11 mai 2016

Le Cinéma de Steven Spielberg I. 1974-1984

The Sugarland express, 1974
Premier film de Spielberg pour le cinéma, tourné en scope, avec déjà les complicités de John Williams à la musique (très chouette thème à base d'harmonica, dans une ambiance country pleine de modestie) et Vilmos Zsigmond à la photo, particulièrement solaire. Film sur le mouvement (la route et ce qui se trouve au bout) et sur le désir de retrouver ou reconstruire une cellule familiale protectrice (la voiture qui devient un lieu de vie), The Sugarland express est plein d'idées de mise en scène qui tirent justement parti des décors imposés par son sujet. La maestria avec laquelle le jeune réalisateur filme le ballet des voitures impressionne, et on n'oubliera pas que sur ce sujet, il s'était plus que bien fait la main lors du coup de génie de Duel (1971). 

Inspiré d'un authentique fait divers, le film est un road movie au ralenti. Les poursuites sont assez rares et pendant la majeure partie du métrage, la police est réduite à suivre en une longue file indienne le véhicule du couple en cavale, avec son otage de flic. L'intérêt se porte évidemment sur les personnages, au portrait psychologique complexe et dénué de manichéisme. On se régale de l'intelligence du scénario et des dialogues qui rendent avec justesse les émotions créées par les diverses situations. On en vient ainsi à mieux les connaître et à se prendre d'affection pour eux, tout comme la population texanne qui vient leur montrer son soutien au fur et à mesure du périple. Car Lou Jean et Clovis Poplin n'ont rien à voir avec les amants criminels du type Bonnie & Clyde. Ils ne sont pas dangereux et ne pensent pas à mal. Au passage, le film en profite pour égratigner l'extrémisme de certains citoyens américains, engagés dans des milices et prompts à sortir les armes pour se faire soi-même justice, comme au temps du western.

Spielberg impose un casting aux petits oignons, opposant un vétéran d'Hollywood à de nouvelles têtes. Ben Johnson est excellent et particulièrement touchant en sheriff qui fait son boulot mais souhaite le faire avec dignité et compassion, vrai père de substitution pour le jeune couple en fuite. Avec son physique de femme enfant, Goldie Hawn est parfaite, vivant les événements à fleur de peau, sombrant à l'occasion dans l'hystérie, animée et presque aveuglée par le désir de récupérer son enfant. Dans sa bouche, le mot "Sugarland" sonne comme "Neverland" et devient un lieu mythique, celui de l'enfance. Dans le rôle du mari, William Atherton (le journaliste sans scrupules des Die hard) est vraiment bon, exprimant avec justesse sa condition, entre la réalité qu'il doit gérer et qui le fait pencher dans le monde des adultes et son amour pour Lou Jean qui demande à être vécu avec une simplicité et une inconséquence au contraire juvéniles. Enfin Michael Sacks, qu'on avait remarqué chez George Roy Hill (le Billy Pilgrim de Slaughterhouse-five), compose un flic novice qui va se lier d'amitié avec ses ravisseurs et se révéler finalement lui aussi capable de goûter la puérilité (rien de péjoratif ici). En laissant libre cours à sa fascination pour le monde de l'enfance et à sa volonté d'adopter le point de vue de ses héros, le réalisateur se fait également plaisir en montrant ceux-ci gloussant comme des gosses devant une projection en plein air d'épisodes de Bip-bip et Coyote. On notera aussi une brève apparition de gamins à vélo, figure emblématique de son cinéma.

The Sugarland express est un spectacle qui peut être apprécié à tous âges, sans jamais apparaître pour autant comme une œuvre de compromis. Car les personnages ont parfaitement conscience que leur échappée n'est qu'un leurre, et très vite un sentiment désabusé gagne le spectateur, devant une situation qui apparaît clairement sans issue possible. La fin est magnifiquement amenée et nous offre un plan à contre-jour marquant, qui personnellement m'évoque instantanément son équivalent par Lucas dans le final de THX-1138. Film réellement touchant, sincère et sans épate, c'est sans conteste pour moi un des Spielberg les plus attachants, une pièce musicale jouée en mineur, capable de susciter la joie la plus primitive liée à la fièvre du mouvement, et la tristesse la plus inconsolable. J'y retrouve la même fraîcheur que dans The Rain People de Coppola, qui parvenait pareillement à détendre le spectateur avant de déboucher sur un brutal basculement qui le laissait stupéfait un bon moment.




