23 mai 2020

Le Cinéma de Billy Wilder II. 1947-1954

The Emperor waltz (La Valse de l'empereur), 1947
Plus de dix ans après son exil, Wilder retourne à Vienne, mais la Vienne des studios d'Hollywood et de son Technicolor irréaliste. The Emperor waltz, avec son intrigue d'opérette au ridicule assumé, propose une sorte de vaudeville de palais où sont mis en parallèle les marivaudages des humains... et ceux de leurs chiens. Son comique de situation souvent efficace, la joie de vivre du personnage de Bing Crosby, et ses décors de carton-pâte, en font un spectacle involontairement savoureux.

En ce qui me concerne, le film vaut d'être vu pour un fabuleux et hilarant numéro chanté. La scène se passe dans un chalet suisse (tel que se l'imagine Hollywood). Bing Crosby pousse la chansonnette et emmène dans sa danse la tenancière bien en chair, tous les touristes qu'elle accueille ainsi que quelques Tyroliens de passage. Ça virevolte joyeusement et même les chiens s'y mettent, composant un beau et improbable moment d'hallucination. À l'échelle de la carrière de Wilder, le film est clairement dispensable, mais rien que pour cette séquence, il ne sombrera pas dans l'oubli.




Sunset boulevard (Boulevard du crepuscule), 1950 
Dernier des films que Wilder écrira et produira en collaboration avec Charles Brackett. Découvert lors d'une de mes toutes premières séances à la Cinémathèque française, Sunset boulevard est non seulement devenu l'un de mes films fétiches, du genre que je m'étais même offert en VHS, mais également un des titres qui a longtemps trôné dans mon trio de tête à l'époque où j'acceptais encore de faire des tops. J'ai jubilé de la moindre seconde de cet épatant spectacle sur les fantômes d'Hollywood. Du début à la fin, Wilder nous régale par l'approche libre et audacieuse de son sujet, nous épargnant toutes conventions, portant au sommet l'art du dialogue (et de la voix off). La maestria s'étend jusqu'à l'interprétation, avec une Gloria Swanson phénoménale, et le rôle bouleversant et terrifiant à la fois de Von Stroheim, que Wilder retrouve après Five graves to Cairo. Même De Mille se montre excellent acteur : son regard plein de douleur et de compassion pour son ancienne actrice est très touchant. Car c'est bien la résonnance entretenue entre ces figures emblématiques de l'industrie cinématographique et le rôle qui leur est alloué dans le film qui provoque le vertige. Rien à jeter dans ce qui est bien plus qu'une mécanique parfaite. Jusqu'au score de Franz Waxman, d'une fabuleuse expressivité dans sa capacité à accompagner les différentes atmosphères proposées par le récit.

Jacques Lourcelles écrivait à propos du film : « C'est une histoire de fantômes qui mettent la main sur un vivant et ne rendront qu'un cadavre, lequel racontera lui-même son histoire. » Quand on voit ce qu'Hitchcock fera avec Rear window ou Michael Powell avec Peeping tom, comment douter encore du caractère profondément morbide qui nourrit le cinéma, peut-être le seul art qui permet de donner vie aux fantômes (nous ne cessons de voir des morts finalement avec tous ces films naphtalinés) ? Sunset boulevard est littéralement une histoire de vampirisme. Le film revient sans cesse vers des éléments funestes : le récit est fait par un mort, William Holden est pris pour un embaumeur lorsqu'il débarque chez la diva oubliée, on y parle de la mort du cinéma muet, de la façon dont survivent les vieilles gloires du passé (la partie de bridge, réunion de momies). Soutenu par l'extraordinaire photographie de John F. Seitz, le climat fantastique de certaines scènes est incontestable (Norma projetant ses vieux films, le bal sans invités). Le jeu de Swanson lui-même est complètement expressionniste, singeant le style des actrices d'antan (c'est-à-dire le sien !). Vingt-huit ans plus tard, Wilder offrira un prolongement encore plus terrifiant peut-être à cette vision avec Fedora.

Quant à la romance, si au début Joe a bien conscience d'être devenu un gigolo (Norma l'achète avec un étui à cigarette), sa conscience est sauve puisqu'il peut se justifier en disant qu'il travaille pour elle. Mais par la suite, sa fascination et son amour prendront le dessus. Lorsqu'il se précipite vers elle après sa tentative de suicide, il ne triche plus : il tombe le masque et accepte alors de basculer de l'autre côté. Le fait de construire le récit en flashback, en nous faisant savoir que Joe meurt in fine, cela pousse le spectateur à considérer chaque scène comme conduisant inéluctablement à cette issue tragique. Lorsqu'il entreprend de la quitter parce qu'il trouve qu'elle va trop loin, il est déjà trop tard. Son amour avec Betty était impossible, une fois la main tendue à la mort, on ne peut s'y soustraire. Coincé dans cet entre-deux, entre le monde des vivants (Betty) et celui des morts (la maison de Norma), Joe est condamné. Du début à la fin, on reste dans un système de narration subjectif, dans la fiction, dans l'illusion de la vérité. Finalement tous ces éléments s'interpellent et se mêlent pour nourrir la tragédie, rendant ce génial chef-d'œuvre infiniment riche et passionnant.




