20 septembre 2014

Glaives et tongs

Ave ! Petite sélection informe et éclectique — comme à mon habitude — d'un genre cinématographique qui me distrait pas mal je l'avoue. Je parle ailleurs des Dix commandements de De Mille. Car oui, que cela soit dit : j'aime les films de gladiateurs !...




Land of the Pharaohs (La Terre des Pharaons), Howard Hawks, 1955
Un peplum assez étonnant à défaut d'être convaincant. Hawks a manifestement eu les moyens mais n'a pas cru bon de tabler également sur la présence de stars. Ici pas de héros bellâtre au torse huilé mais un pharaon déjà en âge de penser à sa retraite dans l'au-delà, monarque au caractère capricieux et passionné. Dans ce rôle, Jack Hawkins n'est pas mauvais mais il ne fait pas illusion une seule seconde. En fait tout le casting est de ce point de vue un peu raté, puisque les acteurs de premier plan, avec leurs brushings et leurs visages d'occidentaux font difficilement couleur locale, tandis que les figurants ont eux clairement été embauchés en Égypte, là où le film a pour une bonne part été tourné (par contre, leurs moustaches ne font pas très "antiques"). La présence de ces figurants est sans doute ce qu'il y a de plus impressionnant dans le film. Dans certains plans, ils s'étalent par milliers sur toute la largeur d'un cinémascope flamboyant. À force, j'ai trouvé cet étalage un peu complaisant. Ça défile, ça défile mais il n'y a pas vraiment de point de vue et ils sont plutôt mal dirigés, les regards caméra étant fréquents. Après coup, je me dis que ça devait correspondre à une volonté de Hawks d'approcher le genre de façon presque documentaire.


Car en choisissant pour sujet principal la construction épique d'une pyramide, Land of the Pharaohs met vraiment de côté l'aventure et le drame. Les intrigues de palais sont franchement peu imaginatives et l'on a vite fait de s'en désintéresser. Joan Collins joue sans subtilité la femme pseudo-fatale, et les amourettes entre esclaves ne sont là qu'à titre syndical. La part la plus originale du film c'est la relation entre le pharaon et son architecte. Pour les deux hommes, leur engagement est consciemment scellé par une promesse de mort. Ce thème est en soi passionnant et on ne peut que regretter que le scénario ne soit pas à la hauteur et les acteurs si mal dirigés. Le film aurait en effet pu davantage jouer la carte du mystère et du sacré. Mais on ne quitte jamais vraiment les berges rassurantes du peplum en carton. La chambre de pharaon fait vraiment "Hollywood", et l'on s'étonne à peine d'y voir Hawkins se diriger vers un genre de minibar comme s'il allait se servir un whisky. Plus tard, on n'échappera pas à un numéro de ballet broadway-style (LA scène que j'attends toujours quand je regarde un peplum). Quant aux quelques duels à l'épée, ils sont chorégraphiées avec les pieds. La scène finale est sans surprise mais reste une belle idée, un peu gâchée malheureusement par une réalisation sans éclat. Finalement, je ne suis pas surpris que le film ait été un échec au box office. Je ne vois pas qui une telle approche si peu assumée aurait pu satisfaire.


 
  


Ben-Hur, William Wyler, 1959
Pénible revoyure puisque j'ai vraiment eu du mal à trouver des qualités à ce très très long métrage. La musique de Miklos Rozsa n'est pas terrible. Les dialogues sont aussi plats que la mise en scène. La caméra de Wyler ne fait pas le moindre effort pour animer un peu le récit. L'émotion peine à naître, la dimension spirituelle m'a semblée vraiment sous-traitée. J'en retiendrais essentiellement l'interprétation absolument convaincante de Chuck Heston et la qualité de la direction artistique (décors, costumes, photographie, matte paintings). L'aspect le plus intéressant et réussi de l'histoire réside certainement dans la relation entre Ben-Hur et le consul romain joué par Jack Hawkins (le pharaon de Hawks), qui adoptera l'esclave qui lui a sauvé la vie.