1941, 1979
Coécrit par le tandem des deux Bob (Gale et Zemeckis) et directement inspiré par l'esprit irrévérencieux et référentiel de Mad magazine, ce quatrième long-métrage de Spielberg est une immense chorégraphie, tant dans les déplacements des personnages que dans ceux de la caméra qui est constamment en mouvements, le réalisateur étant trop content de donner ses lettres de noblesse à la Louma. C'est peut-être le film burlesque ultime, une sorte de point de non-retour. Et à ce titre, la scène de bagarre dans le night club est monumentale. Ça pête de partout, c'est un festival de maquettes, illuminé par un casting de furieux, et c'est blindé de références cinématographiques, comme si Spielberg prenait plaisir à y convoquer tout ce qui a nourri sa passion. On pourra trouver ça lourdaud, et trop long. Personnellement, j'adore d'autant plus que le film a gagné une patine nostalgique sans équivalent en ces temps de tournages sur fond vert et de lissage numérique, sans parler de toute cette troupe d'acteurs.

Après avoir contribué à définir la notion de blockbuster, le réalisateur se voyait ici donner les moyens de faire ce qu'il veut, tel un enfant gâté qui se serait mis le Père Noël dans la poche, un peu comme Scorsese de son côté avec New York New York. Vrai gros bide à sa sortie, le film va sans doute commencer à faire douter Hollywood qui durant toute la décennie avait accepté de faire aveuglément confiance à tous ces prodiges barbus (il faudra attendre le Heaven's gate de Cimino pour définitivement enfoncer le clou de ce cercueil).




E.T. the extraterrestrial (E.T. l'extra-terrestre), 1982
Merveille de chef d'œuvre aussi poignant que libérateur, réalisé avec une sincérité de tous les instants et illuminé aussi bien par la photographie éblouissante au sens propre d'Allen Daviau que par la musique tourneboulante, riche et aérienne de monsieur Williams. Au-delà du phénomène commercial inédit qu'il a incarné, E.T. apparaît aujourd'hui comme un vrai classique du cinéma américain des 80's qu'il faut continuer à revoir. Le film est un miracle de justesse et d'émotion, et c'est davantage ses qualités propres que l'effet nostalgique qui font que je pleure toutes les larmes de mon corps devant la peinture de cette enfance si complice et de ces adultes qui n'ont pas perdu tout espoir.

Je n'ai pas réussi à déterminer si c'est le premier film que j'ai vu en salle de ma vie, mais je garde un souvenir très précis de la séance et des toutes premières images qui avaient suffi à m'impressionner au point de me faire quitter la projection un moment. Dans leur mémoire, les spectateurs ont peut-être surtout retenu à quel point ce film jouait sur la corde sensible, ce qu'ils associent trop facilement à de la mièvrerie. Or, s'il regardaient le film aujourd'hui, ils se rendraient compte à quel point on en est loin. Que l'émotion qui y est présente est sincère, juste et que le film est admirable de naturel. C'est là tout le talent de Spielberg que d'être parvenu à cette alchimie grâce à sa capacité à diriger ses jeunes comédiens (on est loin des gamins têtes à claque des Jurassic park) et de transcender la lourdeur des effets spéciaux mécaniques. Et c'est peu de dire qu'on y croit au petit bonhomme en mousse de Carlo Rambaldi.




Twilight zone : the movie (La Quatrième dimension), 1983
Chronique du film à retrouver dans ma retrospective Joe Dante publiée ici...


















Indiana Jones and the temple of doom (Indiana Jones et le temple maudit), 1984
En 1981, Spielberg s'associait avec Lucas pour Raiders of the lost ark qui, après Star wars, se voulait un nouvel hommage aux serials de leur enfance, mais versant aventure exotique et avec des moyens de superproduction. La réussite commerciale de ces deux films a fini par imposer le blockbuster comme nouveau modèle économique hollywoodien. Le second volet des exploits d'Indiana Jones a l'intelligence de ne pas trop marcher sur les pas du premier, même s'il persiste à cultiver le goût de la citation. Il s'en distingue en particulier par son mélange entre une approche décomplexée du film d'aventure et des enjeux franchement sombres.

Ébourriffant spectacle, le premier quart d'heure est sans doute l'une des plus folles ouvertures de film jamais conçues, suite d'hommages à un certain classicisme hollywoodien fait de burlesque et de comédie musicale. Confrontée à de purs méchants de cinéma, Kate Capshaw joue certes un rôle de potiche blonde assez risqué, mais le film nous offre grâce à elle de savoureuses percées vers la screwball comedy. Pétillance des dialogues, virtuosité de la chorégraphie, folie des cascades, rythme crescendo et scènes d'action en mode poupées russes : tout n'est que jubilation pour le spectateur. Entre ce démarrage et le rollercoaster final qui affirmera la suprématie d'ILM en terme d'effets spéciaux, l'impeccable mécanique de Temple of doom se permet donc aussi des ruptures de ton étonnantes, dès lors qu'on a basculé dans le monde des ténèbres où sont maintenus en esclavage des enfants volés à des villageois miséreux. Le divertissement reste alors en travers de la gorge, et donne l'occasion à Spielberg d'exprimer plus franchement son côté sadique de vilain garçon.


DOSSIER STEVEN SPIELBERG :

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