21 septembre 2014

Ferrat forever


En groupe en ligue en procession

Et puis tout seul à l'occasion

J'en ferai la preuve par quatre

S'il m'arrive Marie-Jésus

D'en avoir vraiment plein le cul

Je continuerai de me battre

On peut me dire sans rémission

Qu'en groupe en ligue en procession

On a l'intelligence bête

Je n'ai qu'une consolation

C'est qu'on peut être seul et con
Et que dans ce cas on le reste.









Poète inféodé né en 1930, Jean Ferrat est un artiste sans pareil qui s'est longtemps tenu isolé du cirque médiatique. Son talent d'auteur et de compositeur s'avère aussi inspiré et à l'aise lorsqu'il chante l'amour que lorsqu'il crie sa révolte, son dégoût de l'armée et du clergé, de même lorsqu'il se moque de la mode préfabriquée des yéyés, toujours entre satire et colère. Il est le chroniqueur des espoirs et des désillusions d'une époque troublée, d'une société en constante perte de repères.

Irrévérencieuses, cruelles, drôles ou profondément bouleversantes, ses chansons sont de celles qui me touchent, certaines étant devenues des compagnons de route, des confidentes, me semblant tantôt ne parler qu'à moi, tantôt parler pour moi. Tandis que certains s'attarderont plutôt sur ses morceaux engagés, mon côté mélancolico-fleur bleue nourrit évidemment un faible pour ses chansons d'amour aussi belles dans leurs arrangements que dans leurs textes. Car la délectation que procure Ferrat vient notamment du soin de ses arrangements, parfaitement en accord avec le sujet traité. Chœurs, cordes, cuivres, ambiances, tout est travaillé avec goût et intelligence, sans jamais céder à la grandiloquence. Et si les émotions sont aussi fortes, c'est justement parce que la musique est constamment en écho avec les paroles, avec une vraie progression rythmique et mélodique au cours du morceau. Combien de ses textes pourraient servir de déclaration d'amour irrésistible, exprimant la viscéralité d'un attachement, la beauté de l'être aimé, mais également toute la sensualité d'un corps, la fougue d'une étreinte ?


Que ce soit dimanche ou lundi
Soir ou matin, minuit, midi
Dans l'enfer ou le paradis
Les amours aux amours ressemblent
C'était hier que je t'ai dit
Nous dormirons ensemble

C'était hier et c'est demain
Je n'ai plus que toi de chemin
J'ai mis mon cœur entre tes mains
Avec le tien comme il va l'amble
Tout ce qu'il a de temps humain
Nous dormirons ensemble

Mon amour ce qui fut sera
Le ciel est sur nous comme un drap
J'ai refermé sur toi mes bras
Et tant je t'aime que j'en tremble
Aussi longtemps que tu voudras
Nous dormirons ensemble.



Comme ses confrères Brassens ou Ferré, Ferrat va signer certaines de ses plus belles réussites en mettant en chanson les poèmes d'Aragon, avec lequel il se sent en réelle harmonie (Heureux celui qui meurt d'aimer, Que serai-je sans toi ?), tout comme Apollinaire (Si je mourais là-bas). Dans ce travail, il ne craint pas de bousculer un peu le texte, déplaçant tel vers, modifiant telle rime. Il rendra également de réguliers hommages à Garcia Lorca ou Boris Vian qui témoignent magnifiquement du respect, de l'admiration et de la compréhension qu'il a de leur œuvre.



Bucolique, Ferrat l'homme des bois sait aussi chanter les joies simples de la vie, les beautés de la Nature, de cette Ardèche qu'il a choisi comme patrie. Il sait comme personne célébrer la douceur d'une grasse matinée au soleil d'été, tant de belles choses qui permettent de garder espoir et de tourner le dos aux mensonges de la société. Chez Ferrat, les amants vivent leur bonheur loin des hommes, de préférence dans une maison de campagne entourée d'oiseaux.


Au début des années 80, pour de pénibles questions de droits, Ferrat a été amené à réenregistrer l'intégralité de son répertoire et de publier l'ensemble de ces sessions sur une douzaine de compilations. Force est de constater que, même si les arrangements ont été à peu près conservés, le style et l'interprétation différent et sont loin de valoir les versions originales. Ces dernières charment parce qu'elles ont un son lié à leur époque. Pendant un temps, on ne trouvait en CD que les douze volumes de ces réenregistrements. Heureusement, il y a eu depuis toute une série de rééditions qui mentionnent à juste titre sur leur pochette : "versions originales". C'est clairement celles-ci qu'il faut privilégier.


Boycottant les plateaux télés, Ferrat publie en 1991, après pas mal d'années de silence, un nouveau disque, Dans la jungle ou dans le zoo. C'est à cette époque que je l'ai découvert. Le son y est plus rude, un peu froid, fait de guitares électriques, de synthés et de rythmes plus agressifs. Toujours en phase avec son temps, le chanteur dresse un constat assez désabusé de l'état du monde, dénonçant la putasserie de la télé (Dingue), l'arrivisme de la jeunesse (Les Petites filles modèles), et n'oublie pas de fournir encore de très beaux hymnes à l'amour. Les Tournesols mettent tristement en parallèle la misère dans laquelle a vécu Van Gogh et les records de vente de ses oeuvres aujourd'hui.





Dernier album studio du monsieur, Ferrat 95 propose à nouveau des mises en chansons d'Aragon. Très agréable d'écoute, revenant à des orchestrations plus traditionnelles et chaleureuses (instruments à vent, cordes, etc.), ce disque livre encore de vraies perles (L'Amour est cerise, J'arrive où je suis étranger).



Bref, dans la famille "chanson française", Ferrat est un des artistes auxquels je suis le plus attaché, tant pour l'esprit que pour la lettre. Son œuvre me touche, au même titre qu'un Moustaki ou une Françoise Hardy.




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