4 septembre 2015

Superman, du papier à l'écran

Créé en 1938 par Jerry Siegel et Joe Schuster, Superman a été un succès immédiat qui a aussitôt inspiré des adaptations sur grand écran, sous forme de cartoons (splendide production des frères Fleischer) ou de serials. Après avoir abordé quelques récits de bande dessinée des années 2000, voici un passage en revue des adaptations cinématographiques marquantes des aventures du "Man of steel".



Superman the movie, Richard Donner (1978)
Une œuvre qui me semble aujourd'hui tissée pour toujours dans la fibre nostalgique. J'ai presque envie de considérer ce film comme une succession de purs morceaux de cinéma : le prologue sur Krypton avec la scène du procès suivie de l'ouverture du dôme, visuellement superbe, la jeunesse à Smallville et ses paysages d'une beauté littéralement picturale, magnifiés par le Cinémascope et la lumière de Geoffrey Unsworth, la mort très émouvante et filmée avec pudeur du père adoptif (Glenn Ford), le tout premier envol du surhomme rouge et bleu depuis sa forteresse de solitude, arrivant droit sur le spectateur avant de virer de bord avec grâce, les séquences très screwball comedy de Clark et Loïs au Daily Planet, leur dialogue pimenté sur le balcon (« Do you like pink ? »), la fin qui tourne au film catastrophe caractéristique de ces 70's.

La mise en scène de Richard Donner est admirablement soignée, délicate et intelligente, trouvant des angles de prise de vue qui mettent à chaque fois bien en valeur la puissance et les mouvements du héros, recourrant à un montage parfois expérimental (la création de la forteresse). Dans la peau de Lex Luthor, Gene Hackman fait véritablement preuve de génie et Margot Kidder est irrésistible, composant une Loïs Lane dynamique et un peu fofolle. Christopher Reeve possède quant à lui un charisme incroyable. Son jeu est réellement subtil, va bien au-delà du simple port de costume et le réalisateur a vraiment su capter en lui toute la noblesse du héros majuscule, sollicitant la complicité du spectateur sans craindre d'être naïf. Ainsi ce plan final où Superman survolant la Terre adresse un clin d'oeil à la caméra est une idée aussi audacieuse que réussie. La musique malicieuse de John Williams sait assez génialement soutenir les différents rythmes du film, et j'adore le Love theme associé à Loïs, qui culmine lors de leur désormais mythique scène de vol dans la nuit de Metropolis. Nul n'est dupe de l'illusion cinématographique et pourtant on participe à 100%. Et qui n'a pas été saisi de frissons lorsque le héros pousse son cri de rage devant le cadavre de Loïs et se propulse dans le ciel, poing en avant, bravant tous les interdits ? Quand on pense que c'est l'Anglais mou Guy Hamilton qui devait réaliser le film au départ.






Certes, certains décors font un peu maquette et carton-pâte (Krypton, l'Arctique, la rupture du barrage), les scènes de vol apparaissent approximatives, mais ça participe de cette esthétique de comic book de la vieille école. Lorsque le film est sorti, ces effets en plus d'être pour la plupart inédits représentaient le nec plus ultra de ce qu'il était possible de faire. Ce côté artisanal fait plaisir à voir aujourd'hui à une époque où les effets spéciaux tentent de nous en mettre plein la vue avant de nous charmer, et nous laissent un peu blasés. L'aspect psychologique du superhéros face à ses pouvoirs et à sa place dans la société est traité comme il faut, sans lourdeur ni perdre de vue le but premier de la production qui est de divertir. Ainsi le discours du père Marlon Brando à Clark qui lui explique les raisons de garder son identité secrète, valable pour tout superhéros constamment menacé de passer pour un freak. On sent qu'il y a eu une vraie réflexion sur le genre, exprimant le souci d'aborder Superman en tant que mythe américain (ses paysages emblématiques, le rythme de sa campagne, celui de sa ville). Vraiment un petit miracle que ce film qui cartonna méchamment à sa sortie.





Superman II, Richard Donner (1978) / Richard Lester (1980)
Alors qu'il le tournait en parallèle du premier volet, Donner se vit dépossédé du projet par ses producteurs. Et c'est le britannique Richard Lester qui reprit, réorienta et acheva ce Superman II tel qu'il sortit sur les écrans et qu'on l'a vu pendant des années. Trente ans plus tard, la Warner offrit à Donner l'opportunité de revenir sur la matière déjà en boîte et de présenter sa version du film, qui s'affirme plus que jamais pensé dans la continuité du premier volet, tant sur le plan de la narration, que du ton. Bien que dissimulant mal son côté un peu bricolé (en reconstituant par exemple des scènes perdues à partir de répétitions filmées, et en conservant quand même des plans tournés par Lester), cette Donner's cut ne manque pas d'intérêt, et c'est quand même assez fabuleux qu'elle ait eu droit à sa résurrection.