La première adaptation muette du roman de Lewis Wallace, réalisée par Fred Niblo en 1925, est à cent coudées au-dessus de celle-ci, en particulier dans ses deux grandes scènes d'action, bien plus impressionnantes. Chez Wyler, si la course de char demeure le clou du spectacle, la séquence de la bataille navale est assez peu inspirée. Superviseur de ces scènes d'actions, Andrew Marton réalisera une autre course de char, tout aussi spectaculaire, pour The Fall of the roman empire d'Anthony Mann en 1963. 


 
 
Cleopatra (Cleopâtre), Joseph L. Mankiewicz, 1963
Un peplum vraiment pas évident à appréhender. J'ignore à quel point décors et costumes cherchent l'authenticité, mais on n'a jamais vraiment l'impression d'être en Égypte (peut-être le manque d'extérieurs). Même en tant que spectacle hollywoodien, on passe constamment d'un extrême à l'autre. La reconstitution est flamboyante et c'est peu de le dire. Par son sens du cadre, et grâce à la magnifique photo de Leon Shamroy, Mankiewicz sait vraiment tirer parti des moyens colossaux dont il dispose pour mettre en valeur ses décors : le port d'Alexandrie, la procession de Cléopâtre dans Rome, les deux scènes de bataille (l'une devant les murs d'Alexandrie, l'autre en mer). Et à côté de ce faste, on a droit à des scènes presque intimistes mais toujours au sein de décors grandioses qui ne viennent pourtant jamais écraser les comédiens, au contraire. Incroyable scène presque surréaliste où Marc-Antoine affronte seul et dérisoire l'armée d'Octave.



Taylor, Harrison et Burton se livrent à des numéros d'acteurs qui imposent le respect, toujours au service de la vérité de leurs personnages. Burton est particulièrement magistral, son personnage apparaissant dans son évolution comme le plus riche. Harrison compose un César très émouvant par la gravité et la douleur qui le minent. Taylor trouve l'un des rôles de sa vie, et s'impose derrière ses incroyables costumes, coiffures et maquillages. La loyauté des personnages qui les entourent est également rendue de façon très sensible et c'est quelque chose que j'ai bien apprécié également (ces conseillers et aides de camp prêts à mourir pour leurs souverains). César, Cléo, Antoine hésitent entre deux maîtres : la politique et l'amour. Les dialogues sont souvent brillants, avec des répliques toujours bien senties qui évitent intelligemment le côté pompeux de trop de peplums. Musique elle aussi très belle d'Alex North, qui n'abuse pas trop des cuivres et se laisse joliment aller au romantisme. S'il est difficile de savoir quoi penser de ce film, c'est parce qu'il est presque impossible de ne pas avoir conscience de la brutalité de certaines transitions. Mankiewicz a vu son film mutilé de 2 bonnes heures et ça se sent. On a souvent l'impression d'avoir affaire à une succession de séquences, dont la plupart sont tout à fait convaincantes, mais qui manquent singulièrement de liant.



 


Troy (Troie), Wolfgang Petersen, 2004
À partir des années 2000, la superproduction antique en costumes redevient à la mode, grâce notamment au succès inattendu de l'excellent Gladiator de Ridley Scott, et à certaines possibilités nouvelles en terme d'effet spéciaux numériques mis en œuvre par Peter Jackson sur The Lord of the rings. Projet risqué, le film de Petersen s'apparente à une occasion manquée mais conserve pour moi suffisamment d'attraits qui en rendent le visionnage agréable. Formellement, sa mise en scène fait preuve d'un panache inespéré, et les batailles homériques ne tombent jamais dans la confusion. Clou du film, le duel Achille/Hector est un superbe morceau de cinéma, petit chef-d'oeuvre de chorégraphie magnifiquement découpé. Bien que contestable, j'ai finalement trouvé intéressant le parti-pris des scénaristes d'aborder le récit d'Homère de manière rationnelle, évacuant toute présence divine, montrant ainsi comment naissent les mythes. Petersen met en scène des héros tous hantés par le désir d'inscrire leur nom dans l'éternité. Interprété avec beaucoup de conviction par un Brad Pitt impliqué, le personnage d'Achille lui-même n'est pas idéalisé et c'est appréciable. Par contre Brian Cox fait peine à voir en Agamemnon tant il est mal dirigé, alors que c'est le genre d'acteur qui me semblait jusqu'ici capable de briller en toutes circonstances.


