2 septembre 2015

Superman liv(r)es

Mark Millar & Dave Johnson, Red son, 2003
Et si Superman n'avait pas atterri à Smallville, Kansas, mais dans un kolkhoze d'Union soviétique ? Sur ce concept aussi simple que génial, l'iconoclaste Mark Millar réinvente toute la mythologie non seulement du héros kryptonnien mais également de nombreux autres vétérans de DC, tels Batman, Wonderwoman et même Green Lantern. L'action qui démarre sous le stalinisme va ainsi faire basculer totalement une perspective qui avait fini par nous être un peu trop familière. Cette relecture donne inévitablement lieu à quelques situations qui mettent à mal avec beaucoup d'humour des personnages que l'on croyait bien connaître, sans pour autant tomber dans le pastiche irrespectueux. 



Même si on rigole souvent des trouvailles de Millar, de certaines audaces réjouissantes (des Batmen lobotomisés condamnés à épousseter les bibelots de la Forteresse de solitude), son utopie fait preuve d'une réelle finesse dans sa réinterprétation du superhéros, de ce qui le motive et des valeurs qu'il peut représenter pour un peuple. La personnalité de Superman est restée la même : il veut protéger la Terre et faire le bien. La seule différence est qu'ici il va défendre les idées qui lui semblent justes et qui sont celles du pays qui l'accueille. Et c'est un miroir qui est alors tendu à l'Amérique et à ses propres idéaux, où le bien apparaît finalement comme une notion relative.






En plus de ces réflexions passionnantes, les auteurs n'oublient pas leur mission première qui est de fournir un comics de divertissement, et assurent des scènes d'action spectaculaires et très réussies, avec un affrontement Superman/Lex Luthor étalé sur des dizaines d'années et qui se conclut de façon assez fantastique. Bref, une œuvre excellente.






Steven T. Seagle & Teddy Kristiansen, It's a bird..., 2004
Je ne connaissais les auteurs que de nom (Sandman mystery theatre). Eh bien quel talent ! Le scénariste Seagle propose ici un roman graphique qui tient à la fois de la BD autobiographique et de l'essai sur une icône, en l'occurence Superman. Remarquablement construit, le récit met donc en scène Seagle lui-même, sollicité par son éditeur pour écrire une histoire de Superman, un projet qui n'enthousiasme pas plus que ça le narrateur, pire qui l'enfonce dans une vraie dépression où un 
terrible secret de famille va faire surface. Régulièrement, les situations qu'il vit lui inspirent des idées qui l'amènent à décortiquer point par point les caractéristiques de l'homme de Krypton, ses forces comme ses faiblesses, ses valeurs et son anormalité qui en fait un être si différent, tantôt modèle, tantôt objet de rejet. Il est vrai que commander aujourd'hui une aventure de Superman peut apparaître comme un cadeau empoisonné. Et tout cela est bien sûr prétexte à parler de soi-même, de son entourage, de sa place dans le monde. 


Ça peut sembler bien prétentieux dit comme ça, mais c'est vraiment tout le contraire, parce que Seagle a choisit une approche à la fois humble (il est loin de se montrer sous un jour flatteur) et intelligente. J'ai trouvé ça beau et passionnant. Le dessin de Teddy Kristiansen est quant à lui absolument magnifique, tout en couleur directe, avec un mélange des styles réellement admirable. Les différents traitements thématiques du superhéros proposées par le scénariste sont l'occasion pour le dessinateur d'employer un style à chaque fois différent, et chacune de ces approches va nourrir la propre réflexion du narrateur. Une lecture souvent émouvante, un livre tout simplement brillant, à découvrir absolument.






Scott McCloud, Aluir Amancio & Terry Austin, Strength, 2005
L'idée de voir Scott McCloud, grand théoricien de la bande dessinée en tant qu'"art invisible", investir l'univers du Man of steel semblait prometteuse sur le papier. Or si le scénariste trousse un récit incontestablement efficace, avec une troupe de bad guys assez finement écrits, cela aboutit tout de même à une aventure relativement anecdotique. C'est vraiment là qu'on se rend compte qu'un superhéros comme Superman est en soi assez inintéressant. Il semble qu'un scénariste d'aujourd'hui ne puisse l'aborder sans en profiter pour revenir sur la naissance du mythe et tenter d'en redéfinir les origines. 

Ici, cette tentative est peu convaincante, donnant vraiment l'impression d'être greffée sur une histoire principale faite d'action et de suspense qui finalement se suffisait bien à elle-même. Ainsi, le passage qui raconte un épisode de l'enfance de Clark Kent, bien que ne manquant pas d'idées, apparaît comme une simple parenthèse. Le reste du temps, Superman reste en arrière-plan, au point de se retrouver avec la tête détachée du corps, figure grotesque conservée dans un bocal et objet des plus pitoyables jeux de mots de la part de ses ennemis. 

McCloud fait un peu trop appel à des gadgets et des inventions improbables qui font qu'un peu trop de choses deviennent possibles (ainsi des gants téléporteurs). Il ne s'agit évidemment pas de chercher la crédibilité dans un récit de superhéros mais tout au plus de ne pas avoir l'impression de facilités scénaristiques. Ce genres d'inventions trouvaient parfaitement leur place dans les comic books d'il y a 40 ans, avec leur naïveté assumée. Dans ce récit aux préoccupations bien contemporaines, ça devient un peu idiot. Néanmoins le climax est absolument sublime, remarquablement découpé, avec une course poursuite d'un incroyable dynamisme suivie d'un face à face pathétique qui ne manque pas de force.


Je ne suis pas très fan du dessin d'Aluir Amancio (crayonnés) et Terry Austin (encrage) qui manque un peu de subtilité à mon goût, ainsi que de cette tendance à représenter systématiquement les personnages féminins comme des bombasses aux tenues avantageuses. Les couleurs évitent le mauvais goût mais ce petit côté fan service rabaisse un peu les ambitions espérées sur un tel projet. À réserver aux fans, donc.


Aucun commentaire: