25 septembre 2015

Du romanesque français 2

Jean Giono, Un roi sans divertissement, 1947
Ça faisait longtemps que ce titre m'intriguait, et je m'étais déjà fait une idée de l'ambiance rude et hivernale que j'allais y trouver. Poète dans l'âme, Giono forge un récit très étrange, voire dérangeant, mystérieux et imprévisible, raconté d'une façon très originale avec une langue qui a le caractère des légendes. Il y a quelque chose de massif dans cette prose, qui s'impose comme un bloc dont il n'y a plus rien à retrancher, comme si elle émanait des tréfonds de la terre, et qui m'évoque parfois certaines pages de Jünger.

C'est parfois un peu décourageant, parce qu'on ne sait pas trop à quoi on doit/peut se raccrocher, mais ça vaut l'effort parce que le final est fort puissant. Les personnages ont un caractère extrêmement fort, et Giono parvient à donner l'impression d'une fusion totale avec l'environnement. Une violence sourde semble peser à chaque page, maintenant ainsi l'intérêt en éveil. François Leterrier en avait tiré un film en 1963, adapté par l'auteur lui-même, et que je n'ai pas vu. Tourné en scope couleurs, le résultat doit certainement être aussi beau que singulier, tant le texte semble peu fait pour être porté à l'écran.




Georges Simenon, Le Petit Saint, 1965
Roman très étonnant, d'un style simple comme l'est son protagoniste. Simenon décrit méticuleusement la vie d'un gamin dans le Paris populo de la fin du XIXe siècle aux 60's, sans jamais tomber dans le pittoresque facile. Pas d'autobiographie au sens propre, puisque c'est vers la peinture que va s'orienter le chemin du héros, mais on devine évidemment tout ce qu'il doit à son auteur, ayant connu les mêmes lieux, les mêmes époques.

Le petit saint en question est un être sur lequel rien ne semble jamais avoir prise, ni les sentiments, ni les désirs, qui ne se pose pas de question et est, simplement, purement. Ce personnage échappe ainsi au lecteur, qui ne sait d'ailleurs jamais vraiment vers quoi le narrateur l'emmène. Pas de pathos, pas de dramatisation artificielle, et pourtant une force belle et présente à chaque page. Vraiment à part.





Albert Cohen, Belle du seigneur, 1968
Fou, énorme, époustouflant, hilarant, juste, satirique, agaçant, éprouvant, fatiguant, tragique, terrible, pathétique, cruel, impitoyable, inhumain, méchant, vrai, tendre, sensuel, beau, horrible, faux, bouleversant, injuste, humain... Du même auteur, je n'avais lu auparavant que Mangeclous, roman antérieur qui est une espèce d'épopée bouffone complétement tordante, une des lectures qui m'a les plus fait rire. Reprenant certains personnages, Belle du seigneur est un roman foisonnant et haut en couleur, pas évident à décrire puisqu'il mélange les genres et les tons. On passe de la satire sociale franchement hilarante au constat implacable des affres de la passion. Certaines pages débordent de sensualité, d'autres sont d'une incroyable férocité. Et puis bien sûr il y a tout le contexte de cette Europe de la fin des années 30, de la montée du fascisme et de l'antisémitisme. Ce qui fait qu'on passe par tout un tas d'émotions qui bousculent le confort du lecteur. 

Mais le plus fou dans tout ça, c'est certainement cet incroyable travail sur la langue, avec une gourmandise qui n'est pas sans rappeller les loghorrées verbales d'un Céline, dans l'utilisation fréquente du style parlé et les jeux de ponctuation. C'est une lecture hors-normes et passionnante au sujet de laquelle je pense qu'il y a pas mal d'idées reçues (ce n'est absolument pas du romantisme de midinettes). Son ampleur est telle qu'on se retrouve inévitablement à avoir l'impression d'avoir accompagné tous ces personnages pleins de vie pendant un temps non négligeable, au point d'en devenir complice, d'en partager les émois. J'aime quand on ressent cette envie de reculer le plus possible l'arrivée des toutes dernières pages, cet instant où on va inévitablement, dramatiquement, abandonner ces existences. Et puis ça fait des muscles.




André Malraux, Le Miroir des limbes II : la corde et les souris, 1976
Arrivé au bout de son chemin, Malraux remanie et rassemble plusieurs de ses bouquins pour en faire le tome II de ses Antimémoires. C'est donc un assemblage plus ou moins de circonstance qui n'échappe pas à l'impression d'un ensemble disparate. À l'arrivée, c'est un texte relativement difficile, presque à l'état de notes, des souvenirs notés pour soi, qui suivent davantage le cheminement de la pensée qu'une solide construction logique. 

On y pêche donc des conversations avec De Gaulle, Picasso, des souvenirs de la guerre d'Espagne, de la Résistance, de ses voyages officiels en tant que représentant du gouvernement, de réflexions sur l'Histoire et sur l'art. Son écriture tient du journal, de la chronique, et derrière l'hermétisme de certaines références, on aurait aimé parfois que davantage de place soit laissée à la restitution de faits, plutôt qu'à la restitution de dialogues sans prise de hauteur. Un intérêt documentaire, donc.

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