12 novembre 2015

CLINT 4/2000-2008





Space cowboys, Clint Eastwood, 2000
J'ai l'impression que ce Eastwood est un peu mésestimé, jugé au mieux anecdotique au pire ridicule. Pour ma part, j'avais été conquis dès sa découverte en salle. Le pitch est osé, assurément. Comment concevoir en effet qu'un gros studio comme la Warner accepte de produire un film ayant pour héros des représentants du troisième âge, donc à mille lieues des contingences marketing ? D'entrée de jeu, Space cowboys fait donc  déjà figure de petit miracle.


Le réalisateur désormais septuagénaire nous offre un regard sur la vieillesse sans condescendance, un mariage harmonieux entre comédie, drame et film d'action. On est épaté du début à la fin par la fluidité sans faille de la mise en scène comme par la qualité de l'interprétation, en particulier un Tommy Lee Jones plus que parfait, profondément humain. Le long-métrage n'est pas loin de ressembler parfois à un film de potes, et les yeux rieurs du quatuor de papys laissent facilement deviner l'amusement réel qui dut être celui des comédiens sur le plateau. Les effets spéciaux qui m'avaient énormément impressionné en salle tiennent bien la route et j'adore la façon dont le vieux satellite russe est doté d'une vraie personnalité grâce à son design, son animation et ses effets sonores. Le dernier plan du film est fabuleux, un véritable poème. Plus qu'un agréable divertissement, Space cowboys est une œuvre émouvante et belle, d'une inattendue mélancolie, et que je prends énormément de plaisir à revoir.





Mystic river, Clint Eastwood, 2003
Une tragédie d'une densité assez éprouvante, un film tendu et douloureux servi par une troupe d'acteurs éblouissants. Clint ne fait appel qu'à des têtes connues sans que l'on perde de vue le personnage derrière la star et sans non plus tomber dans le numéro d'acteur, chacun jouant sur une gamme à la fois différente et complémentaire. Je demeure en admiration devant la moindre subtilité du jeu des interprètes. L'histoire est d'autant plus bouleversante qu'on sait assez vite qu'il ne pourra jamais y avoir d'issue dès lors qu'il est question d'enfance gâchée. La quête d'absolution n'aboutira qu'à un écœurant simulacre où nul ne sort libéré de son propre drame, de sa culpabilité. 


Fidèle à lui-même, le regard du cinéaste ne vient juger personne, il se pose avec une douceur et une honnêteté désarmantes sur des événements bien atroces qui résonnent profondément en nous, car ils brassent finalement des inquiétudes et des sentiments  universels. Un très beau film, d'une cohérence formelle indiscutable, y compris dans son emballage musical très sobre, et dont je suis encore loin d'avoir fait le tour.



Million dollar baby, Clint Eastwood, 2004
Ce titre restera éternellement associé pour moi au souvenir d'une séance de cinéma magique, où la salle a atteint une parfaite harmonie avec le spectacle sur l'écran. L’objectivité du spectateur est une chimère, qu’on peut prétendre approcher dans certains cas. Mais lorsqu’il s’agit de Clint, il faut accepter de me voir quasiment conquis d’avance, fétichisant le moindre élément composant le film (la seule apparition du logo Warner bros. suffisant à démarrer mes frissons). Million dollar baby s'est donc imposé à moi comme une œuvre magnifique, presque hors du temps. À plusieurs reprises, je me faisais en effet la réflexion qu'il n'était pas si évident que ça de situer l'action à une époque précise. Tout — des décors aux personnages — semble figé dans une sorte d’entre-deux mondes : le passé et l’avenir, la faute et le pardon, l’ombre et la lumière. Un lieu où les fantômes du passé ont leur place. 


J'adore ce goût que cultive le réalisateur de film en film pour le clair-obscur, la sous-exposition à la limite des conventions admises par les majors qui le financent. Ici, on atteint de nouveaux sommets, et Tom Stern mérite désormais pleinement sa place aux côtés des fidèles Jack Green et Bruce Surtees. La découverte de cet univers visuel en scope a fait son petit effet à l’ouverture du film, avec ces ambiances nocturnes aux frontières du réel. De même, le travail sur le son est tout à fait remarquable, dynamisant incroyablement les scènes de boxes, elles-mêmes brillamment chorégraphiées. Toujours fidèle au poste, le vétéran Buddy Van Horn s'est surpassé : les coups font mal, et la succession de KO est franchement spectaculaire. Eastwood manipule son spectateur en maître. J’ai rarement eu à ce point l’impression de faire corps avec un film. 


La progression optimiste de la première partie m’a mis en confiance. Les personnages parviennent à se sortir des pièges qui se dressent sur leur chemin, le film évitant ou traitant avec subtilité certains passages obligés. Par exemple, on sait très bien que Clint va accepter d’entraîner Swank, et qu’elle se révèlera douée. Mais là n'est pas l'essence du film. Le spectateur est pris par la main et baladé d'une émotion à l'autre, il commence à se plaire au milieu de ces personnages attachants, même si tout n’est pas rose, comme dans la vie. Le match à Las Vegas arrive alors, particulièrement chargé d'espoirs. Après quelques difficultés, notre héroïne semble en passe de remporter la victoire et Clint choisit de la mettre à terre à ce moment-là, ce qui produit un effet assez inouï, qui m’a personnellement laissé le souffle coupé. C'est peu de dire que l'interprétation de Hillary Swank est magistrale. On oublie complètement l’actrice au profit de cet incroyable personnage plein de ténacité. Quant à Clint, plus j’y repense, plus je me rends compte de la puissance de sa performance, toute en intériorité, jusqu’à cette scène hallucinante où son visage en larmes se décompose littéralement face au prêtre. Son personnage est vraiment riche, avec son questionnement sur la foi, sa quête d'une famille, et tout un tas d’autres trucs qui ne s’expriment pas mais qu’on ressent (les non-dits sont ici particulièrement prégnants), et que Gran Torino viendra encore prolonger. 


