27 novembre 2014

Mike Nichols I. Broadway/Hollywood (1966)

Ça faisait très longtemps que je souhaitais faire part de mon enthousiasme pour le cinéma de Mike Nichols, en particulier concernant la première partie de sa carrière, si audacieuse par ses sujets traités, si novatrice par ses inventions formelles. Sa récente disparition me met face à une opportunité malheureuse que je serai bête de ne pas saisir. 

Né en Allemagne en 1931, Nichols est entré très tôt dans le show business, d'abord à la radio puis sur les planches des cabarets grâce au duo comique formé avec Elaine May. Et c'est en particulier sur la scène de Broadway qu'il va bien vite acquérir une extraordinaire réputation de metteur en scène, remportant succès critiques et publics et se voyant confié les plus prestigieux projets. C'est donc tout naturellement qu'Hollywood en vient à s'intéresser au jeune prodige, en lui offrant pour sa première réalisation un couple de star et une pièce à succès...

20 novembre 2014

Due Leone

Après avoir évoqué les rejetons plus ou moins légitimes de Sergio Leone dans ma revue personnelle du western spaghetti, je souhaitais m'arrêter sur deux œuvres qui représentent une nouvelle charnière dans la filmographie du maître. Deux films qui parviennent à nouveau à transcender un genre avant qu'il ne se sclérose, et qu'on pourrait qualifier de "sur-western"...




C'era una volta il West (Il était une fois dans l'Ouest), 1968
Leone opère pour sa cinquième réalisation un détricotage en règle de la recette mise au point dans sa trilogie dite des dollars (Pour une poignée de dollars, Et pour quelques dollars de plus, Le Bon la brute et le truand). Il parfait son ouvrage et s'efforce de distancer ses suiveurs. En rejouant dans sa scène d'ouverture le style outrancier d'un genre qu'il a contribué à imposer, en en épuisant tous les excès, Leone l'enterre un peu aussi. Il met à mort des archétypes pour mieux aller voir ailleurs. La suite du film, dans ses personnages — la présence d'une femme forte, enfin — comme dans son ton, a en effet peu de choses en commun avec le pittoresque de ses films précédents. Ceci dit sans aucun jugement de valeur. Le temps y est quinze fois plus étiré, aboutissant à autre chose. Et cet autre chose, c'est un film tout simplement parfait, chaque scène donnant l'impression de pouvoir fonctionner de façon autonome, tout en s'agençant progressivement comme autant de pièces d'un puzzle d'une totale cohérence. Une véritable magie de cinéma qui existe pleinement grâce à la musique de Morricone qui sait comme personne faire soudain monter la tension et filer la chair de poule au spectateur. Le qualificatif d'opéra n'est certainement pas usurpé, chaque personnage apparaissant accompagné de son leitmotiv. Et j'aime cette anecdote selon laquelle Leone serrait méchamment la gorge du joueur d'harmonica lors de la séance d'enregistrement.

Comment peut-on à ce point travailler sur l'épure (peu de dialogues, actions réduites à leur essence) et offrir une réflexion aussi riche sur le mythe américain ? L'histoire se mêle à la légende, le lyrisme des situations au réalisme des détails. Le cinéaste profite de la richesse de ses superbes décors, les directeurs artistiques italiens ne sont pas pour rien considérés comme faisant partie des meilleurs au monde.

Mais cette machine resterait une coquille vide s'il n'avait pas placé à son sommet une troupe d'acteurs tous plus fascinants les uns que les autres. Claudia Cardinale n'est pas seulement mémorable par sa beauté renversante, son personnage lui-même rayonne au sein de paysages aux dimensions mythologiques. Le choix d'Henry Fonda pour incarner un salaud riche de complexité est d'une audace réjouissante. Et après la paire Eastwood Wallach, celle constituée ici par le magistral Jason Robards et Charles Bronson semble vraiment annoncer le duo Coburn Steiger du film suivant...




Giù la testa (Il était une fois la révolution), 1971
Mon chouchou dans la filmo de Sergio, dont je garde intacte l'impression de choc ressentie à sa découverte. Le premier quart d'heure, entre un jet de pisse et un gros plan de fesses, est désarmant, c'est peu de le dire. Le film ne va cesser de fonctionner sur des ruptures de tons, qui ont pour but d'embarquer, avec violence s'il le faut, le spectateur dans le flux de l'histoire, avec des personnages qui évoluent vraiment au cours du film. Rod Steiger est promu du rang de péon mexicain à celui de héros de la révolution malgré lui. James Coburn, habité par un passé tragique, cherche à expier sa culpabilité et explose tout sur son passage, au sens propre. L'un et l'autre très opposés, puis complémentaires, se toisant et s'encourageant alternativement tout au long du film, traçant le portrait d'une amitié naissante, virile, touchante. Car Giù la testa est aussi un buddy movieLe bouffon et le héros tragique déteindront l'un sur l'autre, composant certainement un des plus beaux couples de bandits que le cinéma nous ait donnés. 