Il existe un director's cut du film, qui ne fera toutefois pas changer d'avis les détracteurs. En dehors de quelques ajouts de scènes plutôt dramatiques, on y gagne un relatif approfondissement des personnages et surtout une violence accrue, sans pour autant perdre en rythme. Les scènes de guerre assument leur côté esthétisant, avec cette fois une multiplication de détails bien gores, et l'assaut final au coeur de la ville atteint une rare sauvagerie. On en vient à se demander si Petersen espérait vraiment sortir le film en salle avec des plans pareils.




Alexander (Alexandre), Oliver Stone, 2004
Film d'une ambition folle et tout à fait intéressant dans sa volonté d'échapper au calibrage hollywoodien. Stone se permet le luxe d'un grand nombre de personnages gravitant autour du protagoniste, et leur confère une véritable présence. J'ai beaucoup aimé sa vision du héros de l'Antiquité. Il s'attarde bien plus sur son caractère que sur ses conquêtes et ses batailles. Son Alexandre n'apparaît jamais comme un grand guerrier, rate même fréquemment ses cibles. Ce n'est pas par le glaive qu'il s'impose, mais par une ambition littéralement prométhéenne. Il est cependant contraint de toujours négocier avec ses troupes et ses décisions sont constamment mises en doute. Bref c'est un leader animé par le désir de toucher les cieux mais sans cesse ramené à la terre (la Macédoine) et au poids des hommes. C'est un héros de tragédie grecque, au destin encadré par les mythes et les dieux  : son inscription constante face au soleil, la présence de l'aigle. Stone se montre cependant moins inspiré lorsqu'il insiste un peu lourdement sur le background psychanalytique via la rivalité meurtrière des parents. Alors qu'il donne l'impression assez vite d'avoir fait le tour de la question, il persiste à y revenir sans trop la revitaliser, même si les personnages gagnent en complexité. 

Au rayon interprétation, j'ai trouvé Farrell étonnamment crédible lors de sa première apparition. Il fait vraiment très jeune et on peut accepter l'idée qu'il ait 19 ans. Si on sent que l'acteur s'est impliqué dans son rôle, il reste qu'il ne m'a pas trop donné l'impression de transcender son verbe (où est donc passé le charisme vu dans Minority report ?). C'est là que je situerai les véritables faiblesses du film. Ce qui n'est pas négligeable puisqu'il s'agit du rôle-titre, de l'emblème du cinéaste et du cœur du film offert au spectateur. Stone semble avoir du mal à aller au bout de ses intentions. Ainsi l'amour platonique pour Hephaistion, jamais résolu. En dehors de deux-trois étreintes et de son regard humide khôlé, Jared Leto n'a pas grand chose à faire. Si l'amour pour les jeunes éphèbes faisait partie des mœurs de cette époque, il n'en allait pas de même pour les relations homosexuelles entre adultes. Ceci peut donc justifier les réserves des deux personnages. Mais Stone persiste à s'y attarder sans trop créer de neuf, ni m'émouvoir vraiment.


