22 septembre 2014

Sale+Loeb

C'est avec ce Hulk grey que j'ai découvert le dessin de Tim Sale et en suis devenu instantanément fan. J'ai eu, plus récemment encore, le plaisir de baver des yeux devant les somptueux visuels qu'il a fournis pour la première saison de la plus que recommandable série Heroes.

On pourrait qualifier son style d'expressionniste, remarquable pour son incroyable liberté de trait, qui sait aller à l'essentiel sans perdre de sa force, et une harmonie parfaite entre la case et la page qui composent au final une narration toute en mouvements, d'un superbe dynamisme. La mise en couleur elle-même est pleine de personnalité, en particulier dans ce bouquin-ci, Hulk Grey, avec ses emplois aussi pertinents que réussis de la couleur directe.


L'histoire raconte en gros les premiers pas du héros. Dans une démarche ouvertement nostalgique (bien qu'il m'ait semblé percevoir l'influence du film d'Ang Lee sur certains parti-pris), elle s'intercale précisément entre les deux premiers épisodes originels de Stan Lee et Jack Kirby, lorsque le monstre était encore gris. Lee décidait de passer au vert sans explication dès le second épisode, estimant que le rendu serait plus percutant à l'impression. Je suis plutôt client de ce genre de relectures à distance. Ce pitch plutôt alléchant ne tient malheureusement pas ses promesses. Le sujet se révèle en effet assez sous-exploité et le traitement plutôt inconséquent. 

Il y a pourtant de belles idées, notamment dans cette caractérisation aussi juste que touchante du personnage en tant que freak, ces allusions à la créature de Frankenstein qui ne connaît pas la méchanceté mais se retrouve victime de son incontrôlable force. Ce retour aux origines est également pour les auteurs l'occasion de placer de petits clins d'oeil sympathiques, comme cet affrontement rigolo avec un Iron Man débutant. Mais le scénariste Jeph Loeb manque vraiment d'idées pour remplir son intrigue. Il n'aura pas creusé bien loin, peut-être bridé par les contraintes du format, et la conclusion est à ce titre particulièrement pathétique, avec son diagnostic psychanalytique de supermarché, d'autant plus regrettable qu'il nous est présenté comme la justification de tout ce qui a précédé et de ce qui est à venir. Heureusement, l'ouvrage reste graphiquement délectable, mais on ne peut qu'éprouver la regrettable impression d'être passé à côté d'un formidable terrain de jeu.








The Long Halloween est une mini-série brillante et inspirée, publiée par DC entre 1996 et 1997. Les auteurs ont posé un concept aussi simple que diablement efficace : durant treize épisodes — chacun représentant un mois — c'est toute une année de la vie du Dark Knight qui va défiler sous nos yeux, avec en toile de fond une enquête haletante sur un mystérieux serial killer baptisé Holiday par la presse, qui assassine systématiquement les jours de fête (Thanksgiving, Noël, St-Valentin, le 4 juillet, etc.). Une sorte de whodunit bien distrayant, qui joue avec les clichés du genre tout en revisitant avec intelligence le sombre univers du héros de Gotham. Ces différentes célébrations sont en effet l'occasion de faire le point sur lui-même et sur les figures qui l'entourent. A ainsi été conviée la quasi intégralité du bestiaire dément créé par Bob Kane, qui défile épisode après épisode, entre ombre et lumière. Du Joker à Poison Ivy en passant par Catwoman, Alfred ou le commissaire Gordon, avec en fil rouge sang les origines d'un personnage qui n'a jamais été rendu aussi intéressant : Harvey Dent, dit Double-face. 


Le dessin de Tim Sale, son travail sur les ombres en particulier, est ici plus époustouflant que jamais. À tel point qu'on devine que si ça ne tenait qu'à lui, il composerait l'ensemble de son ouvrage entièrement en noir et blanc. D'ailleurs, chaque nouveau meurtre est toujours représenté en monochrome, avec comme seul élément de couleur un objet symbolique lié à la fête du jour, que l'assassin dépose près de ses victimes. Sale gère son découpage de main de maître, avec audace mais sans esbroufe. Le schéma narratif posé par Jeph Loeb suppose une construction qui joue sur la répétition, et le dessinateur s'amuse précisément à créer des effets de miroir et de symétrie, avec un usage aussi pertinent que spectaculaire des cases pleine page qui interviennent avec régularité tout au long de la lecture. Et malgré toutes les spéculations, le dénouement parvient encore à surprendre, nous faisant refermer l'ouvrage franchement comblé.






Il s'agit d'un recueil dont le gros morceau est un récit intitulé Peurs, daté de 2000. Batman chasse un ennemi envahissant, l'Épouvantail, mais cette lutte n'est qu'un prétexte pour nous plonger avec réussite dans les angoisses qui agitent le vengeur masqué, plus torturé que jamais par la lourde charge qu'il s'est imposé. Le scénario de Loeb pose la question du choix, la possibilité d'une autre existence. Voir Batman mal rasé, harassé par la fatigue et le manque de sommeil, reprendre nuit après nuit son costume de chauve-souris pour aller risquer sa peau sur les toits de Gotham est une proposition rendue ici tout à fait convaincante.

La mise en case est encore une fois superbement inventive, avec certains passages qui, esthétiquement, semblent devoir davantage à la bande dessinée indépendante qu'au comix de super-héros. C'est précis, ça prend son temps, sans effets superflus mais toujours plein d'idées. Je suis par contre moins fan de la mise en couleurs qui abuse un peu des effets de traitement numérique, offrant ainsi un rendu un peu trop lisse (pas sur l'extrait que j'ai choisi ci-dessous). On notera toutefois un superbe passage entièrement tramé en noir et blanc. Bref, une bande dessinée comme je l'aime, aux ambitions incontestablement autorisantes, qui réjouit l'oeil sans lui faire mal.

Le recueil se poursuit avec un exercice de style somptueux mais loin d'être vide de sens, peint cette fois par Tim Sale lui-même au lavis, avant de s'achever sur une double page plus anecdotique qui nous propose une brève rencontre entre Clark Kent et Bruce Wayne gamins.



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