À la revoyure de ce grand film, c'est sur la composition savante du cadre et sur la science du montage de Leone que je me suis surtout arrêté. Il y a notamment une utilisation de la profondeur de champ assez impressionnante, ainsi qu'une mise en scène de l'espace plus que jamais précise et inspirée. On n'en doutait évidemment pas (voir l'éblouissant duel final d'Il était une fois dans l'Ouest), et on ne profitera jamais mieux de ces films que projetés sur grand écran. Leone sait comme personne faire durer des scènes et les rendre passionnantes. Qui d'autre que lui sait à ce point faire en sorte que la musique fasse corps avec le film ? Morricone tutoie une nouvelle fois les cîmes. J'adore le thème si poignant de Sean qui accompagne des flashbacks plein de douleurs. Ces flash-backs eux-mêmes sont tout simplement sublimes, d'une pureté et d'une simplicité rare, car tout passe par la musique et l'image.

Cette vision à la fois romantique et désenchantée de la révolution bouleverse, mais n'empêche pas pour autant le réalisateur de se lâcher complètement dans l'humour et la paillardise. Mélange de spectacle et de réflexion politique, ce cocktail volontairement perturbant exprime finalement assez justement tout le paradoxe de l'engagement révolutionnaire, entre idéal et désillusion, nihilisme et imposture. L'ironie est constante, à la fois cinématographiquement (le western rend ici définitivement l'âme) et politiquement (les théories et les idéaux sont finalement peu de choses face aux faiblesses humaines et aux hasards de nos destinées). Le film me laisse à chaque fois complètement anéanti par sa puissance émotive et sa réussite artistique... Une phrase que je pourrais en fait reprendre mot pour mot à propos du testament cinématographique de Leone que sera treize ans plus tard Once upon a time in America.

13 novembre 2014

Des colts, des bottes... et des baffes

En 1964, le succès international de Pour une poignée de dollars ouvre une brèche dans laquelle l'industrie cinématographique italienne va s'engouffrer avec gourmandise. En exacerbant la violence du western américain et l'épure des films de samouraïs japonais, en faisant d'acteurs hollywoodiens en quête d'un second souffle ses têtes d'affiche, et en injectant une dose de musique pop à des thèmes classiques, Sergio Leone impose les codes d'un nouveau genre, qui finira par influencer en retour le cinéma américain. Et l'Homme sans nom incarné par Clint Eastwood est vite rejoint par une cohorte de Django, Ringo, Sabata et autres antihéros apathiques, bons bien qu'un peu brutes. Petit passage en revue chronologique, évidemment aussi incomplet qu'arbitraire...




Texas addio (Texas, adios), Fernando Baldi, 1966
Un western spaghetti qui répond aux contraintes du genre mais qui peine à trouver sa cohérence, proposant des situations qui ne débouchent sur pas grand chose, sans trop faire d'effort pour que le spectateur y croie. Franco Nero est totalement transparent dans le rôle d'un sheriff qui décide un beau jour d'aller venger la mort de son père, celui-ci ayant été abattu une bonne quinzaine d'années auparavant par un bandit devenu depuis riche propriétaire au Mexique. La caractérisation de ce bandit n'est pas inintéressante, avec la révélation d'un secret qui complexifie un peu les rapports familiaux du héros. 

Mais à côté de ça, trop de personnages apparaissent comme des caricatures, dont le soudain basculement du sadisme à la générosité apparaît bien improbable. Les bastons au corps à corps veulent en faire trop et sont un peu trop appliquées, tandis que la virtuosité au colt de Nero prête plutôt à sourire. La fin parviendrait presque à sauver la mise, échappant au traditionnel réglement de compte fatal. On retiendra davantage la photographie soignée d'Enzo Barboni (futur réalisateur des premiers Trinitaet la très chouette musique d'Anton Garcia Abril, et sa mémorable chanson générique, Texas goodbye. 