Stalag 17, 1953
Un authentique bijou. On devine qu'il s'agit là pour l'expatrié Wilder d'un sujet sensible qui, au lieu de le refroidir, lui permet peut-être encore plus d'audace dans sa peinture de ces officiers allemands (Preminger qui enfile ses bottes uniquement pour pouvoir les claquer lors d'une conversation téléphonique avec ses supérieurs). Encore une fois, la liberté de ton du dialoguiste Wilder fait des merveilles, et le film est bourré de punchlines acérées. La mise en scène n'est pas en reste, louvoyant à partir d'un univers clos entre suspense, comédie et drame. Et puis la scène de danse où l'un des soldats travestis est pris par son copain pour Betty Grable semble annoncer Some like it hot. Ce copain est joué avec gourmandise par Robert Strauss, qu'on retrouvera en concierge salace dans 7 ans de réflexion

Le personnage de William Holden est assez passionnant parce qu'il n'a rien d'un héros idéal auquel on peut confortablement s'identifier. L'acteur, dont je suis plus que jamais fan, compose un individualiste qui porte un regard tellement lucide sur ce qui l'entoure qu'il paraît suspect. Il ne cherche pas à lutter et s'efforce de profiter autant que possible de la situation présente, sans se préoccuper du politiquement correct. On pourra se demander si Kubrick s'est inspiré de la scène où il se fait tabasser sur son lit par tout le baraquement pour le traitement équivalent que subi l'engagé Baleine dans son Full metal jacket. J'ai également souvent pensé, justement à cause de ce mélange des tons entre drame et comédie, au très beau Caporal épinglé de Renoir. Dans la catégorie des films de prisonniers de guerre et de ses passages obligés (La Grande illusion, La Grande évasion, Le Pont de la rivière KwaiFuryo), l'un des meilleurs représentants.




Sabrina, 1954
Comédie romantique qui assume d'entrée de jeu son registre de conte de fée, mais pour mieux nous surprendre par ses sorties de route. Ainsi, le prince charmant n'est pas celui qu'on croît, et la jeune première n'est pas si ingénue. C'est donc un film qui déjoue les attentes, qui prend par la main son spectateur en exposant des situations codifiées pour mieux les tordre. Pas du tout l'histoire de la fille transformée en princesse, car le jeu de dupes ne durera pas longtemps. Les personnages vont apprendre à mieux se connaître eux-mêmes, à éprouver la solidité de leurs sentiments. Toujours prompt à la satire, Wilder évite pourtant toujours la cruauté facile, y compris chez les parents (impayable père).

Le film m'a petit à petit fait succomber à son charme, ce savant mélange de gravité, d'humour et de mélancolie que Wilder va parfaire dans ses comédies suivantes : The Seven year itch (que les personnages vont d'ailleurs voir au théâtre), The Apartment, Avanti !... Jusqu'à nous conduire à un final aussi surprenant qu'enthousiasmant. Il y est toujours question de couples mal assortis, présentés d'abord presque comme des caricatures, avant de progressivement faire émerger les vraies émotions qui les habitent, grâce à la subtilité des dialogues, comme des interprétations. S'il offre un très beau rôle à Bogart, homme mûr qui semble avoir déjà défini les limites et les besoins de son existence, le film reste cependant tout entier conçu à la gloire — méritée — d'Hepburn, dont la modernité de jeu, de physique crève l'écran.



DOSSIER BILLY WILDER :
III. Filmographie 1955-1957 (prochainement...)

15 mai 2020

Le Cinéma de Billy Wilder I. 1942-1945

The Major and the minor (Uniforme et jupons courts), 1942
Devenu scénariste réputé avec son binôme Charles Brackett, Wilder se voit confier par la Paramount la mise en scène de leur nouvelle création. Bien avant Some like it hot, le cinéaste nous propose une comédie audacieuse sur les apparences, à partir d'un sujet étonnant car à la limite du scabreux. On y assiste en effet à des jeux de séduction entre des adolescents en rut et une femme adulte... travestie en gamine de douze ans. Le tout sous le regard tantôt complice, tantôt troublé d'un Ray Milland qui prétend n'y voir que du feu. Dans cette école d'officiers militaires, c'est bien la femme qui va mener les hommes par le bout du nez. 

On sent que les scénaristes mettent à l'épreuve les limites de la décence, et de ce qui est susceptible de passer à l'écran à cette date. Ils jouent habilement de l'environnement militaire pour faire passer ce qu'il faut de patriotisme qui endormira mieux la censure (nous sommes en 1942, donc en plein effort de guerre). Festival de dialogues piquants, doté d'un bon rythme qui puise au meilleur de Hawks pour lequel Wilder et Brackett venaient d'écrire Ball of fire, le film se veut une comédie légère qui parvient toutefois dans son dernier tiers à exprimer une gravité qu'on n'attendait pas, le personnage de Sousou redevenue adulte et maîtresse de son destin. Et Ginger Rogers est tout simplement géniale dans un rôle où elle fait montre de tous ses talents, nous gratifiant même de quelques pas de danse.




Five graves to Cairo (Les Cinq secrets du désert), 1943
Derrière ce titre poétique, se cache une œuvre particulièrement brillante et qui défie les genres, à la fois film d'espionnage et film de guerre, avec carte au trésor et jeux de rôles. Maîtres en la matière, Brackett et Wilder transcendent à nouveau la source théâtrale dont ils s'inspirent. Le film se montre aussi inspiré dans ses dialogues que dans sa mise en scène. La caméra de Wilder fait en effet preuve d'une folle aisance à se mouvoir dans des décors étonnamment crédibles, là où d'autres se seraient servilement cantonnés à un rendu de studio. La photo de John Seitz participe pleinement de l'atmosphère étouffante de ce huis-clos, véritable nid de guêpe situé dans un cadre original. Score riche de Miklos Rozsa.

Participant par son contexte de l'effort de guerre, le film évite toute vision simpliste ou grossière du conflit et des comportements humains qui en découlent. Anglais et Français en prennent pour leur grade, tandis que les Allemands sont loin d'être déshumanisés, avec ce personnage du lieutenant ouvert à la discussion. Franchot Tone se montre très à l'aise dans un rôle à multiples facettes, qui va évoluer au cours du récit. Le personnage d'Akim Tamiroff échappe à la caricature. Wilder offre à son compatriote Von Stroheim le rôle du diabolique Rommel. Le patriotisme et l'engagement dans la Résistance ne sont pas idéalisés, avec ce magnifique personnage de Française (Anne Baxter), individu fier et digne, pas prête à manger dans la main du héros, ni destinée au seul statut de love interest hollywoodien. Panier de crabe tendu, riche de rebondissement, le film se conclut sur un final terrible et poignant, questionnant le sens à donner au sacrifice.