Les nappes synthétiques de Vangelis font assez hors-sujet, donnant l'impression qu'il utilise toujours le même matos qu'il y a 30 ans. Stone se permet lui-même quelques clins d'oeil aux dialogues de ses précédents scénars : Farrell hurlant à ses troupes « Do you want to live forever ! » (Conan the Barbarian), Angelina Jolie susurrant « The world is yours » (Scarface). Le film est particulièrement admirable pour ses très belles idées de cinéma. On sent que Stone est inspiré par son sujet, son style sait rendre la fièvre, la sauvagerie, la poésie d'une époque fantasmée, fourmille d'idées au sein desquelles chacun pourra piocher, laissant sans problème de côté les tentatives moins réussies. En mouvement perpétuel, sa caméra sait rendre compte de l'espace et du peuple. Lorsque sa mise en scène se laisse aller au lyrisme (la très belle scène de domptage de Bucéphale), lorsqu'elle rend compte intelligemment de la stratégie à l'œuvre pour une bataille (Gaugamèle), je suis ravi. La reconstitution historique est également remarquable, et c'est un régal dès l'ouverture du film. Les décors sont superbes, souvent surchargés sans tomber à aucun moment dans le mauvais goût. : couleurs, architectures... Et telle vue de Babylone rappelle de semblables plans d'Intolérance, mais aussi d'authentiques vestiges vus dans des musées. Photographie riche du jeu des couleurs et des lumières, comme autant d'ambiances, de saisons du récit. Ridley Scott aurait aimé ce travail. Plus j'y repense, et plus j'ai envie de dire qu'on a là un grand film.
  

 


Rome, 2005-2007
Créée par John Milius, William J. MacDonald et Bruno Heller, Rome est une époustouflante série télévisée coproduite par la BBC et HBO et tournée à Cinecittà. La reconstitution historique est passionnante et ne sacrifie en rien l'efficacité dramaturgique. Les scénaristes ont magistralement réussi à insérer des petits destins d'individus en marge de la grande Histoire, tout en créant des passerelles entre les deux. J'ai beaucoup aimé certaines de leurs relectures de personnages et situations véridiques que je croyais figés dans ma mémoire. Le Brutus mis notamment ici en scène pourrait à lui seul justifier un film tant sa caractérisation est riche. Il y a un sens du suspense, de l'aventure, du drame et de l'émotion qui font de chaque épisode une véritable leçon d'écriture. Les dialogues sont brillants, l'interprétation de tout le casting british est constamment admirable de finesse. Soin des décors, des costumes, bon goût de la mise en scène et de la musique... Il y a des moyens vraiment phénoménaux mis en œuvre, toujours au service du récit, jamais pour épater. Et puis on n'y trouve aucune concession grand public, tant sur le plan de la violence et de l'érotisme, qu'en ce qui concerne le scénario qui ne cherche pas la facilité, évoque autant les drames personnels que les complexes enjeux politiques. À l'arrivée c'est une formidable mécanique dont on constate épisode après épisode l'implacable mise en place. Dans le contexte de l'Antiquité, jouer sur le poids de la fatalité s'avère être un choix parfaitement judicieux. Une superproduction audacieuse, intelligente et enthousiasmante.


La saison 2 appelle une comparaison inévitable avec la première. On comprend vite que cette dernière se suffisait à elle même. Pourtant, et parce qu'on y retrouve l'essentiel des personnages, un prolongement pouvait tout à fait se justifier. C'est vrai que c'est un peu moins bien tenu. Peut-être aussi qu'on est devenu exigeant.  Car le spectacle se laisse quand même suffisamment bien suivre, les acteurs sont toujours aussi bons et la richesse des moyens mis en œuvre force le respect. C'est parfois abusivement hardcore mais ça participe du caractère exceptionnel de cette production. L'écriture se révèle néanmoins moins inspirée. Le scénar tourne un peu en rond dans la première moitié, même si j'ai bien aimé l'ambiance de la pègre des bas-fonds. Les dialogues sont bien moins flamboyants, la caractérisation des personnages parfois laborieuse, on finit par les regarder vivre de loin, sans comprendre toujours ce qui continue à en lier certains. Sur le plan historico-politique c'est souvent confus, et le personnage d'Octave qui avait tout pour être fascinant pâtit beaucoup du flou de ses intentions. Le dernier quart sauve heureusement la mise, avec de beaux et intenses moments de drame, surtout portés par les comédiens il faut l'avouer. Certains méritent vraiment de briller au cinéma, même si c'est sans doute vrai qu'une série de longue haleine doit mieux s'accorder à une démonstration de palette étendue.
 
Carthago delenda est...   

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