13 janvier 2016

Deux Bouzard

(avec Druilhe) Les Pauvres types de l'espace, 1995
La date : un après-midi de vacances estivales de l'an 1993. Le lieu : un camping de l'île d'Oléron. Les acteurs : Guillaume Bouzard et Pierre Druilhe. Ces deux camarades dessinateurs, encore loin de la gloire et du prestige qu'a désormais acquis leur carrière auprès de la profession, décident de meubler leur désœuvrement en entamant un cadavre exquis en bande dessinée. Chacun se chargera d'improviser une planche en réponse à celle de l'autre qui l'a précédé, etc. Ce petit jeu de ping-pong scénaristico-graphique va les occuper à tel point que cela aboutira à un véritable album de 56 pages, l'un des premiers publiés par la désormais vénérable maison 6 Pieds sous terre.

Bouzard démarre donc le récit par ce qui s'annonce comme une parodie débridée de science-fiction, avec extra-terrestres crétins et catastrophes intersidérales. Par la suite, chaque auteur va rivaliser d'humour et de sadisme pour rendre les péripéties de plus en plus improbables, tendant des pièges à l'autre par des cliffhangers irrésistibles lorsqu'arrive le bas de page. Petit à petit, l'histoire se développe, le dessin évolue et s'affirme, de nouveaux personnages interviennent, jusqu'à ce que le délire extraterrestre se propage sur Terre, avec un atterrissage au milieu d'un camping où passent leurs vacances deux mecs qu'on n'aura pas de mal à identifier comme étant les auteurs eux-mêmes. 

C'est véritablement cette pseudo-mise en abîme qui achève de faire de cet exercice déjà très drôle une réussite artistique, en même temps qu'un document précieux quant à la suite que donnera en particulier Bouzard à son œuvre. Car ce ne sont rien de moins que les prémices du mythique Plageman qui nous sont ici donnés à voir, en même temps que la future tendance de l'auteur à la bande dessinée autobiographique. Voici donc un des rares cadavres exquis en BD réellement convaincant.




(tout seul) The Autobiography of me too two, 2005
Pour la deuxième fois, le génial créateur de Plageman a assemblé ses planches précédemment publiées dans Psikopat. Bouzard a une façon bien à lui de penser la bande dessinée autobiographique, sans lourdeur ni naïveté. C'est un exercice qu'il pratiquait déjà du temps de ses premières publications dans la revue Jade, et qu'il a toujours approché de façon singulière. S'il se met en scène dans son quotidien, c'est pour transfigurer totalement ce dernier par le prisme de l'humour et par son talent graphique. L'auteur n'a d'existence en tant que personnage que parce qu'il devient un héros typique de son propre univers ; tantôt loser héroïque, tantôt winner pathétique.


Expressions et attitudes de l'auteur sont un régal à détailler, et c'est d'autant plus impressionnant que le cadre a été volontairement rendu étroit. Chaque planche est systématiquement composée sur la même grille de quatre cases sur trois, procédé qui permet d'étonnantes expérimentations et un rythme d'une géniale efficacité comique. 

Entre le récit démystifié d'un festival, son goût pour les vides-greniers et ses délirantes confrontations avec Flopi le chien, chaque nouvelle histoire est un moment d'intense jubilation. C'est drôle, c'est beau. Un talent à part.

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