse voir si on oublie jusqu'à la simple existence du mot "exigeance". La conclusion en particulier vaut  le détour : on a droit évidemment à la révélation de l'identité du tueur et à l'affrontement ultime avec un suspense moisi de poursuite, faisandé par des fausses morts à la chaîne. Aberrant.

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