Double indemnity (Assurance sur la mort), 1944
Un bijou, le machiavélisme fait film. S'associant à Raymond Chandler, Wilder adapte un roman de James M. Cain (Le Facteur sonne toujours deux fois). Avec son titre parfait de série noire et sa construction en flashback où la fatalité pèse de tout son poids, c'est le sommet du film noir. Wilder s'impose comme maître du genre, à une époque où celui-ci trouve ses lettres de noblesse, de Hawks à Huston, après la vague des films de gangsters des années 30. La perversité des personnages est exprimée ici par leurs actions, par leurs dialogues — toujours remarquablement écrits, une constante chez Wilder — mais aussi par la mise en scène (voir le jeu de jambes de Phyllis, voir la façon dont le couple de comploteurs est filmé dans la supérette,  discutant d'horreurs au milieu de produits de consommation). Et j'adore ce leitmotiv génial de l'allumette craquée.

Stanwyck devient instantanément l'icône de la femme fatale, qui ne fera qu'une bouchée du falôt Fred McMurray. Son personnage entretient d'ailleurs certaines similitudes avec celui qu'interprétera bientôt William Holden dans Sunset Boulevard : deux hommes pris dans la toile d'araignée lancée par des femmes, persuadés de mener le jeu et dont la passion vénale causera la perte.




The Lost week-end (Le Poison), 1945
J'étais en le découvrant persuadé d'avoir affaire à un nouveau film noir alors qu'il s'agit d'une dénonciation glaçante des ravages de l'alcoolisme. Adaptant un roman autobiographique sans en dénaturer l'authenticité, Wilder et Brackett ne tombent dans aucun des travers du film à thèse, qui aurait été commandité par un quelconque ministère de la santé. Ils livrent au contraire une œuvre étonnante d'humanité, à mi-chemin entre le drame et le thriller, avec un vrai travail sur l'insertion des flashbacks, et une conclusion qui laisse tragiquement les choses en suspens.

L'interprétation est une nouvelle fois remarquable, nous épargnant les archétypes, du barman à la petite amie combattive. Le Poison met surtout à l'honneur le talent d'un Ray Milland phénoménal, être lucide et pathétique, interprété avec un naturalisme saisissant, qui se verra justement recompensé d'un Oscar (le film lui-même en recevra quatre au total). C'est un excellent film, qui sur le sujet annonce ces autres productions hollywoodiennes réussies sur ce sujet, le mélodrame de Blake Edwards (The Day of wine and roses), ou Une femme en enfer. Extraordinaire score de Miklos Rosza soutenu par un hypnotique theremin (certainement une utilisation pionnière au cinéma avant de se voir circonscrire à la science-fiction).


DOSSIER BILLY WILDER : 
II. Filmographie 1947-1954
III. Filmographie 1955-1957 (prochainement...)

11 avril 2020

Histoire permanente du cinéma américain 1976-1979

Silent Movie (La Dernière folie de Mel Brooks), Mel Brooks, 1976
À quelques exceptions près, Brooks n'a fait que puiser son inspiration dans les grands genres hollywoodiens, détournés avec une férocité équivalente aux bandes dessinées publiées par Mad magazine. Après les pastiches du western (Blazing Saddles) ou du fantastique (Frankenstein Jr), il se fait ici plaisir en mettant cette fois en scène directement l'usine à rêves. On y voit donc le cinéaste lui-même et ses potes les irrésistibles Marty Feldman et Dom DeLuise solliciter tout le gratin d'Hollywood pour réaliser un film muet, projet anticommercial s'il en est. Et — coup de génie — tout le film sera sans paroles (à une exception que je tairai pour ceux qui ne l'ont pas vu) !

Sous l'apparence d'une satire impitoyable du studio system, Silent movie peut ainsi également se savourer comme une  ode aux origines burlesque du cinéma hollywoodien. Cerise sur le gâteau, en plus de mettre en valeur les plateaux de la Fox, Brooks bénéficie d'un casting royal, avec notamment dans leur propre rôle et n'hésitant pas à jouer avec leur image Burt Reynolds, James Caan ou Paul Newman. Hilarant !




The Demon seed (Génération Proteus), Donald Cammel, 1977
J'ai passé un excellent moment devant ce film dont j'avais gardé quelques souvenirs flous de ma première vision, alors que j'étais bien jeune pour ce spectacle. Le format scope n'est pas pour rien dans l'efficacité de ce quasi huis-clos, tel qu'il s'instaure en particulier durant la partie centrale du film, entre Julie Christie et la présence invisible mais bien palpable de l'ordinateur. L'actrice livre d'ailleurs une véritable performance puisqu'elle rend tout à fait crédible son personnage au sein d'une intrigue assez culottée, et relativement en avance sur son temps. La notion d'intelligence artificielle a conservé le même potentiel menaçant qu'au temps du 2001 de Kubrick.

The Demon seed s'apprécie ainsi comme un très bel échantillon du genre fantastique américain tel qu'il s'exprime encore à cette époque, un cinéma pour adultes, où la science est systématiquement vectrice d'une terreur froide (The Andromeda strainEmbryo, The Stepford wives, Altered states, L'Emprise). Partition assez intéressante de Jerry Fielding, tantôt atonale, tantôt mélodique mais constamment crispante.




Sextette, Ken Hughes, 1978
Une véritable monstruosité dont on ressort avec les tripes un peu de travers. Superstar sulfureuse de Broadway (Sex) et Hollywood (Klondike Annie) dans les années 1920-1930, Mae West avait 85 ans quand elle a tourné dans cette tardive adaptation d'une de ses pièces. Elle y joue le rôle d'une star de la scène qui vient de se marier avec Timothy Dalton. Ne transcendant jamais son origine théâtrale, tout le film se déroule dans l'hôtel où le couple doit passer sa nuit de noces, sans cesse interrompue par les anciens maris de la dame, ou par les aléas d'une conférence internationale qui réunit au même endroit les grandes puissances de ce monde.