Si sei vivo spara (Tire encore si tu peux), Giulio Questi, 1967
Un film qu'on qualifiera de baroque tant il est bourré de trouvailles insolites. Ces ingrédients  en font un spectacle souvent fascinant. Ça démarre sur un Thomas Milian — à l'interprétation constamment géniale — qui surgit de terre tel un zombie. Recueilli par deux Indiens (aux traits tout ce qu'il y a d'italiens) il part en quête de l'or qu'on lui a volé et de ses assassins, et débarque dans une ville peuplée d'habitants tous plus pourris les uns que les autres, dont on apprend vite qu'ils ont déjà lynché les types qu'il était venu trouver ! On y croisera entre autres une bande de cowboys homosexuels mangeurs de fruits, tous vêtus du même intimidant costume noir. 

Incontestablement inspiré, Questi se permet d'étonnantes audaces gores qui feraient presque basculer le film dans le bis : les villageois plongent les mains à même les plaies d'un bandit pour en extirper les balles en or qui l'ont tué. Plus loin, on a droit à une scène de scalp en gros plan. Au milieu de ce monde étrange, décalé, on finit par ne plus trop savoir ce que souhaite encore notre héros mort-vivant, qui semble parfois suivre un peu les traces de l'Étranger de Pour une poignée de dollars, passant d'un camp à l'autre et poussant les gens à s'entretuer. Ici pas de duel final, mais la mort particulièrement atroce d'un des bad guys.




Corri, uomo, corri (Saludos hombre), Sergio Sollima, 1968 
Grand film d'aventures picaresques, fortement teinté d'aspirations révolutionnaires, comme souvent chez ce réalisateur. On y retrouve l'attachant personnage de Cuchillo, créé deux ans plus tôt par Milian et Sollima dans Colorado (The Big gundown), autre western qui ne se prenait pas trop au sérieux, offrant sont lot de vrais moments de virtuosité génialement soutenus par la musique de Morricone. On passe ici à la vitesse supérieure, avec un scénario encore plus réussi, des péripéties qui s'enchaînent avec bonheur et drôlerie, et on se régale de retrouver un Lee Van Cleef parfaitement employé. Formidable contributeur à la formule du buddy movie, Sollima aime bien exploiter les jeux d'opposition au sein d'un duo

Le réalisateur emballe le tout par une mise en scène pleine de maîtrise, sachant véritablement créer ses ambiances (superbe séquence de la ville désertée la nuit). C'est plein d'idées, et le portrait qui est fait de ces héros idéalistes appartenant à une époque déjà révolue achève de rendre le film étonnamment touchant. Du bonheur.




I Giorni dell'ira (Le Dernier jour de la colère), Tonino Valerii, 1968
Une autre pépite. Le film est dominé par la figure de Lee Van Cleef, mystérieux tueur virtuose qui, patriarche malgré lui, va prendre sous son aile Giulianno Gemma, excellent en orphelin crotté, humilié par toute la population soi-disant honnête et bienpensante d'une petite ville de l'Ouest. Le jeune homme va apprendre au côté du maître, s'endurcir et devenir un vrai Dieu du colt. C'est ainsi qu'il va à son tour terroriser ceux qui autrefois lui crachaient dessus. 

La progression du récit est ainsi pleine de malice et surtout mise en scène avec beaucoup de brio par un Valerii qui confirme ici — si on devait en douter — que son talent n'est pas que celui d'un film (Mon nom est personne pour ne pas le citer, les deux titres présentant d'ailleurs plusieurs similitudes, notamment tout ce discours sur les vieilles gloires du Far West). Les personnages sont nombreux, tantôt odieux, tantôt très attachants, et les quelques gunfights superbement troussés. Le final où Gemma met en pratique une à une les leçons de son maître est carrément jubilatoire. Un régal.

  


Lo chiamavano Trinità (On l'appelle Trinita), Enzo Barboni, 1970
Vers la fin des 60's, décennie assurément dorée, un tandem émerge, renouvellant quelque peu une formule éprouvée en y injectant une bonne dose de bouffonnerie. Le joli Terence Hill et le grognon Bud Spencer (de leur vrais noms Mario Girotti et Carlo Pedersoli) vont alors imposer un nouveau style de western, entre comédie et parodie, dans toute une série de films plébiscités par le public. On n'est plus dans le récit d'aventures picaresques tel qu'illustré par Leone ou Sollima, mais dans le gag limite puéril. C'est l'époque plus ou moins glorieuse des Trinita, Plata, Providenza, Etcaetera... que j'associe pour ma part aux beaux jours de La 5. 

Terence Hill est donc Trinita et c'est à peine si on peut qualifier de cowboy son personnage loqueteux qui ne se départit jamais de sa bonne humeur. Son entrée en scène le rend d'emblée sympathique, affalé sur un brancard que traîne son cheval. Sa virtuosité presque surnaturelle aux pistolets participe évidemment de son indécrottable assurance qui donne tout son sel à ses confrontations avec ses ennemis. Face à lui, Bud Spencer est Bambino, demi-frère qui se fait passer pour un sheriff dans une ville paumée. En attendant d'être rejoint par sa bande pour aller braquer des banques un peu plus à l'Est, il est contraint de rendre la justice. L'arrivée de son frère qu'il déteste va l'encombrer. Voilà pour la dynamique du film. 