Elle permet surtout de constater à quel point l'autre Richard avait de son côté réussi à marquer le film de son empreinte, pour le meilleur ou pour le pire, avant de pouvoir pleinement lâcher son goût pour le burlesque dans le troisième volet. Dans un cas comme dans l'autre, j'avoue que ça reste un film qui ne m'a jamais vraiment passionné, un peu trop en mode remake paresseux et dispensable, n'ajoutant que peu de développements au premier film qui avait déjà tout dit.





Superman III, Richard Lester (1983)
Le film annonce dès son ouverture que le ton est cette fois à la franche rigolade et au burlesque. On commence par un simili-sketch face caméra de Richard Pryor qui fait son stand up comedian dans une agence pour l'emploi, et on enchaîne par une scène de pur slapstick dans les rues de Metropolis. Par la suite, les gags se poursuivront sur un rythme inlassable, parfois totalement surréalistes (les bonhommes signalant la priorité piéton qui se battent, Superman évitant des missiles comme dans un jeu vidéo). Doublés par le doubleur d'Eddie Murphy, les « Eh-eh, Supermec ! » de Richard Pryor demeurent pour moi précieux. Christopher Reeve est une nouvelle fois parfait. Et je ne sais pas jusqu'à quel point je fais preuve d'indulgence mais même le trio de méchants, pourtant volontairement grotesque, me fait marrer ; Robert Vaughn se régale manifestement de son cabotinage éhonté. 

Malgré certaines lourdeurs et surtout certaines baisses de rythme, le scénario tient la route. Le rôle de Margot Kidder relève plus du cameo qu'autre chose. Elle est artificiellement éjectée du film sous le fallacieux prétexte d'un voyage aux Bahamas. L'idée du retour de Kent à Smallville donne lieu à une jolie histoire avec une de ses anciennes copines de lycée et une tranche d'Americana fort touchante, Superman en étant l'incontestable incarnation. La partie la plus réussie du film, la plus excitante, est bien évidemment celle où Superman, sous l'emprise d'un morceau de kryptonite incomplet, bascule du côté obscur. Le voir ainsi, mal rasé et l'air mauvais, éclater d'une pichenette de cahouète la vitrine d'un bar, envoyer balader les enfants où remettre à l'endroit la tour de Pise est un régal. Son affrontement avec son double dans la casse automobile est à juste titre anthologique. Et puis il y a ce final avec la customisation de la méchante sœur en cyborg destructeur, séquence qui à l'époque m'avait puissamment traumatisé. C'est assez intéressant d'ailleurs de constater la vision un peu fantaisiste que les scénaristes avaient de l'informatique à l'époque, où plus l'ordinateur est puissant, plus il est gros. 


Une fois acceptée la vampirisation du spectacle par Pryor, on s'amuse vraiment beaucoup devant ce volet iconoclaste. On a un peu l'impression que c'est l'équipe de Mad magazine qui est aux commandes, mais on pourra aussi bien y voir la patte de Richard Lester qui avait déjà repris les rênes du deuxième volet des mains de Donner sans pouvoir pleinement y injecter son style et son humour british. Il est évident que le film perd du coup une certaine classe, mais je trouve ces tentatives de renouvellement divertissantes. Quand Superman devient mauvais, c'est un peu comme s'il s'humanisait. Il montre qu'on peut en avoir marre de tout le temps sauver ces humains irresponsables et capricieux qui n'arrêtent pas de se mettre en situation de danger. C'est un peu comme si nous-même disposions de ses pouvoirs. Qu'en ferait-on ? Est-ce qu'on n'en profiterait pas effectivement pour faire des blagues de mauvais garçon en toute impunité, et draguer les demoiselles opportunément coincées sur la tête de la statue de la liberté ? Je trouve le postulat intéressant.




