3 mars 2016

Des Livres d'Eco

Le Pendule de Foucault, 1988
Un roman gourmand, dont l'épaisseur n'est en rien indigeste. Je reconnais pourtant avoir du bien m'accrocher sur les premières pages, quand bien même il est rare que j'accepte d'abandonner une lecture en route. Le goût d'Umberto Eco pour les digressions poétiques un peu complaisantes m'a parfois agacé. Mais cet étalage se révèle avoir ici parfaitement sa place, et c'est bien ça qui impressionne et rend la lecture franchement jubilatoire. Et surtout c'est ça qui finira par laisser une trace dans ma mémoire de lecteur.

L'auteur du Nom de la rose brasse ici avec une incroyable aisance l'essentiel du savoir ésotérique, relie les grands mythes et les vieilles légendes, du Graal à l'occultisme nazi, des Templiers à la Kabbale, en passant par les Assassins et la science cartographique. Et je veux bien croire qu'il s'est à chaque fois parfaitement documenté. C'en est même parfois fascinant lorsqu'il évoque avec précision certains rites qui sont censés être secrets. Et pour peu que le sujet abordé vous intéresse, vous êtes alors ravis de pouvoir bénéficier d'autant de développements. Tout cela prend place au sein d'une intrigue à tiroirs pleine de révélations qui en fait un peu un modèle du roman de complot très à la mode depuis Dan Brown. Les personnages ne sont pas pour autant oubliés et on trouve pas mal de portraits réellement touchants, le récit tout entier étant baigné dans une sorte de nostalgie due au fait qu'on voit tout ce beau monde vieillir et mettre à l'épreuve ses idéaux.




L'Île du jour d'avant, 1994
Toujours cette inévitable tentation de la comparaison : ce titre m'a en effet, et à mon grand regret, nettement moins emballé que le précédent. On retrouve pourtant bien le style flamboyant de l'écrivain italien, capable de partir dans de vertigineuses digressions souvent savoureuses. Il est ici beaucoup question de géographie, de science et de théologie, avec en toile de fond toute une réflexion sur l'invention romanesque, l'ensemble s'inscrivant dans un récit de naufragé au XVIIe siècle. Ces éléments avaient donc tout pour me séduire.

Mais la virtuosité certaine de Monsieur Eco m'a un peu lassé, tant je finissais par être dépassé par certains développements où je n'arrivais plus à saisir en quoi cela m'aidait à m'intéresser au parcours du protagoniste. Il y a assurément de belles pages, des moments très drôles et de géniales trouvailles, mais je sais que j'ai survolé d'un peu loin pas mal de passages aussi, presque pressé d'en voir le bout. Aujourd'hui, les traces de ce voyage se sont bien estompées, et contrairement aux autres romans de l'auteur, je ne ressens pas particulièrement le désir de m'y replonger.




Le Cimetière de Prague, 2010
Les superlatifs me manquent pour qualifier cette lecture qui fut un moment enthousiasmant du début à la fin. Diaboliquement inspiré, maîtrisant parfaitement son sujet et ses moyens, Eco exploite une quantité phénoménale d'éléments historiques pour tisser un roman à l'épatante cohérence, où il est question de faux et d'imposture, thèmes qui sont incontestablement au cœur de son œuvre et qui ont ici trouvé un sujet idéal de la fabrication des Protocoles des sages de Sion à l'Affaire Dreyfuss. 

Dans sa construction comme dans ses idées, c'est un texte souvent génial au service d'une histoire absolument fascinante. Un voyage romanesque dans les tourments politiques et idéologiques du XIXe siècle qui semble brasser tous les soubresauts de cette époque, et annoncer les drames de la suivante. Eco y multiplie les registres, avec une ironie qui pastiche à s'y méprendre le style des romanciers de ce XIXe siècle. Du très grand art, intelligent, édifiant et parfaitement divertissant.




(avec Jean-Claude Carrière) N'espérez pas vous débarrasser des livres, 2009
Il s'agit de la retranscription d'une discussion passionnante entre ces deux amoureux maladifs du livre, deux hommes qui connaissent les deux côtés de la barrière, en tant qu'auteurs, lecteurs et bibliophiles (ou bibliophages ?). La conversation est ouverte, sans intermédiaire, vivante, donc agréablement désordonnée, passant sans réel plan du coq à l'âne. Comme on peut s'y attendre avec ces deux personnalités, c'est formidablement informé, intelligent, parfois même drôle, et ne manque certainement pas de pertinence. 

Eco et Carrière y retracent tout ce qui a fait l'histoire de la lecture et des livres (en écho au travail d'un Alberto Manguel), et ce qui fait que ceux-ci demeureront irremplaçables, même à l'heure du tout numérique. Et ça aurait pu se prolonger encore que ça ne m'aurait pas déplu. 

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