Le problème, c'est que malgré le maquillage outrancier, malgré les efforts du metteur en scène pour limiter les gros plans, et l'emploi de pudiques effets de flou artistique, il est impossible de ne pas être embarrassé par l'état de délabrement de celle qui fut une vamp géniale... dans les années 30 !  Elle est vraiment censée être plus jeune, en âge de faire tomber tous les jeunes hommes qui croisent son chemin. Même dans sa manière de se trémousser, on sent que Madame West grince. Elle porte une affreuse choucroute blonde sur la tête, un continuel sourire crispé, se dandine à deux à l'heure et chante affreusement mal. Oui, car ce truc se veut aussi comédie musicale, ce qui se traduit par des chorégraphies absolument minables, désynchronisées et très mal filmées (comme tout le reste du film de toutes façons). Dans ce naufrage total surnagent alors quelques moments de grâce : Dalton (très bon au demeurant — mais qu'allait-il faire en cette galère), qui chante à sa douce et tendre Love will keep us together, Mae West qui balance des vannes bien salaces à un parterre de gymnastes moustachus, Ringo Starr en réalisateur assez irrésistible qui humilie un jeune acteur, Alice Cooper en groom qui vient jouer sur un piano transparent, Tony Curtis (génial) en homme d'affaires russe, Keith Moon en couturier complètement allumé ! Un grand moment d'hallucination.




Being there (Bienvenue Mr Chance), Hal Ashby, 1979
L'un de mes films fétiches. Being there révèle à chaque vision de nouvelles beautés, et je n'en suis toujours pas revenu. Tour à tour drôle et émouvant, constamment surprenant et d'une audace confondante, le film est porté par des dialogues brillantsAdaptant son propre roman, Jerzy Kosinski signe une fable contemporaine intelligente, sans lourdeur démonstrative tout en étant merveilleusement limpide. Telle une spirale qui s'éloigne de son infime point de départ, le récit dévoile progressivement ses richesses et gagne en ampleur. Ce monde saturé d'images qui est le nôtre se cherche désespérément un nouveau prophète. Libre à nous de considérer alors la parole de Mr Chance comme celle du pur innocent ou celle du parfait idiot. 

Si le film touche au sublime, c'est dans l'équilibre miraculeux qu'il trouve entre son propos incontestablement satirique et le regard profondément humain porté sur ses personnages. Nulle condescendance de la part d'Ashby, qui bénéficie d'une troupe d'excellents acteurs. Shirley McLaine compose un rôle de femme vraiment magnifique, loin de tout idéalisme glamour, touchante sans être pathétique (mémorable scène de drague). Et Peter Sellers tout en intériorisation trouve sans doute là son plus beau rôle (son dernier en l'occurence). La relation que son personnage noue avec le vieux milliardaire (Melvyn Douglas) est absolument bouleversanteLa fin — ah, ce dernier plan — m'émeut toujours aux larmes. 

9 avril 2020

Histoire permanente du cinéma français, 2004


Comme une image, Agnès Jaoui, 2004
Je n'en attendais rien (n'ayant pas tant goûté la précédente réalisation de Jaoui), et je dois dire que j'ai passé plus qu'un excellent moment. Après un petit faux départ où les situations et les dialogues me semblaient forcés, démonstratifs, les personnages s'installent et le film trouve sa vitesse de croisière. L'écriture se révèle finalement très subtile, parvenant à animer une dizaine de personnages tous intéressants et profonds, dans lesquels on pourra reconnaître des travers qu'on sait partager (l'hypocrisie, la compromission, les préjugés). Le milieu de ces intellectuels bourgeois — ou en passe de l'être — est assez justement décrit. On se balade avec eux, on les voit surmonter des crises, s'aimer, s'engueuler, bref "grandir". L'approche est très sensible (voir les rapports entre Lolita et Sebastien), sans simplisme ni manichéisme. Vient toujours un moment, une scène, où on n'accepte plus de les suivre, où on en vient à les trouver insupportables, avant de finalement reconnaître là des comportements qui nous guettent tous.

Je ne vois pas du tout ça comme un film moralisateur, mais plus comme une captation de l'air du temps. Avec un petit côté film de potes, chaleureux, lucide, drôle parfois — moins par ses répliques que par la justesse de ses observations encore une fois. Comme dans nos vies dans lesquelles on aimerait bien trouver de la grâce alors qu'on nage dans nos mesquineries quotidiennes. La mise en scène, discrète, colle parfaitement à ses personnages et mène le récit avec une réelle efficacité. Un vrai petit coup de cœur que je n'espérais pas.




Les Sœurs fâchées, Alexandra Leclère, 2004
Si je concède au film d'inattendues qualités, j'y ai aussi constaté les travers que j'avais craints au vu de son pitch cousu de fil blanc. Les personnages de Frot et Huppert sont parfaitement stéréotypés et agissent de façon aussi attendue qu'artificielle. D'un côté la Provinciale aux gros sabots, forcément maladroite, candide et abordant la vie avec bonhommie. De l'autre la Parisienne mécaniquement irascible, attachée à son confort bourgeois et à ses petites habitudes. On se contente alors d'assister à une suite d'oppositions / réconciliations aussi artificielles que lassantes. Ce manque d'originalité, ce ressort dramatique lourdaud est très dommageable au récit, qui épuise vite ses possibilités.

Heureusement, Alexandra Leclère parvient à intriguer en faisant en sorte de livrer un film très grinçant, voire dérangeant. L'affiche nous vendait une comédie, on est plutôt devant une étude de mœurs peu reluisante. Car la violence et le sordide sont constamment présents à l'arrière-plan, avec un personnage absent qui conditionne tout : la mère (que la réalisatrice traitera de front quelques années plus tard dans Maman). La sexualité triste des personnages parisiens est traitée avec une crudité à faire suffoquer le public du troisième âge qui se trouvera inévitablement dans la salle (il faut voir Huppert empoigner sa voisine par les cheveux en lui ordonnant de répéter « je suis une grosse salope ! »). Le jeu de Catherine Frot absolument admirable parvient à sauver certaines scènes, notamment la dernière, très belle à la fois sur le plan cinématographique et sur celui de l'émotion, enfin simple, enfin vraie.