Le texte narré en voix off par Freeman est sublime et les échanges entre les deux vieux briscards sont à la fois pleins de malice et lourds du poids du passé. Clint parvient ici à une alchimie assez rare, pour une œuvre qui ne me semble jamais tapageuse ou malhonnête sur un sujet difficile, où la vie finit quand même par sortir gagnante (magnifique dernier plan). Lorsque les lumières sont revenues dans la salle, les applaudissements spontanés des spectateurs célébraient comme rarement un authentique sentiment de fusion. Au final, je crois que j’ai été autant bouleversé par l'émotion que charrie le récit que par la réussite cinématographique que représente ce film.






Flags of our fathers (Mémoires de nos pères), Clint, 2006
Un grand et beau film — aussi surprenant par sa façon de déjouer les attentes du film de guerre, que complexe par son propos. Eastwood obtient ici des moyens impressionnants pour une reconstitution audacieuse, mais au service d'une atmosphère profondément triste. Aucun manichéisme, une volonté d'être juste avec tout le monde en n'oubliant personne. Scène absolument formidable, le buffet avec les mères des soldats contient le discours de quasiment tout le film. Flags of our fathers se révèle alors une passionnante réflexion sur la médiatisation en tant qu'arme politique, cette capacité d'une nation à préférer vivre dans la fable. C'est un faux film de guerre à l'approche très originale, pour ne pas dire inédite. J'ai aimé la façon dont les soldats revivent par flash le champ de bataille et je trouve assez admirable de construire un film sur l'histoire d'une photographie, point de départ faussement dérisoire qui renferme un véritable océan de drames humains. Clint retarde l'instant décisif du cliché sans jamais chercher à faire le malin. Les scènes de guerre sont éprouvantes, aucun plan ne respire la facilité, et c'est même généreux en gore. 

À l'époque de Firefox puis de Space cowboys, Eastwood déclarait que ça l'ennuyait de tourner des films à effets spéciaux. On peut dire là qu'il s'est lâché mais je ne trouve pas qu'il se soit perdu pour autant, démontrant au contraire une époustouflante maîtrise, qui lui permet de nous plonger viscéralement au cœur de cette atroce mêlée, sur ce bout de rocher infernal qu'est l'île d'Iwo Jima. Il m'a fallu cependant un peu batailler contre moi-même et ma vénération pour le reconnaître, mais la construction très éclatée du récit m'a paru parfois confuse. Et le récit est un peu plombé par un épilogue qui n'en finit pas de conclure sur fond de ritournelle bluesy, au point d'assécher un peu toute l'émotion accumulée. Cela dit j'ai beaucoup aimé le dernier plan, image faussement apaisée du passé, pause presque irréelle qui deviendra pour les personnages un moment d'une saveur inégalable. 



Letters from Iwo Jima (Lettres d'Iwo Jima), Clint Eastwood, 2006
Une production courageuse. Eastwood s'offre le luxe de produire un film à gros budget, tourné avec un casting japonais dans leur langue. Côté pile du diptyque qu'il compose avec Flags of our fathers, le film est cependant plus classique dans son propos comme dans sa forme, qui est beaucoup plus linéaire que le premier volet. 

Derrière la reconstitution toujours aussi spectaculaire de la bataille d'Iwo Jima, Eastwood ne renouvelle en effet pas véritablement le film de guerre. Le spectacle est une nouvelle fois impeccable, mais au service d'une dénonciation attendue de l'aveuglement militaire et des horreurs du champ de bataille. Sa seule, mais néanmoins appréciable originalité, est de nous proposer le point de vue de l' "ennemi". Et c'est évidemment moins les scènes de guerre qui passionnent que les moments d'accalmie qui permettent de caractériser les personnages avec un louable souci de justesse, offrant à l'occasion d'authentiques instants de poésie. C'est certainement un film qui mérite d'être revu, réexploré, sans forcément le mettre en concurrence avec le précédent afin de ne pas lui faire d'ombre.




Changeling (L'Échange), Clint Eastwood, 2008
J'ai été happé par cette histoire, d'autant plus édifiante qu'elle est inspirée d'un authentique et atroce fait divers. Derrière la maestria de la reconstitution d'époque, Changeling est un film franchement troublant par son sujet et par la façon dont le metteur en scène élargit progressivement le champ d'action de son récit, qui prend une ampleur inattendue, comme si, plus libre que jamais, il n'hésitait pas à creuser chaque nouvel élément mis en lumière par son point de départ. Ça démarre par une situation à la limite du fantastique, avant de basculer dans un cauchemar qui affirme au contraire impitoyablement son ancrage dans un monde bien réel. 

Angelina Jolie trouve le juste ton pour incarner ce petit bout de femme brutalement basculée dans un drame, qu'on tentera d'instrumentaliser pour des raisons politiques avant de vouloir la faire taire. D'une élégance absolue dans sa mise en scène, le film est à la fois passionnant, et puissamment bouleversant, posant comme souvent beaucoup plus de questions qu'il n'apporte de réponses. C'est clairement pour moi l'un de ses films les plus forts, et qui témoigne clairement que le cinéaste conserve malgré les années un talent et une audace intacts. 



DOSSIER CLINT EASTWOOD :

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