26 octobre 2015

Le cinéma de George A. Romero


Night of the living dead (La Nuit des morts-vivants), 1968
Agé de seulement 28 ans et n'ayant semble-t-il rien à perdre, George A. Romero réalisait ici un petit miracle, à l'instar d'un Tobe Hooper dont le restant de l'œuvre ne transcendera jamais le coup d'éclat du premier opus. Sous son apparence de série B horrifique, le film dut faire son petit effet sur les spectateurs de l'époque, habitués à un traitement du genre qui jusqu'alors tenait davantage du carnaval. Cette Nuit des morts-vivants donne aujourd'hui rien de moins que l'impression d'assister à la réinvention du cinéma. Au-delà de la figure du mort-vivant, c'est par son approche du genre que ce titre eut une influence fondamentable sur le septième art, mélange audacieux de huis-clos psychologique et de fantastique au style documentaire. Le film demeure donc pour le spectateur contemporain une expérience toujours aussi terrifiante, étouffante, à la fois pour ses zombies plus qu'efficaces mais aussi pour sa vision d'une humanité devenue égoïste et aveugle face à une situation qui la dépasse. Tout cela filmé avec une sécheresse qui rend cet objet filmique très inconfortable (la dernière descente des escaliers de la mère...).

L'univers composé par Romero apparaît d'autant plus crédible qu'il bénéficie d'une interprétation généralement remarquable, prouvant que Romero sut être ici à la fois un fin observateur des comportements humains et un directeur d'acteur avisé. Les efforts désespérés de Ben (Duane Jones) pour rester en vie ne seront pas payés de retour, et le final du film en devient absolument glaçant, avec ces photographies sur lesquelles se déroule le générique qui tracent sans équivoque un parallèle avec des images de sinistre mémoire. Cet épilogue livre sans conteste la clé du discours ici à l'œuvre, soit une parabole impitoyable sur la condition humaine.




Martin, 1977
J'ai eu la chance et le bonheur de découvrir le film à la Cinémathèque française, présenté par Romero himself, tout étonné qu'il était de bénéficier d'autant d'honneurs. Film de vampire démystificateur, Martin offre une vision à la fois très juste et très originale du vampirisme contemporain, qui tente de se débarasser du folklore habituel (gousses d'ail et crucifix) tout en y étant tragiquement condamné. Une veine intimiste et dérangeante curieusement explorée cette même année 1977 par Cronenberg et son dérangeant Rabid (Rage), et qui sera prolongée bien plus tard par Ferrara (The Addiction, 1995) puis plus récemment encore par Thomas Alfredson et son très beau Let the right one in (Morse).

Le film de Romero est tourné avec très peu de moyens, dans les décors naturels et sans apprêts de Pittsburgh, avec une volonté d'antispectaculaire et une volonté affirmée d'inscrire son récit dans un environnement réaliste. Le format 1.33 et le ton granuleux du 16mm renforce encore davantage l'impression de réalisme documentaire, proche du home movie. Tous ces éléments créent une atmosphère assez insoutenable et mettent vraiment en valeur le destin poignant d'un protagoniste inoubliable. Le montage du film est vraiment virtuose, entre le jeu alambiqué des flashbacks et certaines scènes (mention spéciale à la scène où Martin "attaque" un couple bourgeois dans une étonnante maison à étage, qui m'avait pas mal impressionné). 




Dawn of the dead (Zombie), 1978
Un spectacle aussi impressionnant par la pertinence de son propos qu'enthousiasmant par sa mise en forme. Il y a une telle variété de situations dans ce film, qui plus est à chaque fois cinematographiquement très riches, avec une approche  qui se veut la plus crédible possible, et sans jamais que les personnages et leur logique comportementale ne soient sacrifiés. Ceux-ci présentent différents profils humains sans jamais paraître artificiellement caractérisés. Le personnage féminin est tout à fait étonnant, et ne ressemble vraiment à aucun autre issu de ce cinéma de genre. Romero nous montre tels que nous pourrions agir dans semblable situation apocalyptique où l'on n'est plus sûr du lendemain. Du chaos à l'incompréhension, de l'acceptation à la complaisance, du profit à la perte. La sensation de catastrophe est incroyablement palpable dès la percutante séquence d'ouverture. C'est vraiment plein d'idées de mise en scène, et en évitant l'épate facile, Romero ne fait que rendre son univers et ses zombies plus vrais, passant clairement à une vitesse supérieure par rapport à sa Nuit de 1968.