Narco, Tristan Aurouet & Gilles Lellouche, 2004
Une comédie française qui détonne un peu par le soin que les réalisateurs accordent à la forme, malheureusement le parent pauvre dans ce genre cinématographique, sagement formaté pour les diffusions télévisées. Cela ne fait cependant pas tout. Certes, les ressorts comiques liés à la narcolépsie du protagoniste amusent, et je reconnais que j'ai bien du garder le sourire pendant les quarante premières minutes au moins. Zabou a un très beau rôle. La direction musicale est plaisante (entre standards rock et BO de Sebasien Tellier). La photo est très travaillée, et il y a effectivement de vraies idées de mise en scène. Mais pour le reste...

Le film se révèle assez vite à courts d'idées, a finalement trop peu à raconter, se disperse dans ses effets qui révèlent une agitation suspecte, et finit par ne plus trop savoir où il veut aller. Même Poelvoorde est incapable de rendre drôles ses dialogues (je crois qu'il n'en a jamais eu d'aussi nuls). Lourdingue.




Un long dimanche de fiançailles, Jean-Pierre Jeunet, 2004
Amélie Poulain est un film que je continue à apprécier et qui me touche beaucoup. Les premières caresses échangés entre Kassovitz et Tautou sur le pas de la porte, à la fin du film, me bouleversent parce qu'elles sont l'aboutissement tant espéré d'un récit linéaire, qui sait rester près de ses personnages, composer une mosaïque qui met en valeur une trajectoire unique (c'est un peu comme si on me montrait Deneuve et Perrin tomber dans les bras l'un de l'autre à la fin des Demoiselles de Rochefort)Mais son successeur tant attendu, Un long dimanche de fiançailles a échoué à m'émouvoir. Mathilde et Mannec nous sont présentés dès le tout début comme un couple qui s'aime. On n'assiste pas à la naissance de ce lien, on n'éprouve pas sa source. Du coup, c'est comme si on me demandait d'accepter le résultat sans chercher à comprendre et l'accepter comme un froid postulat.

Les choix de Jeunet m'ont laissé sur le seuil : de son ouverture en forme de bande-annonce interminable à sa construction éclatée en forme d'enquête qui passe en revue des témoins certes dignes d'intérêt, mais qui nous détournent de la seule chose qui nous préoccupe, le sort de Mannec. On sauvera tout de même la présence lumineuse de Jodie Foster qui apporte au film ce supplément d'âme et de sensualité qui lui fait défaut. Le personnage de Marion Cotillard, son mystère et le petit mot qu'elle trouve dans la montre à gousset, auraient pu apporter un poids tragique à l'histoire. Mais j'ai trouvé les dialogues peu inspirés. En dehors du running gag du facteur et du gravier, j'ai peu ri aux blagues du film. Les décors surchargés, la méticulosité de Jeunet le desservent également, dans cette histoire qui souhaite avant tout faire le plus de place à l'émotion. Comment être touché par cette maison bretonne de calendrier des P.T.T., ce Paris numérique de pub CNP, ces plans aériens autour du train ou du phare, cette musique de Badalamenti pompeuse et sans finesse ? Certes Jeunet y oppose l'horreur des tranchées et s'efforce de la filmer par des plans inédits spectaculaire. Mais le déséquilibre est consommé, et un tel ratage m'attriste.




Exils, Tony Gatlif, 2004
Un film bien emballant, à la fois nu et riche de plénitude, une vraie ode à l'errance. J'ai totalement épousé le rythme de la narration, suis vraiment parti en balade avec ses personnages, leurs états d'âmes partagés dans le silence, le trouble de leurs désirs, la quête du sens de leurs origines (en traversant l'Espagne, le Maroc et l'Algérie, c'est un peu de moi-même que je retrouvais aussi, par procuration). L'expérience culmine lors de ce long plan-séquence de la transe finale, avec le retour au calme magnifique qui lui succède, scène d'anthologie fascinante. Le film est sincère, ses acteurs sont vrais, le scope et les paysages sont beaux.

C'est frais, intense, mais triste aussi, parfois. La relation qu'entretiennent Duris et Azabal nous est donnée sans qu'on éprouve le besoin de la décrypter, de l'analyser. Ici on ne scrute pas, on vit. Et on est presque déçu quand vient le moment de les abandonner et de sortir du film, éprouvant le blues du voyageur de retour au pays. J'ai été impressionné d'apprendre au générique de fin que Gatlif était (co-)responsable de la majorité des musiques, tant j'ai trouvé la bande originale constamment remarquable. La musicalité, le rythme, prennent le film à bras le corps et saisissent le spectateur dès le puissant plan d'ouverture. Mention spéciale à ce passage génialement poétique où Duris marche sur une grande place pavée en donnant des coups de pieds aux bouteilles abandonnées là et qui produisent une musique inattendue !

7 avril 2020

Le Cinéma X part II. 2009-2017

X-men origins : Wolverine, Gavin Hood, 2009
Passée l'ouverture à la réalisation immonde qui a faillit m'ôter toute envie de m'infliger la suite, le film déroule un scénario franchement peu imaginatif, parcours relativement balisé de son protagoniste et de son basculement progressif dans l'animalité et l'asociabilité. En conséquence de quoi, avant d'acquérir véritablement sa stature de Wolverine, Logan apparaît fade et on a assez peu d'empathie malgré les épreuves qui lui tombent dessus, d'autant plus que le plan de Stryker est couru d'avance. Avec un tel matériau, qui donna rien de moins qu'un chef-d'œuvre du comic book (Weapon X, par Barry Windsor-Smith), on avait pourtant tous les éléments pour au moins un bon film, encore aurait-il fallu un minimum de conscience artistique aux différents échelons de la production. On sauvera la présence bienvenue de Liev Schreiber, livrant une formidable composition de double maléfique même si manquant d'ambivalence. La lutte fratricide aurait pu être poignante, elle n'aura en fait pas lieu, se résumant à trois laborieuses scènes de bagarres qui à force de se répéter en deviennent involontairement comiques.

L'idée de spin-off dédiés aux X-men était en fait une fausse bonne idée. Au-delà de la popularité de Wolverine, surtout tel qu'incarné par Hugh Jackman qui crevait l'écran dans le film de Singer, difficile d'assurer l'intérêt du public pour les autres membres d'une équipe, à géométrie variable qui plus est. La franchise X-men origins n'ira donc pas plus loin. En 2013, Wolverine, le combat de l'immortel s'affranchit de toute mention et l'ultime Logan  sortira carrément en donnant l'impression d'avoir retiré jusqu'à ses oripeaux cousus Marvel.




