28 mars 2016

Le Cinéma d'Anthony Mann

Bend of the river (Les Affameurs), 1952 
Second des cinq westerns de la collaboration Anthony Mann James Stewart. On y croise un Arthur Kennedy éblouissant, qui forme avec Stewart un chouette duo très attachant. Les deux hommes ont un passé de bandit, ils connaissent la valeur l'un de l'autre sans se juger uniquement sur leurs erreurs. J'ai une vrai affection pour ces westerns où les personnages charient avec eux le poids du passé, se faisant reconnaître partout où ils vont parce que leur nom est quasiment déjà entré dans la légende. La seule fausse note serait peut-être le rôle ingrat et assez inutile de Rock Hudson, que l'acteur tout jeunôt ne parvient jamais à transcender.

Derrière la passionnante description, presque documentaire dans son observation, de la difficile vie des pionniers, et au-delà du film d'aventure trépidant, Mann trouve ici le terrain idéal pour une réflexion aussi simple que profonde sur la dualité humaine, la corruption des cœurs (causée ici par la découverte de l'or) et le droit à l'amendement. Ce que j'adore chez ce cinéaste, c'est sa façon de faire soudain surgir la cruauté et la violence la plus inattendue dans un film au rythme a priori si paisible. On pourra à la rigueur regretter que le suspense disparaisse un peu dans le dernier quart du film, s'acheminant alors vers un happy end sans surprise. Un très beau film, riche en émotions et en chaleur humaine.




The Man from Laramie (L'Homme de la plaine), 1955
Si le terme de western classique a un sens, je trouve qu'il s'accorde bien à ce film, qui grâce à un récit riche en atmosphère rend vraiment palpable cette époque et les gens qui l'habitaient. Le rythme en apparence paisible du film permet de mieux préparer l'ahurissement du spectateur causé par la soudaine violence que subit Stewart au milieu du métrage, faisant ainsi basculer tout le film vers un autre récit. 

C'est une cruauté que je n'attendais pas et qui laisse vraiment sa trace dans ma mémoire. C'est là qu'on se dit que ça ne rigole plus et qu'on n'est pas dans une gentille évocation pittoresque de l'Ouest. Une noirceur qui culminera jusqu'à la quasi-abstraction dans Man of the west, autre film-parfait dans la carrière de Mann.






Men in war (Côte 465), 1957
Avec très très peu de moyens (une vingtaine d'hommes, une jeep, quelques explosifs), ce qui rappelle un peu le Attack ! que Robert Aldrich tourna l'année précédente, Mann offre un portrait saisissant des hommes en guerre au cœur d'une Nature sauvage. Aucun commentaire n'est fait sur les raisons géopolitiques du conflit. Ça pourrait se passer en Corée comme dans les Ardennes. On cherche ici à atteindre une dimension universelle. Le jeu assez naturaliste des acteurs rend bien compte du sentiment de la peur au ventre éprouvé par ces soldats, totalement abandonnés. Face à une situation qui semble désespérée, il semblent n'avoir plus de compte à rendre qu'à eux-même. À chacun sa stratégie, et le comportement révoltant du soldat joué par Aldo Ray s'avérera plus d'une fois être justifié par la situation. 

Comme toujours, Robert Ryan a une belle classe de baroudeur. Le final est assez beau dans son absurdité, avec un rythme bizarre, donnant l'impression que le film s'invente au fur et à mesure, les personnages ne sachant plus vraiment quel est leur objectif. Même la musique d'Elmer Bernstein est intelligemment raccordée aux images, créant d'étonnants moments de poésie (comme ce soldat disposant des fleurs sur son casque). Un remarquable film de guerre.




Man of the west (L'Homme de l'Ouest), 1958
Sans doute le chef-d'œuvre de Mann, qui contrairement à ce que promet son affiche, propose de transcender le western traditionnel, que le réalisateur avait lui-même contribuer à façonner. C'est aussi passionnant que perturbant d'assister ici à un véritable assèchement des figures habituelles du genre : l'attaque du train, la ville fantôme. De même, lorsque Mann nous impose une scène de strip-tease avec Julie London qui s'avère bien plus dérangeante qu'excitante, on devine une volonté impitoyable de secouer le spectateur.

À l'image de son titre impersonnel au possible, Man of the west, c'est vraiment les funérailles du western. Nul héroïsme, nulle gloire au bout du chemin. Les héros sont fatigués comme on dit, et l'ex-bande de Gary Cooper apparaît effectivement comme des pauvres fantômes pleins de toiles d'araignées, alors que lui-même est engagé sur la voie de la civilisation et du progrès, arraché une dernière fois, le temps du film, à la voie qu'il avait décidé de suivre.




El Cid (Le Cid), 1961 
Entré comme nombre de ses confrères dans l'ère de la supercoproduction européenne, Mann débarque en Espagne pour mettre en scène la formidable épopée de don Rodrigue, matériau idéal qui contient tous les ingrédients nécessaires à un grand film. Le genre n'a pas encore sombré dans les abîmes du cinéma bis, et la promesse de spectacle de prestige est tenue tout du long. J'adore ce film dont de nouvelles beautés se sont révélées à moi lorsque j'ai eu l'occasion de le revoir sur grand écran, support pour lequel il a clairement été pensé : magnificence du scope, intelligence de la mise en scène, du cadre, avec cette magistrale répartition des milliers de figurants, de leurs mouvements, des couleurs de leurs costumes. Les décors ne sont pas en reste et la caméra de Mann trouve toujours l'angle le plus juste par rapport à ce qu'elle a à raconter. 

Les scènes anthologiques ne manquent pas. Tout cela est merveilleusement soutenu par la justesse des dialogues et du scénario. Intrigues politiques et romance se mêlent avec force et poésie, entre l'épique et l'intimisme, donnant lieu à de très beaux moments. Ainsi l'attente parallèle de Rodrigue et de Chimène lors de leur nuit de noce, résistant au feu de la passion, s'efforçant d'attiser une haine à laquelle ils ont trop de peine à croire. Et puis ce final incroyable, chargé en émotion, où le Cid rejoint définitivement la légende. Ébourriffant !




The Fall of the roman empire (La Chute de l'empire romain), 1964
Après la tentative avortée du Spartacus qu'il commença mais qui sera repris par Kubrick, Mann a enfin l'occasion de signer son peplum. Prenant place à la même époque que celle que choisira d'illustrer le Gladiator de Ridley Scott, The Fall of the roman empire fait pour moi partie des réussites d'un genre trop rarement inspiré, dôté qu'il est d'un scénario étonnamment ambitieux.

Inévitablement, parce que ce genre appelle la surenchère, le film accuse tout de même quelques pénibles longueurs. Mais il contient suffisamment de superbe moments pour porter haut l'enthousiasme du spectateur. Le casting est notablement illuminé par les présences d'Alec Guinness et de Sophia LorenGrand spécialiste des cascades et réalisateur de seconde équipe, Andrew Marton avait supervisé pour le Ben-hur de Wyler une course de char entrée dans l'Histoire. Cette nouvelle production lui donne l'occasion de prolonger l'exercice en allant encore plus loin, avec cette fois une véritable poursuite en char totalement ahurissante, étrangement et injustement moins souvent citée.

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