Le film a bénéficié d'un montage plus vif pour sa distribution européenne, supervisée par Dario Argento. Si cette dernière a clairement ma préférence, j'aurais juste un reproche à faire à la zique des Goblin qui, si elle est tout à fait efficace au début, m'a semblé assez vite manquer d'imagination (Le montage Romero est pour sa part pauvrement habillé d'un score orchestral issu d'une banque de sons libres de droits). Et puis peut-être une certaine complaisance sur les effets gores. Rien à voir avec ma sensibilité, mais en enchaînant trop souvent des gros plans sur des cervelles explosées, des corps éviscerés ou des membres bouffés, l'effet perd un peu de sa force. On sent que Tom Savini a eu carte blanche lors de la séquence des bikers, véritable festival d'effets de maquillage et de trucages grand-guignol.





Day of the dead (Le Jour des morts-vivants), 1985
Pris isolément, le film doit certainement décevoir. Mais en tant que pièce de ce qui est longtemps resté une trilogie, il devient tout à fait appréciable et fait de cet ensemble une œuvre assez admirable. Avec le temps, j'ai de plus en plus d'affection pour ce titre, qui est assez appréciable dans sa façon de s'arranger avec la petitesse de son budget, tout en poussant encore plus loin le degré de réalisme avec des scènes très étirées de conflits dialogués, qui débordent d'une tension assez suprenante. Ici, bien plus que dans les deux premiers volets, les zombies sont relégués en hors-champ pendant la majeure partie du métrage. Les humains survivants n'ont presque plus besoin d'eux pour se détruire, incapables de s'accorder sur les moyens de leur survie. Aux rabatteurs et bikers fachos, succède ici une poignée de militaires sexistes et particulièrement vulgaires, déments et décérebrés. Autrement dit : l'ennemi est déjà dans la place. On assiste à leur pêtage de plomb, tels qu'ils sont terrés dans leur trou, comme si cela faisait tout simplement partie de leur nature.

L'importance donnée à ces affrontements dialogués dans la première partie place un peu le spectateur dans la position de l'observateur, comme ces scientifiques qui assistent aux  expériences sur les zombies derrière la vitre de leur laboratoire. Nouvelle avancée par rapport aux deux premiers films, ici il n'y a plus de communication avec l'extérieur. Ni radio, ni télé. Les informations concernant le mode de fonctionnement des zombies nous sont données de l'intérieur, par l'intermédiaire d'un docteur Frankenstein qui parviendra à retrouver la part perdue d'humanité de ces créatures. Ainsi la distance qui les sépare de nous-même se rétrécit de film en film. Notons, comme dans Dawn of the dead le rôle fort et peu conventionnel donné au (seul) personnage féminin, semblant au début marcher un peu sur les traces du Ripley d'Alien, avant de se révéler tout autre.

Tourné dans des décors extrêmement réduits, le film se sort tant bien que mal de son esthétique du pauvre. Ce minimalisme est suffisamment bien géré par Romero, habitué à bosser avec peu de moyens, et Tom Savini s'en donne une nouvelle fois à cœur joie. On pourra cependant regretter de ne pas sentir suffisamment l'ampleur de la situation. L'atmosphère de chaos inéluctable est laissée à notre imagination, mais de façon moins palpable qu'auparavant. Néanmoins, très belle scène d'ouverture dans une rue déserte en Floride. Musique labelisée eighties pour amateurs.