X-men : first class (X-men le commencement), Matthew Vaughn, 2011
Finalement, je ne sais pas si je dois encore conserver du crédit à Vaughn alors que j'avais vraiment été charmé par sa réalisation sur Stardust. Peut-être la faute à un scénario trop gourmand, j'ai trouvé son film vraiment trèèèès mal raconté. L'exposition est laborieuse : enchaînement de scènes, de personnages et de lieux sans aucun sentiment de liant. Ça aurait vraiment gagné à être resserré et à se concentrer sur Magneto et Xavier, d'autant que Fassbender et McAvoy s'en sortent vraiment bien. C'est clairement leur relation qui fait le cœur du film et qui focalise l'intérêt (on guette ainsi les prémices de leur destin respectif). Dès que Vaughn nous ramène aux autres personnages, le film sombre, plombé autant par la médiocrité de l'écriture que par l'inexistence des interprètes. Et que dire de la présence gênante de Kevin Bacon (cette perruque !) qui donne l'impression de vouloir rivaliser en cabotinage avec le Kevin Spacey de Superman returns.

L'inclusion de la crise des missiles de Cuba est une idée bonne et amusante, mais on regarde vraiment ça comme un gadget alors que ça aurait pu donner quelque chose de viscéralement terrifiant. L'action est généreuse, mais j'ai regretté que la mise en scène ne soit pas plus éblouissante, là où elle avait les moyens de créer de vraies images iconiques. C'est là que je reconnais à Singer d'avoir vraiment réussi quelque chose de beau sur le deuxième volet (situations, personnages et chorégraphies marquantes). Le film de Vaughn souffre également de sa volonté d'une violence soft, malgré les scènes de carnage (pas de sang, blessures en carton, comme à la grande époque des comics censurés de Lug). Le plus désolant c'est que le réalisateur avait les moyens pour aller au bout de son concept de film rétro. Si la patine vintage des décors est poussée juste ce qu'il faut, l'interprétation et le look des personnages — les jeunes mutants en particuliers — n'ont rien à voir avec le style des fifties. Tout dans leur attitude et leurs répliques sonne contemporain, comme s'il ne fallait surtout pas risquer de nuire à l'identification du spectateur teenager des années 2010 visé ici. Le pire, c'est que je n'ai pas boudé mon plaisir pendant le spectacle. Je n'y déplore pas vraiment de mauvais goût, on voyage et on est quand même curieux de suivre le déroulement de tout ce bazar. J'en espérais davantage.




X-men : days of future past, Bryan Singer, 2014
Ayant été un peu déçu du traitement désordonné de Vaughn sur le volet précédent, et pas particulièrement attaché à la filmo de Singer, je n'attendais donc rien de sa reprise en main de la franchise. J'étais juste curieux de voir comment les scénaristes allaient se dépatouiller pour faire se croiser dans le même film le casting de la next generation avec celui de l'original serie. J'ai donc été très agréablement surpris devant ce qui reste un divertissement sans prétention, comme si c'était désormais miraculeux de voir enfin une histoire correctement racontée dans un blockbuster des années 2010. Déjà, Singer a l'intelligence de reprendre sa recette gagnante du 2e volet, à savoir placer la meilleure scène du film en ouverture. En bon élève de Cameron (avec Peter Dinklage dans le rôle de Sarah Connor), il nous plonge dans une atmosphère crépusculaire où rien n'est encore expliqué, et nous fait assister à une scène d'action aussi étonnante que visuellement bluffante (la brutalité, l'efficacité et l'élégance des Sentinelles font leur petit effet). Le spectateur est dés lors captif, et le réalisateur va ensuite s'autoriser à prendre son temps pour laisser se retrouver et s'apprivoiser ses personnages, avant de les faire rentrer en conflit.

Je reconnais que j'ai assez vite décidé de mettre mon cerveau en veilleuse face aux inévitables incohérences spatio-temporelles. Il n'est ici pas du tout question de créer un quelconque sentiment de vertige par rapport aux modifications du passé. Les scénaristes s'amusent à mixer la grande Histoire avec la leur, mettant dans leur marmite l'assassinat de Kennedy, la présidence Nixon et le Vietnam. Le film est relativement bavard, mais je n'ai jamais trouvé ça pénible ou redondant, sans doute parce que ces scènes sont portées par de très bons interprètes, où McAvoy s'affirme clairement comme la meilleure pioche. À l'inverse, obtenir une performance aussi terne d'un si brillant comédien qu'Ian McKellen relève de l'énigme. Singer s'offre un remake réussi de l'évasion de Magneto, qui était déjà un des moments les plus mémorables de son cinéma. On pourra trouver dès lors le film assez chiche en grosses scènes d'action, le réalisateur nous épargnant la surenchère d'effets spéciaux, et s'efforçant toujours de placer des enjeux dramatiques forts (le premier vrai face à face avec Mystique). Il rate par contre inexplicablement son climax avec ce stade volant un peu ridicule dont on ne perçoit jamais vraiment l'ampleur. Et mention "spéciale" à la musique parfaitement insipide de John Ottman qui fait bien regretter le travail classieux de Powell sur X-men III.




X-men apocalypse, Bryan Singer, 2016
Contributeurs pourtant primordiaux au regain de vitalité dont profitent encore aujourd'hui les superhéros à Hollywood, les X-men ne semblent plus trop faire l'événement, sans doute parce qu'extérieurs aux films officiels du Marcel cinematic universe qui phagocytent le box-office mondial. Au vu de ce X-men apocalypse, on ne criera pas à l'injustice. Ça faisait longtemps que je n'avais pas vu un aussi mauvais film, à l'image de son vilain grotesque et sans épaisseur, absolument pas à la mesure de la menace qu'il est censé représenter. Sur cette base, le récit multiplie situations et dialogues ridicules, échouant même dans ses tentatives d'humour (tacle éhonté à X-men III alors que ce X-men apocalypse ne lui arrive même pas au genou). On sombre dans l'écueil de ce type de films de superhéros qui tiennent à caser un maximum de personnages, certains cruellement renvoyés à leur inutilité totale (Moira), d'autres à peine construits et dont on se fout du destin (Storm). Fassbender fait ce qu'il peut, mais toute la grandeur tragique de son Magneto est réduite à néant. On lui construit un gentil petit trauma mais le personnage reste une girouette soumise aux caprices des scénaristes.