Superman returns, Bryan Singer (2006)
Bonheur simple et vrai de retrouver l'univers visuel du film de Donner plus ou moins "upgradé" (le plan d'ouverture sur la surface de Krypton, le voyage cosmique du générique, le design de la forteresse de solitude, la reprise des thèmes de John Williams). De même que de constater la reprise de pas mal de répliques et de détails qui renforcent encore la filiation entre les deux films, notamment le fait que Loïs soit une quiche en orthographe, le père de Lex Luthor qui lui disait « dégage ! », le transport aérien comme statistiquement le plus sûr, etc. Mais la comparaison achève quand même de bien enfoncer le Singer. Chez Donner, les dialogues sont mille fois plus piquants, et les performances de Margot Kidder, Gene Hackman, Ned Beatty et le rédac-chef du Daily Planet restent inégalées. Le Lex Luthor de Kevin Spacey marche clairement sur les traces de Hackman mais en dix fois moins convaincant, ne trouvant jamais l'équilibre entre cabotinage et conviction. J'ai juste bien aimé le luxe du grand salon de son bateau et aussi la scène très old school de destruction de maquette. Autre élément gênant qui a la mauvais idée non seulement d'arriver très tôt mais aussi de gâcher la scène la plus attendue : Singer a raté l'entrée en scène de son héros, alors que le premier plan où il apparaît aurait du être particulièrement chargé en émotion. La bonne idée du film, elle est dans son titre : Superman revient, et Singer aurait davantage pu jouer sur l'attente. Les spectateurs auraient à coup sûr suivi. 

Brandon Routh m'a un peu embarrassé au tout début, je trouvais qu'il faisait beaucoup trop teenager. Ça s'améliore déjà bien avec son déguisement en Clark Kent, et l'acteur se révèle par la suite vraiment convaincant, son visage lisse étant bien exploité. Pour Loïs Lane, la jeunesse de l'actrice m'a semblé là encore jouer contre son personnage — sans parler de la capacité qu'elle a de s'en prendre plein la tête et d'en sortir sans une seule égratignure. Comme si le département marketing du studio avait imposé que les acteurs principaux aient une différence d'âge minime par rapport au public ciblé. Quand je pense qu'il fut autrefois question de Nicolas Cage comme porteur du costume bleu et rouge, je me dis que c'est dommage de ne pas avoir davantage joué sur la maturité des personnages. Seul ce bon vieux Jimmy m'a paru judicieusement casté. 


Dans la limite de ses moyens, que j'estime ici atteinte, Bryan Singer livre un film quand même soigné, mais tellement respectueux du mythe qu'il en devient peut-être un peu trop timide, n'osant jamais vraiment aller au bout de thématiques qui auraient du rendre le récit passionnant : le héros qui revient déçu de la quête de ses origines, ses interrogations sur la juste place qu'il doit occuper dans la société des hommes, la question de la filiation, son inévitable destin de sauveur de la planète, tâche digne mais pesante alors que lui aurait tellement voulu être simplement aimé par Loïs. Tout ça donne souvent lieu à de belles images, poétiques voire iconiques : Superman atterrissant dans sa forteresse, se rechargeant au soleil, tombant crucifié dans l'espace, posant dans la chambre du fils,  regardant Loïs monter à travers les parois de l'ascenseur, puis Loïs dans les airs touchant du doigt la surface miroitante de l'eau. Mais les développements sont paresseux et frustrants. Ce n'est certainement pas par manque de temps et la responsabilité serait plutôt à chercher du côté des scénaristes (dialogues, construction du récit rarement exaltants). Le coup du gamin s'est avéré être un excellent rebondissement, par contre l'épilogue m'a semblé inutilement long, d'autant plus que le suspense est éventé. Question émotion, la magie est trop rare, et rayon humour c'est vraiment par indulgence que j'ai souri.

Loin de moi l'idée de vouloir refaire le film, mais il y a aussi un autre aspect qui aurait pu le rendre très fort : lors de l'arrivée de Kent au Daily Planet, des écrans de télé nous montrent quelques images d'actu sur des conflits ayant lieu un peu partout sur la planète. Pourquoi avoir cantonné les actions héroïques de Superman à Metropolis alors que ça aurait pu être formidablement audacieux de démontrer que si le monde semble mener au chaos depuis tant d'années, c'est peut-être lié à l'absence du superhéros. Tout le discours sur le besoin qu'a la planète d'un Superman aurait pu être magnifiquement boosté par cette inscription dans la géopolitique. Les précédents film avaient bien profité de la guerre froide. L'image quasi divine de Superman portant l'énorme globe du Daily Planet apparaît ici comme un ersatz de cette problématique. Bref, c'est moyennement maîtrisé et j'ai un avis plutôt mitigé, mais comme j'aime bien ce personnage je n'ai pas non plus envie d'être trop sévère. Je verrai si ça vieillit bien, même si je n'éprouve encore aujourd'hui aucune curiosité à le revoir.

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