9 octobre 2015

Trois Fallet (veine whisky)

René Fallet, Banlieue Sud-Est, 1947
Un grand, très grand livre. Écrit et publié en 1947, ce premier roman est la chronique poétique, coléreuse et lucide d'une certaine jeunesse sous l'Occupation. Ses combines, ses errances, sa joie de vivre, ses conneries, l'ennui, l'amour. Sous ces atours, Banlieue Sud-Est n'est pourtant pas un roman d'initiation aux étapes balisées. Le regard du narrateur est déjà empreint d'une mélancolie qui témoigne d'une maturité d'autant plus impressionnante que Fallet n'avais alors que... dix-neuf ans ! 

Dans la droite lignée d'un Louis-Ferdinand Céline auquel j'ai souvent pensé (le livre fut d'ailleurs édité chez Denoël), Fallet semble réinventer le langage à chaque phrase et ses dialogues sont tout aussi savoureux que ses descriptions. Ainsi la forme est aussi insolante que le fond. Puissant, passionnant, et bouleversant par tout ce que l'on devine d'autobiographique dans cette bande de copains face à la gravité d'une époque et aux tragédies du choix. Un vrai coup de cœur.




René Fallet, Paris au mois d'août, 1964
Une jolie histoire d'amour d'été, pleine de légéreté et de douce folie. Fallet a incontestablement une chouette plume, et il en profite ici pour tracer autour de sa romance un portrait du Paris des 60's dont il n'apprécie clairement pas toutes les transformations. Assumant son passéïsme cynique, il dénonce par exemple l'influence de la télévision, le développement des HLM, l'essor de la circulation automobile, le tourisme de masse. 

C'est souvent cruel, parfois aussi un peu douteux : je ne suis pas sûr qu'il y ait du second degré lorsqu'il critique l'intelligentsia de St-Germain-des-Près ou la présence de populations immigrées dans certains quartiers (il y a même un paragraphe assez dérangeant sur les "apports" de l'Occupation allemande à l'urbanisme parisien). Comme souvent chez Fallet, il n'y a pas beaucoup de distance entre le narrateur et la pensée de l'auteur. Il ne cherche ni à séduire, ni à convaincre, mais assume sans hypocrisie ses opinions, en même temps qu'il déroule son intrigue, tout naturellement, l'air de rien.




René Fallet, L'Amour baroque, 1971

À partir d'une histoire somme toute banale, bien qu'universelle, sur la possession amoureuse, Fallet fait encore une fois ici la démonstration de la toute-puissance de l'écriture. Mettant en scène un protagoniste souvent indéfendable dans ses comportements, la plume de l'auteur sait se montrer aussi agaçante qu'inspirée, nous poussant à être de son côté tout en étant bousculé par sa personnalité irrécupérable. 

L'Amour baroque dresse un portrait sans concession du tourment amoureux, ne négligeant pas derrière la passion tout ce qu'il peut comporter de bassesse, d'égoïsme, de folie et de beauté. Rien ne sera épargné, et ce qui l'emporte c'est peut-être l'aspect pathétique de cette destinée, qui fait qu'on en vient à s'interroger sur ce que pense finalement l'auteur, à découvrir qu'on n'avait peut-être pas mis suffisamment de distance entre lui et son personnage.

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