22 septembre 2014

Coup de cœur pour Françoise Hardy

Devenue star du jour au lendemain avec son tout premier 45t, Tous les garçons et les filles, — un classique instantané — Françoise Hardy construit depuis plus de 40 ans une œuvre profondément personnelle et cohérente. Elle compose et écrit la plupart du temps elle-même, s'accompagnant à la guitare, et ceci joue sans doute pas mal dans le fait que ses chansons me touchent, parce qu'on y devine une voix et des pensées en parfait accord avec la sincérité de leur auteur. Un ton qu'on retrouvera intact dans son indispensable autobiographie.


La première décennie de sa carrière (1962-1973) est véritablement son âge d'or, même si elle-même estime aujourd'hui qu'elle avait encore énormément de progrès à faire musicalement. Le lyrisme et la délicatesse des arrangements frappent par leur évidence, souvent dépouillés mais sachant à l'occasion faire la part belle aux cordes et aux chœurs. Le travail sur les harmonies est particulièrement réussi. Hardy profitera d'ailleurs des orchestrations d'Ennio Morricone sur l'excellent Je changerai d'avis. Le résultat est d'autant plus impressionnant que ses chansons s'inscrivent dans la durée standard des 45t — soit rarement plus de 3 minutes — et apparaissent ainsi comme de véritables bijoux, d'autant plus fragiles et attachants (Des ronds dans l'eau). Elles se distinguent par leurs ambiances très mélancoliques (La Nuit est sur la ville), désabusées (Ma jeunesse fout le camp), et des paroles étonnamment matures. La pudeur qui s'y exprime se nourrit de l'enfance complexée d'une interprète qui n'imagine alors pas d'autre source d'inspiration qu'elle-même.



Elle fait ainsi preuve d'une véritable réflexion sur l'être, ses désirs et ses doutes (La Question). L'Amitié est d'une justesse et d'une poésie assez bouleversantes. Ses histoires d'amours tues tranchent pas mal avec la musique yéyé de l'époque, aux préoccupations assez inconséquentes (voir ce que chantaient Sheila ou Sylvie Vartan de leur côté). Et bien qu'elle en ait été l'égérie, elle apparaît assez loin du cirque de Salut Les Copains !, cessant toute prestation scénique à partir de 1968. Regard tourné vers l'Angleterre, look androgyne et mini-jupes, elle se tient à l'avant-garde de la scène française. Son compagnon d'alors, le photographe Jean-Marie Perier, contribue à façonner cette image de girl next door, loin de la star inaccessible, et dont les chansons peuvent parler à chacun de nous aujourd'hui encore.

La plupart du temps, c'est beau parce que c'est triste. Hardy a de toutes façons une prédisposition aux ballades et je suis hypersensible à la façon qu'elle a de communiquer certains sentiments, au premier rang desquels le sentiment amoureux bien sûr. À ce titre, Comme, Viens là, et surtout À quoi ça sert ? me détruisent à chaque écoute tant leurs mots résonnent en moi. Je résiste ici à l'envie de citer certaines de ses paroles, car c'est vraiment couplées à la musique et au chant, portées par une voix douce et confidente, qu'elles révèlent leur force. Elles disent avec grâce ce que nous ne pourrions exprimer que laborieusement, et en cela m'apparaissent comme le genre de chansons qui réconforte, voire secourent.


Et puis l'humour n'est pas absent. Même quand les chansons sont tristes, les somptueux arrangements font que l'atmosphère n'est jamais lourde. Et si je m'en vais avant toi est ainsi d'une étonnante légèreté par rapport à son sujet. Les jeux de mots autour desquels est construit Point ne sont pas très éloignés de ceux de Gainsbourg sur le délicieux Comment te dire adieu. De même, Le Crabe (écrit par Roda Gil), aux orchestrations et chant particulièrement originaux, est rempli de malice.

En 1972, Françoise publie If you listen, un album sublime, alternant reprises et morceaux originaux entièrement chantés en anglais, offrant une lecture tout à fait personnelle de la chanson folk. Par la suite, le son change quelque peu, se modernise tout en restant foncièrement marqué de l'identité de son interprète. L'artiste s'ouvre de plus en plus aux collaborations. Ainsi Michel Berger, qui lui offre le mémorable Message personnel, avec son final déchaîné. Les arpèges de Jean-Jacques Vannier enrobent avec un incontestable talent L'Amour en privé, encore écrit par l'ami Serge. Les déchets néanmoins existent, et on passera sous silence la période Michel Jonasz/Gabriel Yared chez Flarenasch, qui ne trouve vraiment pas grâce à mes oreilles. Je saute directement aux années 90, en n'omettant pas au passage le très beau Partir quand même de 1988, cosigné avec Dutronc, déclaration d'amour paradoxale et touchante en ce qu'elle révèle ici encore d'intime : partir avant qu'il ne soit trop tard. La dame aux cheveux d'argent pousse la chansonnette avec Damon Albarn et les Blur en 95 sur le très joli La Comédie (to the end).


L'année suivante, elle s'associe à Alain Lubrano et Rodolphe Burger pour un album remarquable, Le Danger, au style rock suffisamment aventureux pour apporter une nouvelle image à l'artiste. Dix heures en été est une perle, qui sonne vraiment comme du Kat Onoma (groupe que Hardy adore). L'album suivant, Clair-obscur, contient un sympathique hommage à Mireille, qui a lancé la carrière de Françoise, avec la reprise de Puisque vous partez en voyage en duo avec Dutronc. Mais le sommet en est le somptueux Contre vents et marées, tout simplement une de ses plus belles chansons, magnifiquement écrite et composée, charriant une émotion impressionnante.

Plus récemment, Tant de belles choses (2004) est peut-être un de ses plus inspirés depuis sa première époque, avec un son particulièrement bien ciselé, des mélodies originales, surprenantes et agréables. Le morceau-titre, par sa mélodie, son texte et son ambiance pourrait clairement avoir été enregistré à la fin des 60's. Au générique on retrouve Lubrano mais également Benjamin Biolay, Ben Christophers et Jacno (superbe Un air de guitare), mais c'est surtout Perry Blake qui signe les deux plus beaux titres, Moments et So Many things, sur lesquels on reconnaît clairement sa patte. Le chant de Hardy vous colle des frisons sur le dénudé Sur quel volcan ? Un très grand disque, qui prouve à quel point son talent est toujours en éveil, ce que confirmera l'opus suivant La Pluie sans parapluie, là aussi magnifiquement porté par Noir sur blanc, titre d'ouverture signé par un Calogero à l'inspiration pleine de grâce. 

D'album en album, Hardy persiste ainsi à affirmer qu'au-delà de la dimension nostalgique de ses premiers 45 tours, elle reste une interprète tout à fait contemporaine, sans jamais donner l'impression d'un pseudo-lifting ou d'une suiveuse de mode. De Daho à Aubert, on ne compte plus les chanteurs français qui lui vouent une sincère admiration. Quelle exemplaire carrière !


Aucun commentaire: