16 septembre 2015

Du romanesque français 1




Victor Hugo, Quatrevingt-treize, 1874
Quatrevingt-treize, c'est évidemment (?) l'Anno Domini 1793 et les luttes intérieures et extérieures pour la nouvelle république. Ce fut le dernier roman publié par Hugo. Amateur d'Histoire, j'attendais forcément beaucoup de la rencontre entre l'ogre-romancier du XIXe siècle et le tumulte de l'Histoire révolutionnaire. À l'arrivée, on se retrouve face à un roman un peu lourd, notamment dans sa caractérisation de personnages très figés et trop conscients de leur destin. L'auteur a à cœur de démontrer qu'il s'est documenté sur la période, mais il en a déduit un peu trop vite que son lecteur disposerait des mêmes connaissances. Les personnages historiques authentiques et les événements sont ainsi cités sans développements. C'est sans doute de là que vient ma déception, puisque Quatrevingt-treize ne sera finalement pas le roman historique espéré, et verse davantage dans des circonvolutions feuilletonesques.

J'en viens alors à me poser sérieusement la question de savoir si Hugo est vraiment encore lisible aujourd'hui ? Je ne parle pas du fond mais du style : la modernité qui fut la sienne ne paraît-elle pas dépassée aux yeux du lecteur contemporain ? Sa tendance à composer des personnages-étendards finit par éloigner ceux-ci d'une dimension plus simplement humaine qui toucherait davantage la sensibilité du lecteur d'aujourd'hui. La réponse à vrai dire importe peu, car à côté de ces lourdeurs, l'écriture de l'auteur offre tout de même de vraies et puissantes pages de littérature, lorsque l'il se laisse aller à la description de lieux et de mouvements chargés de symboles. Mais c'est tellement tourné vers l'épate, que l'artifice finit par prendre le pas sur l'émotion. 





Raymond Roussel, Locus solus, 1913
Le bouquin existe aussi dans la collection "L'Imaginaire" de Gallimard, et il pourrait justifier à lui seul son existence. On est dans un objet-livre, où le texte est un monde en soi. Ce Locus solus ne cherche pas à séduire, n'est pas vraiment une lecture exaltante, dans le sens où le parti-pris poétique est anti-romanesque au possible, et semble s'acharner l'air de rien à bousculer nos habitudes de lecteur. 

Roussel nous invite ainsi à partager la visite d'un jardin fabuleux qui abrite toute une série d'attractions improbables. L'auteur décrit avec un soin maniaque et quasi-scientifique chacune de ces installations, se contentant dans un premier temps d'une description dont l'objectivité tourne à l'hermétisme (j'ai souvent pensé à Jarry davantage encore qu'à Vian). C'est l'aspect le plus ardu, le plus diaboliquement ingrat, car la précision est telle qu'elle semble contester au lecteur ces pleins pouvoirs d'imagination qui sont censés être les siens, où à partir des éléments que lui livre habituellement le romancier il est libre de créer sa propre vision. Ici, derrière la folie de ces mises en scène où il est notamment question de défier la mort, il n'y a pas de place laissée à l'interprétation. C'est dans un second temps, que Roussel nous révèle le sens de ses machineries en dévoilant toute une série de contes, récits, anecdotes, drames, légendes, farces, qui en sont l'inspiration. Et c'est vraiment l'imagination et la beauté de ces fables qui donne les plus puissants moments de ce livre-monstre, véritablement sans équivalent.





Jules Romains, Psyché, 1922-1929
Par l'auteur de Knock, donc (mais évidemment rien à voir).  Trilogie de romans dont la richesse d'évocation des titres est à la hauteur du contenu, Psyché fait le récit étape par étape, méticuleusement, de l'évolution d'une passion amoureuse qui  va tourner au mystique. Bien que proposant chacune leur atmosphère, les trois parties s'enchaînent quasiment sans ellipse. Cette progression vers la dimension métaphysique de l'amour n'est pas sans évoquer le Graham Greene du puissant La Fin d'une liaison. Où il est question du lien, voire de la concurrence entre la chair et l'âme. Sauf qu'ici, l'histoire proprement dite enthousiasme finalement beaucoup moins la lecture que l'écriture vraiment étrange et complètement fascinante de l'auteur, dans sa façon de restituer la pensée en mouvement de son couple de narrateurs. 

Cette volonté d'une description des sentiments et des émotions presque clinique, comme observée au microscope et découpée au scalpel offre des paragraphes constamment surprenants. C'est assez exigeant, parce que nécessitant une attention soutenue pour en apprécier les trouvailles, donc j'avoue avoir souvent lu en diagonale. Mais c'est une expérience de lecture assez inédite en ce qui me concerne, dont je ne peux que recommander la découverte. 




Marcel Aymé, La Jument verte, 1933
Je ne crois pas avoir lu d'autres Aymé, et ce fut une lecture assez jubilatoire. La verve du langage, l'ironie constante et délicieuse, ainsi que la loufoquerie sans barrières de l'auteur sont un véritable délice. Ici encore, le style transcende souvent le seul récit.

Ce dernier est pourtant très fort. C'est à la fois l'histoire d'une rivalité tragi-comique entre deux familles de la France profonde à la fin du XIXe, et l'impitoyable étude sexuelle d'une société vue par les yeux... d'une jument peinte, spectateur impassible et omniscient accroché au-dessus de la cheminée du foyer. Un tableau dans le tableau, en quelque sorte, concept étonnant mais qui fonctionne sans temps mort, parvenant à composer un vrai tourbillon d'impressions et d'émotion. Grinçant.

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