Score lourdingue de John Ottman, mise en scène terne,  aucune idée visuelle marquante — à part le petit numéro de sauvetage de Vif-argent — et pratiquement pas d'action. Lorsque celle-si se concentre dans le dernier quart, c'est d'un inintérêt total. Même l'apparition de Wolverine apparaît désincarnée. Les humains sont totalement évacués de la toile, alors que c'est leur destin qui est en jeu (ça se résumera à quelques plans de haut gradés américains au téléphone). Dans mon échelle comparative des mauvais films, X-men apocalypse vient d'ajouter un nouveau barreau. Tout en bas.




Legion, 2017-2019
Une série créée par Noah Hawley
3 saisons de 27 épisodes
Avec : Dan Stevens, Rachel Keller, Aubrey Plaza, Bill Irwin...

Les quelques retours m'avaient rendu curieux, tout en me laissant incapable de vraiment saisir le sujet et le concept de la série. Je savais juste qu'elle adaptait un comics de l'univers X-men, et apprendre qu'il était signé Claremont et Sienkewicz m'a bien donné envie d'y jeter un œil. La liberté formelle ici à l'œuvre doit sans doute pas mal aux délires graphiques du dessinateur d'Elektra assassinLe pilote est assez exceptionnel : la construction n'est chaotique qu'en apparence, et c'est assez impressionnant de maîtrise. Tout finit par faire sens, et possibilité est quand même laissée au spectateur de suivre et recomposer les événements, avec juste ce qu'il faut d'exigence et d'attention pour que ça soit stimulant. On a quand même droit à des séquences complètement dingues, soit par leur violence (l'évolution express de Daniel), soit par le visuel (l'expressionnisme des décors). Et si l'ensemble parvient à fonctionner on le doit sans doute aussi aux acteurs principaux, au premier rang desquels le fabuleux Dan Stevens et la bien freaky Aubrey Plaza. Le reste du casting est par contre vraiment en deçà échouant à rendre leurs personnages intéressants. Le soin accordé à la bande son est également remarquable. Autre élément qui m'a surpris, pas mal d'épisodes fonctionnent selon les codes du cinéma d'horreur et c'est assez efficace.

Sur ces bases prometteuses, j'ai malheureusement un peu trop vite déchanté : la suite du récit patine, sombrant dans l'inévitable complaisance des flashbacks à répétitions. Évidemment, l'exercice est absurde, mais je pense que si on cumule toutes les répétitions de plans et de scènes de cette première saison, on doit arriver à la durée d'un épisode complet. Je pense qu'il n'y avait pas forcément tant de matière que ça pour justifier les 8 épisodes de la première saison. L'attente des révélations est trop étirée, et finit par tarir cette excitation des débuts. Surtout que cette dilatation du temps n'est même pas exploitée pour développer de façon un peu plus crédible l'univers proposé ici (à quoi servent ces dizaines de figurants qu'on voit errer régulièrement dans le luxueux refuge des mutants dans la forêt ? et comment peuvent-ils se sentir suffisamment armés pour investir la base ennemi avec seulement une mitraillette, et pratiquement aucun véritable pouvoir de combat ?). Donc, je ne sais pas quelle direction prend la série dans ses deux saisons suivantes, mais l'expérience m'a plutôt découragé de poursuivre.


DOSSIER X-MEN :

5 avril 2020

Le Cinéma d'Ettore Scola II. 1980-1989

La Terrazza (La Terrasse), 1980
Tognazzi, Gassman, Mastroianni, Trintignant (père et fille), Reggiani... Casting extraordinaire pour ce chant d'adieu de la comédie italienne, composé par ceux qui en furent les principaux artisans : Scola, Age et Scarpelli. Car le temps du bilan est venu pour ces hommes de spectacle, ces barons de la politique et du journalisme, réunis le temps d'une soirée mondaine sur une terrasse à Rome. C'est la dernière parade pour regarder briller les derniers feux, reflets de leur impuissance, qu'elle soit créatrice ou sexuelle. Une fois parvenu au sommet, on ne peut en effet que redescendre, et c'est cette dégringolade désolante que nous invite à contempler Scola. La terrasse symbolise l'achèvement de l'édifice, du haut duquel les personnages vont constater leur déphasage, avec le monde comme avec eux-mêmes, et voir mettre à nu leurs hypocrisies.

Le film est construit comme une suite de sketches, prolongeant en cela une certaine tradition du cinéma italien (Les Monstres, Les Sorcières, La Trilogie de la vie, mais on pourrait aussi remonter à Paisa'). Avec à chaque fois un retour sur la terrasse, comme si les personnages étaient condamnés à un éternel recommencement, purgatoire avant le Jugement dernier. Pertinent, le dispositif n'en est pas moins froid, et j'avoue n'être guère touché par le spectacle de ces pathétiques destins. Si l'ambition du projet force l'admiration, la symbolique est parfois lourde, et le côté volontairement sinistre du film peut légitimement décourager.




La Nuit de Varennes, 1982
Ambitieuse coproduction européenne en costumes de la Gaumont. Et si on a bien ici un casting à première vue hétéroclite, il s'avère pleinement justifié puisque la nationalité des acteurs correspond précisément à celle des personnages qu'ils incarnent et qu'ils peuvent donc jouer avec leurs voix et accents. Ça donne à cette plongée dans le passé une saveur assez authentique, d'autant plus qu'on est bercé par des dialogues et une langue emplis de l'esprit des Lumières. De Mastroianni en Casanova formidablement touchant et écrasé sous le poids de son habit et de sa nostalgie, à Hanna Shygulla que j'aurais rarement vu aussi joliment filmée, en passant par Harvey Keitel en philosophe progressiste, ou Jean-Louis Barrault incroyable de vitalité, c'est un régal de passer du temps au milieu de cette troupe. Il faudra juste passer sur une mise en place un poil longue où l'on est un peu perdu parmi la multiplicité des points de vue proposés. Mais une fois que ça démarre, le voyage est étonnamment agréable.

