13 avril 2016

Des films d'Howard Hawks avec John Wayne

Rio bravo, 1959
Avec la comédie, le fantastique, le film de guerre et le film noir, le western est l'autre genre auquel Hawks a donné ses lettres de noblesse. Dans cette catégorie, Rio bravo est LE classique absolu, une pépite qui respire l'aisance et la maîtrise. Le film atteint en effet une merveille d'équilibre entre l'intimisme délicieux des scènes dialoguées, et la tension éprouvante et palpable qui éclate dans le gunfight final anthologique. Magnifiquement construite, chaque séquence est une leçon de mise en scène, et le réalisateur parvient véritablement à faire exister à l'écran cette ville pourtant seulement résumée à une rue, son saloon et sa prison. 

N'ayant toujours rien renié de sa contribution aux screwball comedies, Hawks nous régale des dialogues impayables entre Angie Dickinson et the Duke, des allusions tendancieuses entre the Duke et Dude (Dean Martin), de la fraîcheur de Ricky Nelson, et de la bonhommie de Walter Brennan, qui ne sombre jamais dans le cabotinage pénible. Signées de la grande Leigh Brackett, les répliques sont excellemment écrites, pleines de bons mots discrets. Et je me réjouis de l'importance accordée ici à la musique de Dimitri Tiomkin, son superbe thème mariachi Deguella, sans parler de l'immortel duo chanté par Martin et Nelson, vraie parenthèse narrative comme on pourra la retrouver plus tard chez un Godard ou un Tarantino



Hatari !, 1962
Déjouant les étiquettes faciles, le film nous invite en quelque sorte à passer nos vacances au Tanganyika, dans la délicieuse atmosphère d'un lodge tenu par John Wayne. Au programme : safaris et soirées à picoler et à chanter. Et on s'y croit vraiment, d'autant mieux aidé que le film s'offre le luxe d'une durée conséquente. Les personnages sonnent vrais. On est bien chez Hawks avec encore une histoire d'hommes, au milieu desquels un élément féminin va tenter de s'intégrer. L'occasion de tresser de nouveaux lauriers à Leigh Brackett et à ses dialogues savoureux, aux symboliques osées (en gros l’histoire du film, c’est littéralement Wayne et ses problèmes de nœuds). C'est super drôle et incroyablement décontracté. Hatari ! prend parfois des allures de grosse comédie carrément cartoonesque, avec le cabotinage de Red Buttons, le seau sur la tête du Duke et plein d’autres situations hénaurmes qui culminent dans le final avec la poursuite des éléphanteaux en ville, digne de Blake Edwards

Même si l'Afrique de Hawks semble surtout habitée par des Blancs (français, irlandais, allemands, italiens, américains, mexicains), on n'est pas dans un film où Hollywood cherche à susciter un exotisme gentillet, à base de stock shots et de bons sentiments chrétiens. Wayne et ses potes auraient tout aussi bien pu chasser du mustang sauvage dans les plaines du Montana, ça n'aurait rien changé à leurs relations. Professionnel consciencieux et sans doute bien aidé par ses techniciens, le réalisateur profite de son cadre unique et nous offre des vues spectaculaires de la savane et des véhicules fonçant au milieu de ses animaux. L’implication de ses acteurs y est étonnante et sur certains plans, on devine que Wayne n'est pas loin de se faire encorner. Tout ça crée une alchimie rare, magnifiée par la géniale partition de Mancini.



El Dorado, 1966
Pour son avant-dernier film, HH s'amuse avec les icônes de son cinéma et en particulier de ses westerns. Avec sa seconde partie qui met en scène le siège de la prison d'une petite ville texane près de la frontière (El Dorado, donc), deux as de la gâchette dont un ivrogne, un jeunôt et un vieux briscard, le film apparaît clairement comme une variation autour de Rio Bravo. Ce qui va caractériser cet El Dorado, c'est un ton particulièrement ironique, ainsi que le sentiment d'une époque révolue. Ainsi, confortablement installé dans le spectacle de ces bonnes vieilles gueules de Wayne et Mitchum, quelle ne fut pas ma surprise de voir soudain débarquer un James Caan tout jeunôt, représentant une nouvelle ère du cinéma, qui même dans le film passe pour un extraterrestre avec son chapeau indien. Son surnom, Mississippi  est comme un écho évident à Colorado, le personnage de Ricky Nelson dans Rio bravo. De même, la force de caractère de la jeune fille McDonald à la crinière sauvage, semble sortir tout droit d'une gamine de l'Amérique des 60's. Même la musique western de Nelson Riddle a des accents parfois agréablement pop — le son est d'ailleurs important dans le film, entre le coup du pianiste qui joue faux et les cloches de l'église qu'on fait tinter pour débusquer les tireurs.

Au milieu de tout ça, quelques légendes de l'Ouest survivent. Leur réputation est bien établie, leurs réflexes intacts, mais les héros sont fatigués et le corps ne suit plus. Ainsi, Mitchum, présenté au début comme un super-sheriff dans son joli costume, devient peu après une épave pathétique et comique à la fois (je mets des guillemets parce qu'avec lui dans ce registre, ce n'est pas forcément de la composition). La scène où on lui prépare un breuvage de sorcier indien pour qu'il dessaoule est particulièrement savoureuse. De son côté, le Duke est toujours aussi imposant, mais doit subir des crises qui le laissent à moitié paralysé, à cause d'une balle qui n'a pas été retirée. Ces deux éclopés forment un tandem irrésistible, dans une franche camaraderie assez typique chez Hawks. L'ambiguité de certains de leurs échanges est incontestable, identique à ce qui pouvait exister là encore entre Dean Martin et Wayne dans Rio bravoL'affrontement final contre les bad guys — pas si bad que ça, puisque parmi eux se trouve une autre légende de l'Ouest qui partage le même code d'honneur — sera sans panache.*

Les dialogues de la fidèle Leigh Brackett font merveille, avec pas mal de running gags (Mitchum demandant sans arrêt à James Caan qui il est). La parodie et le vaudeville ne sont jamais loin, et on rit franchement et très souvent au cours du film. Sur le plan de la mise en scène, si j'ai trouvé les scènes d'exposition un peu lourdes, la suite est vraiment d'une grande classe et culmine lors de l'attaque de l'église, magnifiquement découpée. Hawks parvient parfaitement à rendre l'impression qu'à cette époque, sur ces terres-là, on n'est jamais à l'abri d'un tireur embusqué et qu'il vaut mieux assurer ses arrières en toutes circonstances. On pourrait à la rigueur relever deux-trois petites fautes de goût (le coup foireux de James Caan vaguement déguisé en Chinois, ou son plongeon sous les sabots des chevaux, grossièrement monté), mais à l'arrivée El Dorado demeure un spectacle jubilatoire et recommandable.


*SPOILER : Wayne et Mitchum, physiquement diminués, ont recours à une ruse finalement assez traître, et Wayne écopera même d'une blessure provenant du tromblon de James Caan ! Le dernier plan où on les voit tous les deux sur leurs béquilles, couple à la ville enfin réuni, est tordant.




DOSSIER HOWARD HAWKS :

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