Le western se tient plutôt bien, avec comme enjeu principal une communauté de Mormons installés dans une plaine et que cherche à virer un grand propriétaire interprété par Farley Granger. Des pillards mexicains se joignent à l'aventure. Ce n'est pas encore la grosse comédie bouffonne qui caractérisera plus tard les deux lascars. L'humour est plutôt fin et tout à fait proche de ce qu'on pouvait trouver dans certains westerns ricains. L'ambiance est décontractée, à l'image du personnage de Trinita, pas particulièrement futé (c'est vraiment Bambino le cerveau) mais qui ne se décontenance jamais. Le film pose quand même les bases du genre avec des séquences de bourre-pif bien marrantes, des méchants ridiculisés et un final en forme de monumentale bagarre qui réunit tous les personnages. Les fringues sont plus poussiéreuses que jamais, les gueules sales et mal rasées et Barboni signe une mise en scène tout à fait soignée dans un joli scope (rappelons que l'homme était à la base directeur photo). Cet énorme succès commercial mettra franchement les glandes à Leone, persuadé d'avoir enfanté un monstre.




...Continuavano a chiamarlo Trinità (On l'appelle toujours Trinita), Enzo Barboni, 1971
Cette suite va pulvériser de loin les records du précédent. Il s'agit carrément du plus gros succès de tous les temps du box office italien. S'il est toujours plaisant de retrouver les deux frères et leur caractère désormais bien établi, il faut bien reconnaître que le scénario est d'une paresse rare. On fait la connaissance des parents, ce qui permet de constater que les frangins ont de qui tenir, puis on suit ces derniers dans leurs tentatives toutes plus foireuses les unes que les autres de mener une vie de hors-la-loi, Bambino ayant promis à leur père de veiller sur Trinita. Le récit s'apparente ainsi à une suite de sketches pas toujours très réussis, même si petit à petit une vague intrigue se met en place. 

Les ressorts comiques reposent ici essentiellement sur des confrontations entre ces deux bouseux bourrins et les conventions sociales (genre Trinita et Bambino jouent au poker, Trinita et Bambino se font un resto, Trinita et Bambino au confessionnal...). Le registre scato se développe un peu en la personne d'un bébé souffrant d'aérophagie, les bastons s'efforcent de passer à une échelle encore supérieure avec un final où nos deux héros sont déguisés en moines et affrontent quasiment à eux seuls les méchants, tout en jouant au rugby avec un paquet de dollars. On remarquera d'ailleurs que lors de ces empoignades bien burlesques personne ne pense à sortir son flingue. Sur fond de bruitages cartoonesques, Bud écrase des crânes et Terence colle des baffes. La mise en scène reste heureusement d'une belle élégance, mais les gags sont la plupart du temps trop poussifs pour que le film mérite vraiment d'être considéré au-delà du moment relativement agréable qu'il fait passer. Il donne d'autant plus de valeur au premier opus qui se confirme comme étant une belle réussite. Le duo formé par Hill et Spencer évoluera ensuite dans des univers plus contemporains (Attention on va s'fâcher !, Deux superflics, Pair et impair...).



Il mio nome è Nessuno (Mon nom est Personne), Tonino Valerii, 1973
Dans mon souvenir, il s'agissait d'un film d'aventures rigolo avec des scènes bien outrancières à base de baffes et de pêts (y'en a). Or, on a ici affaire à un film presque funèbre, une longue ballade à cheval entre deux approches d'un même genre cinématographique. Mon nom est Personne est un western d'un autre monde, en forme d'adieu à un genre et à une époque. Non pas un western crépusculaire, mais un enterrement en grande pompe. On est clairement ici dans des jeux de symboles, dans la peinture de mythes. Henry Fonda représente les derniers feux de la légende de l'Ouest. Après en avoir achevé la conquête, il opère logiquement un retour à la vieille Europe. Son personnage est las de combattre. Terence Hill incarne quant à lui la face contemporaine du western, devenue clownesque depuis quelques années en Italie. Fasciné depuis tout gosse par son héros, il souhaite lui offrir un départ en beauté avant de prendre la relève. Quand bien même il s'appelle Personne, il ne fait aucun doute qu'on est là face à un nouvel avatar de Trinita. Il en affiche tous les attributs, ainsi les plâtrées de haricots rouges bâfrés goulûment à la poêle. 