J'ignorais totalement le traitement choisi par Scola et son coscénariste Sergio Amidei pour raconter la fuite de Louis XVI, et j'ai adoré le principe de n'aborder finalement la Grande Histoire que par la marge, en décalant très légèrement le point de vue pour ne pas montrer le protagoniste royal mais plutôt s'intéresser à ceux qui le suivent (un peu le principe d'Une journée particulière qui laissait se dérouler l'Histoire à l'arrière-plan). Le film s'apparente à une longue promenade, un road movie au rythme forcément tranquille d'un carrosse. C'est l'occasion d'assister à des discussions passionnantes et apaisées sur les idéaux de la Révolution, de commentaires non dénués de pertinence sur ce monde en train de changer, loin de Paris, des clichés et d'une vison surdramatisée des événements. On est avant la Terreur, à un moment où il n'est pas encore question de mettre à bas la Monarchie. Pas du tout écrasé par les gros moyens dont il dispose — vastes et convaincants décors extérieurs, figurants et costumes — Scola se montre toujours super précis dans sa mise en scène, s'offrant même quelques libertés de style avec des petits apartés qui viennent interrompre le récit. Et j'ai beaucoup apprécié la musique symphonique du fidèle Armando Trovajoli, qui intervient régulièrement pour colorer les images d'une tonalité mélancolique.





Che ora e (Quelle heure est-il), 1989
Avec Drame de la jalousie et Nous nous sommes tant aimés, Che ora e est une autre merveille signée Scola qui me charme et me ravit. Un film aussi simple dans son dispositif que profondément touchant dans ce qu'il parvient à susciter. Le cinéaste, toujours inspiré, renoue avec son goût pour les films-concepts, ceux qui jouent sur l'unité de temps et / ou de lieu (Le Bal, La Terrasse, Une journée particulière, Le Dîner). Ici, entre deux trains, le spectateur est invité à partager les retrouvailles d'un père et de son fils en permission, le temps d'un après-midi pluvieux dans une petite ville morne du bord de mer. Ils ont beau être de la même famille, ce sont bien deux étrangers qui se retrouvent et vont être amenés à se découvrir. Épreuve de vérité, interrogation douloureuse du lien filial, le film observe avec une juste distance leur approche timide, attentif à capter le surgissement de révélations qu'on regrette, d'une parole qui se libère, teintée d'aigreur mais aussi de tendresse.

La mise en scène suit les déambulations du duo avec une précision qui aide vraiment à l'immersion du spectateur dans les rues tristes de la ville, offrant un merveilleux cadeau à ses acteurs, au sommet de leur talent : Mastroianni en monsieur qui a réussi et qui ne se projette plus dans son rejeton, et un Troisi épatant dans l'expression de son émancipation. Quelle intelligence dans l'écriture, dans l'exploitation de la durée, dans la manière de faire surgir au sein d'une conversation anodine des blessures longtemps gardées en soi. Mais il y a aussi tout ce qui ne sera pas dit. Et j'aime le fait qu'à la fin rien n'est vraiment résolu, on aura juste assisté à une parenthèse. Le destin des personnages ne va pas pour autant être foncièrement bouleversé par cette journée. Comme dans la vie.




Splendor, 1989
Tourné dans la foulée avec le même duo d'acteurs, Splendor porte un regard amer sur le cinéma italien, loin de son âge d'or et bien enterré par les séductions faciles de la télévision. On a un peu injustement accusé Cinema paradiso d'avoir indirectement fait de l'ombre au film de Scola, que je n'ai même pas le souvenir d'avoir vu tenir l'affiche. Sortis en effet la même année, les deux œuvres traitent du même sujet, évocation nostalgique du cinéma à travers le passage des ans d'une salle de cinéma d'un petit village italien. Sauf que le Tornatore est en comparaison dix mille fois plus inspiré et réussi. Ici, Scola n'a bizzarement pas l'air passionné par son récit, qu'il déroule plutôt mollement et sans grandes trouvailles visuelles. La seule relative audace étant une construction en flashbacks mais qui paraît confuse par son recours un peu aléatoire au noir et blanc, qui n'aide pas vraiment à situer les différentes époques. Même Armando Trovajoli est en mode flemmard, se contentant d'une simple ritournelle au piano déglingué, pas franchement évocatrice. Bref, l'impression qu'en dehors du travail de reconstitution et du passage toujours plaisant d'extraits de film et d'affiches en arrière-plan, Scola (ici seul auteur du scénario) n'a pas tant de choses que ça à raconter.

Il a pourtant fait partie de cette Histoire, le cinéma italien étant évidemment particulièrement représenté dans le film. Il ne profite même pas de la présence du fidèle Mastroianni pour s'offrir des jeux de miroir avec la réalité. J'étais plutôt content de retrouver le comédien partager la vedette avec Troisi, comme s'ils n'avaient pu se résoudre à se séparer depuis leur magnifique Che ora e. Mais leur relation n'est pas particulièrement développée, on ne saisit jamais vraiment ce qui les anime et les relie. Mastroianni se contente de suivre les traces de son père, et Troisi devient projectionniste juste parce qu'il a un temps tenté de séduire l'ouvreuse (Marina Vlady). Le réalisateur échoue à solliciter l'émerveillement du spectateur dans son rapport à la salle de cinéma. Son intention était sans doute de faire un film fatigué, découragé et décourageant, prêt à reconnaître qu'il est temps de rendre les armes. Il y avait finalement davantage d'amour du cinéma exprimé dans une poignée de scènes de Nous nous sommes tant aimés (sous l'égide de De Sica et Fellini) que dans tout ce Splendor vieillot.



LE CINÉMA D'ETTORE SCOLA :