Land of the dead, 2005
Après l'inattendu succès du remake de Dawn of the dead par Zack Snyder en 2004, Romero qui avait pratiquement disparu se retrouve pour un temps les faveurs d'Hollywood. Mais les zombies sont devenus à la mode et on n'attend pas de lui autre chose. Premier bon point : les acteurs sont très bons, notamment Simon Baker, l'interprète de Riley le désabusé. Encore une fois, ce qui distingue Romero de ses pseudo-concurrents, c'est son talent à faire exister ses personnages et à rendre les situations réalistes et crédibles. Son camarade au visage à moitié défiguré est une belle création, se révélant assez touchant, et même Leguizamo, dont le personnage semblait un peu exagéré, finit par dévoiler son humanité lorsqu'il baisse les bras suite à l'échec de son plan. De même, Dennis Hopper pourtant habitué aux rôles de cabotin échappe au portrait du méchant capitaliste par des dialogues assez peu conventionnels. Ce soin de la caractérisation se retrouve jusqu'aux seconds rôles et leurs courtes apparitions ont une vraie présence dans la limite de leur rôle (les GI's qui accompagnent notre trio de héros).

Si on n'a pas forcément le sentiment que l'invasion a pris de l'ampleur, c'est surtout la figure du zombie qui est ici encore développée, avec le pompiste qui prend d'étonnantes initiatives pour mener l'assaut. Romero fait réellement progresser son discours et nous réserve de très belles idées de scènes, dont la force est souvent joliment soulignée par une musique qui se fait ici lyrique. Robert Kurtzman, Howard Berger et Greg Nicotero signent de très chouettes effets spéciaux, notamment dans les impacts de balles, très nombreux et réalistes. Leur studio KNB tient aujourd'hui le haut du pavé en la matière avec leurs créations pour Kill Bill, House of wax, La Colline a des yeux ou tous les épisodes des Masters of horror, et on devine que cette opportunité de travailler pour Romero fut pour eux comme un rêve d'enfant réalisé. La très belle photo gris anthracite modère sans doute l'impact des plans gores par rapport aux éclairages crus et blafards de Dawn et Day, qui ne laissaient eux rien dans l'ombre. Esthétiquement assez léché, ce Land of the dead est sans doute le film le plus soigné de Romero, jusqu'à avoir presque des atours de film à gros budget. 

Bien que la satire semble ici plus présente (l'instrumentalisation du zombie en jeux de société), Romero est loin d'avoir abandonné sa vision particulièrement désespérée de l'humanité. Ici encore, l'atmosphère de fin du monde semble moins être du fait des morts-vivants que des vivants eux-mêmes, mettant les plus démunis au ban afin de mieux garantir le bien-être des plus fortunés. C'est encore un pas franchi par rapport à Day, où le débat portait plus sur des questions de méthodes de combat et de survie. Ici, on préfère carrément créer des classes sociales qui n'ont plus à cohabiter. La fin a un goût un peu moins amer que dans les précédents volets, signe d'un espoir enfin possible ou  aménagement commercial pour une suite, chacun jugera selon son cynisme. 

La première trilogie profitait davantage d'une temporalité étirée pour installer l'oppression. Cette fois, c'est l'efficacité de l'action qui prime. Le récit est dans son ensemble bien serré, le rythme nerveux, la mise en scène sans graisse. Bref, une excellente série B, comme seuls quelques vétérans sont encore capables d'en trousser (Big John Carpenter était de ceux-là). Et je me réjouissais à la sortie du film que Romero soit revenu nous rappeler qu'il en faisait bien partie. Trois ans plus tard, il réalisait pourtant un Diary of the dead, qui semblait pour sa part totalement abandonner ses ambitions thématiques et n'être qu'un divertissement bien emballé mais parfaitement inconséquent, aux personnages et situations remplis des clichés habituels d'un genre, et surtout qui aurait pu être signé par n'importe qui d'autre que Romero.

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