6 décembre 2015

Walt Disney pictures presents : Fantasia (1940-2000)

Fantasia, 1940
J'ai découvert relativement tardivement ce film dont les images m'avaient durablement fasciné. Pensé comme une production quasi-expérimentale, Fantasia est un film franchement impressionnant par son audace. Il témoigne de l'aboutissement de toutes les recherches sur l'animation et le son entreprises par Walt Disney depuis les Silly symphonies. Derrière l'image de l'homme d'affaires, il ne faudrait en effet pas oublier que Disney a dès ses débuts cherché à innover, à faire œuvre de pionnier, imaginant de nouvelles techniques (caméra multiplane), exploitant le parlant, puis le son multicanal (Fantasound) et faisant entrer le Technicolor dans ses films bien avant les autres. Ici c'est d'autant plus audacieux que la musique sera reine. Aucun dialogue, aucun bruitage, tout devra passer par l'association entre le rythme, les instruments et l'animation ; telle est la règle. Le concept du concert avec le chef d'orchestre et les musiciens visibles en ombres chinoises est tout à fait pertinent et me semble bien répondre à la démarche d'Oncle Walt qui voulait rendre un sincère hommage à la musique classique, en ne l'utilisant pas comme une simple illustration, mais en proposant une sorte de spectacle total, qui à l'origine du projet devait aussi se passer dans la salle.  Tant qu'à faire, il fait donc appel aux plus grands, en la personne de Leopold Stokowski dirigeant le Philadelphia orchestra.

Mission est confiée aux réalisateurs et animateurs d'exploiter au maximum les possibilités techniques de l'animation. Cette idée de réaliser l'alliance ultime du son et de l'image est merveilleusement incarnée par les équivalences graphiques imaginées sur la Toccata et fugue en ré mineur de Bach, ainsi que lors de l'amusante prestation de la piste sonore. Ici on est complétement dans l'art abstrait, notamment celui d'une certaine avant-garde des années 20 qui s'efforçait de représenter le son par les formes et les couleurs. Fantasia s'impose ainsi d'entrée de jeu comme une production à part, qu'il ne me semble pas si évidente que ça à recommander à un jeune public étant donné l'absence de parti-pris narratifs sur la plupart des courts. 


Tous me semblent remarquables à plus d'un titre. Certains effets sont tout simplement prodigieux, en particulier le rendu des éléments liquides : les trombes d'eau dans L'Apprenti sorcier, ou la lave préhistorique dans Le Sacre du printemps. Le segment sur les dinosaures était d'ailleurs celui que j'étais le plus impatient de voir mais ce n'est pas forcément celui que j'ai préféré. Visuellement, le monde mythologique de La Symphonie pastorale est peut-être le plus risqué, oscillant entre un kitsch douteux (les petits poneys multicolores) et une exquise sensualité (l'animation des centaures). Quant au ballet des animaux de La Danse des heures, c'est un pur chef-d'œuvre, incroyablement subtil. La gestuelle de l'hippopotame en tutu est à elle seule un morceau d'anthologie. Et que dire du magnifique et terrifiant demon de La Nuit sur le Mont Chauve, vision aussi impressionnante que fascinante qui porte le film à son paroxysme avant de laisser place aux fragiles et envoûtantes images de l'Ave Maria de Schubert qui clôture le voyage en toute délicatesse.




Fantasia 2000
L'idée d'une suite à Fantasia correspondait aux intentions premières de Walt Disney. Follement ambitieux, le film de 1940 demeurait un des plus gros échecs commerciaux du studio. Mettre en chantier un nouveau volet cinquante ans plus tard était donc assez inespéré. C'est uniquement la volonté de Roy Disney qui a rendu ce projet possible. Le neveu de Walt est à cette époque une figure tutélaire, peut-être le dernier garant de l'héritage. Le projet Fantasia 2000 ne sera donc pas particulièrement soutenu par les dirigeants du studio, tout juste considéré comme une opération de prestige, dont on autorisera le développement au fil des années, en parallèle des gros projets de long-métrages. Mais pour les animateurs maison, c'est un rendez-vous qu'ils n'auraient manqué pour rien au monde. Car c'est vraiment une chance unique qui leur fut offerte ici de ressusciter les ambitions artistiques et techniques de Walt, développant notamment des concepts qui n'avaient pu aboutir en 1940. Et cette fois, c'est sous la baguette de James Levine dirigeant le Chicago symphony orchestra, que le spectacle est mené. 

Ayant à cœur d'être au top de la technique de son temps, exactement comme son prédécesseur, le film a été d'abord développé pour une projection en salle Imax. C'est dans ce contexte que je l'ai découvert à sa sortie (et nous n'étions pas nombreux dans les gradins). J'avoue que je n'ai pas du tout été convaincu par l'expérience, l'écran incurvé déformant complétement les angles et faisant tristement perdre le sens du cadre. Et pourtant, malgré ces conditions de visionnage, le film m'est apparu plastiquement si grandiose que je n'ai pas pu le concevoir autrement que projeté sur grand écran. Fidèle aux ambitions du premier volet, Fantasia 2000 s'efforce de rendre compte du niveau de maîtrise auquel est parvenu ce qui est censé être le meilleur studio d'animation du monde. En cette fin de XXe siècle, la technique de l'image animée par ordinateur est déjà acquise (Toy story 2 vient de sortir). On assistera donc ici au mélange d'image de synthèse et de dessin traditionnel. Mélange parfois heureux (la poétique séquence des baleines volantes), parfois moins grâcieux (l'assez laid Petit soldat de plomb).



Il y a néanmoins de formidables réussites, l'une des plus mémorables étant le Rhapsody in blue au graphisme énergique, hommage direct au caricaturiste américain Al Hirschfeld Transposition pertinente de la géniale partition de Gershwin, cette séquence exploite intelligemment tout le dynamisme du trait d'Hirschfeld sur fond de New York jazzy. On retrouve pour mémoire l'Apprenti sorcier qui s'affirme comme emblématique du titre. Mais le sommet de cet ensemble est le somptueux Oiseau de feu de Stravinsky réalisé par les frères Brizzi aux studios parisiens de Disney. Véritable ode poétique et émouvante au cycle de la Nature, d'un expressionnisme bouleversant, ce segment est un pur chef-d'œuvre de lyrisme animé. Ma découverte tardive du Fantasia de 1940 me confirmera, s'il en était encore besoin, que ce millésime n'a finalement vraiment pas à rougir de son prédécesseur en terme de qualité. Je me suis alors pris à rêver d'un troisième volet, qui serait conçu avec les mêmes exigences, et j'ai appris que le projet a réellement été envisagé malgré l'insuccès commercial renouvelé. Mais si quelques courts-métrages furent effectivement développés et finalisés, ils n'ont jamais été réunis au sein d'un programme équivalent, demeurant de fait plus confidentiels.




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