9 septembre 2016

Les Films de Richard Fleischer III. 1955-1958

The Girl in the red velvet swing (La Fille sur la balançoire), 1955 
Reconstitution brillante, très documentée et en scope couleurs (mais vue dans une copie qui avait malheureusement viré rose jambon) du fameux scandale qui secoua New York au début du XXe siècle : l'assassinat de l'architecte Stanford White pour l'amour d'une femme (sujet également illustré par le Ragtime de Milos Forman). Charles Brackett signe le scénario en s'inspirant des minutes du procès ainsi que du témoignage direct de la femme en question, Evlyn Nesbitt, incarnée ici par une Joan Collins franchement impressionnante.

Le début du film est trompeur, on a l'impression d'être devant un pur produit de studio (la Fox en l'occurrence) labellisé prestige, où rien ne dépasse, reposant sur l'opposition classique entre le monde du spectacle populaire et la très haute société. Petit à petit, avec une subtilité quasi invisible, Fleischer va venir gratter ce vernis pour aller vraiment au cœur de ses personnages, habités par des désirs qui n'auront finalement jamais l'occasion de s'exprimer et d'être vécus de façon idéale. Joan Collins apparaît ainsi dans un premier temps d'une miévrerie presque agaçante. À la fin du film, son visage a acquis une dureté d'autant plus bouleversante qu'on a assisté à cette modification de personnalité. La conclusion du film est réellement audacieuse en rejetant pour le coup toute convention hollywoodienne. On notera également le jeu de Ray Milland, d'une finesse dont je ne le savais pas capable.

Sur le plan de la mise en scène, Fleischer découpe très peu son film, révélant ainsi cette société dans son aspect irrémédiablement figé, ce qui lui permet alors, lors de la superbe scène de la balançoire de libérer enfin à la fois sa caméra et les sentiments de ses personnages. Ce bref instant de grâce aérienne acquiert ainsi un lyrisme qui n'en a que plus de force, et demeurera inscrit pour toujours à la fois dans la mémoire des personnages et du spectateur. Si, sur le moment, on suit l'histoire et ses rebondissements avec un peu de distance, devinant qu'un sujet aussi sulfureux ne pouvait être pleinement traité par un gros studio (en ce cas, pourquoi le produire ?), le film révèle vraiment ses beautés et son charme après coup. Il faut donc en laisser mûrir le souvenir pour percevoir toute la richesse et l'originalité de ce puissant mélodrame.





Between heaven and hell (Le Temps de la colère), 1956
Magie du cinéma : peut-être l'avais-je regardé de façon distraite, j'étais ressorti de mon premier visionnage pas plus enthousiaste que ça. Le film a depuis fait son chemin, et il a, un peu à la manière du précédent, réussi à hanter ma mémoire. En fait j'avais eu l'impression de voir un film juste correct, s'inscrivant dans le genre quand même assez balisé du film de guerre antihéroïque. Dans le rôle principal, Robert Wagner s'y montre très bon, on retrouve les relativement classiques affrontements entre la jeune recrue et ses supérieurs militaires, la douloureuse confrontation aux réalités de la guerre, les missions absurdes, le sentiment de peur, etc. Bref, toutes les situations et étapes attendues dans ce genre de production.

C'est par de petites touches que le film se révèle finalement plus singulier, des éléments de caractérisation (le personnage de Broderick Crawford en capitaine fou entouré de ses minets), des scènes d'action qui ne se résolvent jamais comme on s'y attend (pas de gradation dans le spectaculaire), le travail de construction (les raccords poétiques sur les flashbacks) et de mise en scène (le débarquement, la superbe scène de course dans la forêt), la musique assez décalée de Hugo FriedhoferFleischer et son scénariste ont pris soin d'évacuer toute allusion à la raison d'être du conflit, renforçant de fait l'universalité de ce qu'on pourrait presque considérer comme une fable (car il y a bien une morale). Bref, il faut se garder de cette fausse impression d'être devant un film qui enfoncerait des portes ouvertes, alors qu'il propose en réalité un spectacle subtilement hors normes. Une réussite, donc.





The Vikings (Les Vikings), 1958
Le film fut produit par Kirk Douglas, qui avait de très ambitieuses velléités de producteur, indépendant et exigeant. Il a vu comment Fleischer avait su relever le défi d'un tournage techniquement compliqué comme 20 000 lieues sous les mers (il en reprend d'ailleurs le directeur artistique), incluant scènes en mer, lourds décors et batailles. Pas du genre à trousser un film à la va-vite, le réalisateur a à cœur d'offrir la représentation la plus authentique possible du monde des Vikings, tout en restant bien sûr dans les limites d'un film de divertissement populaire. C'est là une des caractéristiques de son travail : à chaque fois qu'on lui en a laissé le loisir, et dès lors qu'il s'agissait de traiter de faits réels ou d'une période historique, il démarre chaque production par un important travail de recherches. Cette méticulosité finit par se transmettre sur l'écran, et prouve véritablement sa volonté d'appropriation de chaque entreprise dans laquelle il s'est engagé. 

Le Tournage des Vikings sera par conséquent particulièrement long et éprouvant, s'épargnant l'aspect carton-pâte en profitant le plus possible des extérieurs, et bénéficiant d'une photographie flamboyante de Jack Cardiff, sans doute l'un des plus grands directeurs photo de la grande époque du Technicolor (Le Narcisse noir). Le très bon scénario enrichit sa toile de fond historique d'un drame intime très puissant, à base de rivalités intestines. Douglas s'attribue un rôle où il n'hésite pas à se mettre en danger — et pas seulement parce qu'il réalise ses propres cascades —personnage retors et défiguré, qui ne sera pas le seul à être physiquement malmené. Le film fait souvent preuve d'un sadisme que n'aurait pas renié un Robert Aldrich. C'est à la fois une épopée âpre et sauvage, une étude de caractère et une tragédie familiale, un grand spectacle formidablement riche pour les yeux et les émotions, certainement l'un des plus parfait représentants du cinéma d'aventures.



DOSSIER RICHARD FLEISCHER :

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