Le film, produit par Leone, se présente d'une certaine manière comme une mise au point — dans tous les sens du terme — du personnage et de ce qu'il représente. On relève des tas de citations qui revisitent le paysage du spaguetti western : la scène des baffes dans le saloon provient d'On l'appelle toujours Trinita, la scène où Personne tire sur le chapeau de Jack Beauregard était déjà présente dans Colorado, sans parler de l'ouverture avec les trois bandits qui préparent leur embuscade, décalque évident d'Il était une fois dans l'Ouest. Valerii orchestre superbement ce face à face, avec la collaboration de Morricone, qui signe là une partition magnifique. Derrière son goût pour le pastiche, ses mélodies et arrangements dispensent une profonde mélancolie. La direction artistique est exemplaire, avec une utilisation assez fabuleuse des décors et des paysages naturels. Le film semble avoir bénéficié de moyens bien supérieurs à la moyenne de ce type de productions. L'ensemble offre de superbes moments de cinéma, culminant sans doute lors de l'affrontement avec la Horde sauvage, défi d'autant plus beau qu'il s'annonçait impossible à relever, presque donquichottesque. Si on rigole beaucoup devant ce film riche de scènes surprenantes, on en sort au final avec un goût amer, celui de quelque chose qui a cessé d'exister. 

3 novembre 2014

Mémoires, mes belles mémoires... 4

Zappa par Zappa
Une lecture à la hauteur des attentes qu'on pourrait avoir avec un tel bonhomme au talent démesuré. Zappa a une sacrée verve et cette autobiographie publiée en 1989 — 4 ans avant sa mort — offre d'innombrables morceaux de jubilation, tout en s'efforçant de tordre le cou à certaines légendes : non, Zappa n'a jamais mangé de caca sur scène (ni ailleurs). Sont abordés aussi bien ses procès pour obscénité, les diverses mésaventures qui peuvent arriver à un groupe en tournée, le comportement de certaines groupies, les collaborations houleuses avec certains orchestres symphoniques. Zappa retrace également tout un pan de l'histoire de la musique américaine, et va jusqu'à anticiper sur le téléchargement via Internet (!). Plus que certaines anecdotes croustillantes sur Captain Beefheart, Steve Vai ou Hendrix, les nombreux commentaires sur sa conception de la musique m'ont passionné.

Zappa abandonne malheureusement au bout d'un moment tous ces aspects résolument autobiographiques pour virer carrément à une attaque en règle de la société américaine de ces années 80, qu'il s'agisse des mensonges de l'administration Reagan ou des télévangélistes. Je n'imagine même pas dans quel état l'aurait mis par la suite la politique d'un Bush junior. Ce n'est pas inintéressant en soi et l'auteur s'y montre sacrément remonté, mais ce n'est pas forcément ce qu'on vient chercher dans un tel livre. Le bouquin est sinon très joliment illustré et rempli de jeux typographiques qui donnent presque à entendre le ton outrancier du moustachu. Bref, c'est incontournable, et ça redonne bien sûr envie de replonger dans sa monstrueuse discographie, l'ouvrage permettant d'en faire un peu plus facilement le tri.




Françoise Hardy, Le Désespoir des singes... et autres bagatelles
Aucune mention d'un quelconque nègre sur les pages de garde et j'ai vraiment retrouvé à l'écrit la "voix" de Françoise. Aussi je veux bien croire qu'elle est l'unique rédactrice de ses mémoires tant la délicatesse et la sincérité du style colle avec la personnalité de l'auteur-interprète de Partir quand mêmeJ'ai d'autant plus apprécié cette lecture que le récit est copieux. Hardy verse parfois dans le pur anecdotique mais cela participe d'une sorte d'impudeur ici partout à l'œuvre. C'en est même troublant puisqu'elle évoque dans le détail mais sans croustillant sa relation amoureuse avec Dutronc, à la fois belle et douloureuse. Il en résulte une chaleureuse proximité avec cette femme. 

Et puis bien sûr, elle évoque sa carrière musicale, les conditions d'enregistrement de certains disques, ses collaborateurs, sans rien enjoliver. Ça m'a presque désolé de constater qu'elle reconnaît elle-même n'avoir pas su mieux contrôler la direction artistique de ses albums des années 80 produits par Yared/Jonasz que j'ai toujours trouvés bien ratés. L'ensemble est régulièrement ponctué de réflexions toutes simples mais touchantes sur l'existence, assumant les erreurs passées et profitant du recul d'aujourd'hui pour les analyser. Une confession précieuse, inespérée et désormais indispensable pour tout amateur.