14 octobre 2014

Mémoires, mes belles mémoires... 1


Jules Roy, La Vallée heureuse
La vallée heureuse, c'est la vallée de la Ruhr, ravagée nuit après nuit par les bombardiers de la R.A.F. pendant la Seconde guerre mondiale. Roy s'inspire évidemment de sa propre expérience de pilote, encore bien vivace (le livre paraît en 1946). Avec une humilité assez touchante, il rend compte de la dure réalité de ces missions où les hommes trouvent le temps de s'interroger sur la valeur de l'existence, espérant à chaque fois que leur nombre leur permettra par un atroce jeu de pourcentage de passer à travers les tirs de la D.C.A. et des chasseurs ennemis, parfaitement conscients qu'ils bombardent non seulement des objectifs militaires mais aussi des civils, parfois même leur propres concitoyens. 

L'auteur n'abuse jamais du pathos, ne sombre ni dans la mièvrerie ou dans les clichés du soldat tourmenté. Il nous hisse simplement à hauteur d'homme, dans une communauté qui a ses codes, qui sait éventuellement faire preuve de solidarité sans non plus perdre de vue certaines distinctions de classe. Une vraie oeuvre de poète, dont l'intérêt dépasse le seul témoignage historique, et qui vient se ranger dignement aux côtés des récits de son camarade pilote, Saint-Exupéry.





Ernesto Guevara, Voyage à motocyclette
Pour ceux qui, comme moi, apprécient les récits de voyage, voilà un très beau texte, dénué d'artifices comme de prétention, rédigé par Guevara à l'occasion d'une traversée du continent sud-américain en 1952. Il s'agit vraiment la plupart du temps de simples notes. Je ne pense pas que le Che écrivait en ayant en tête une possible publication. On a davantage affaire à un récit proche du journal intime, privilégiant l'anecdote au jour le jour et affranchi de toute exigence narrative. On n'y trouvera par exemple aucun dialogue. Il y a un côté très picaresque dans l'odyssée de ces deux routards qui avalent des kilomètres à moto, en stop, à pied ou en bateau, se débrouillant comme ils peuvent pour dormir et se nourrir, nous offrant au fil des étapes des considérations tantôt touristiques, tantôt sociologiques sur les différents pays traversés, où consciences du passé, du présent et de l'avenir se mêlent. Entre deux crises d'asthmes, entre deux arrêts dans des léproseries, Guevara trace un portrait saisissant de l'Amérique latine, de la réalité du métissage des peuples, et d'une possible évolution de la situation politique qui pourrait éventuellement trouver sa voie dans une révolution. Ceci n'est qu'esquissé, mais rétrospectivement cette intuition prend évidemment un poids tout à fait étonnant.





Wladyslaw Szpilman, Le Pianiste
Il est des lectures qui étouffent toute possibilité de commentaire. Je dirais juste que ce livre est, plus qu'une leçon d'histoire, une leçon de vie, décrivant avec un détachement souvent glaçant la suite de hasards formidables qui a permis à Wladyslaw Szpilman de survivre durant six longues années aux privations, à la peur, à l'horreur et à la mort, dans une ville progressivement réduite à une étendue de désolation, et alors que tout était fait pour annihiler le sentiment de sa propre humanité.

On sait de quoi l'homme est capable, du pire comme du meilleur. Et ce livre, d'une admirable intelligence, évidemment bouleversant, parvient encore à surprendre. La paix sur la terre aux hommes de bonne volonté. Szpilman nous convainc d'y croire encore. Malgré tout, ou plus justement avant tout.






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