23 novembre 2015

Mike Nichols VII. Rideau (2003-2007)

Angels in America, 2003
Après une décennie 90 franchement peu emballante, Mike Nichols retrouve un nouveau souffle avec cette production pleine d'audace, perturbante et fascinante. Angels in America est à l'origine une pièce de théâtre fleuve (7 heures), écrite par Tony Kushner en 1993 et couronnée du prix Pulitzer. C'est la chaîne câblée HBO qui décide d'en faire une luxueuse minisérie de 6 épisodes, confiant l'adaptation à l'auteur lui-même.

Angels in America est une œuvre qu'on peut qualifier de fin de siècle. L'action prend place à New York durant les années Reagan et l'émergence du Sida, qui bouleversa particulièrement le milieu gay à cette époque. L'origine théâtrale est sensible  puisque la narration prend la forme d'une suite de duos d'acteurs, d'un enchaînement de confrontations. Les scènes s'éternisent pas mal, ce qui donne lieu à la fois à de sacrés performances mais aussi à des échanges riches et poétiques. C'est donc très verbeux, à tel point qu'on peut parfois se perdre dans les circonvolutions de dialogues écrits avec une incontestable virtuosité. Le propos est assez audacieux, puisqu'on y parle de cul, de politique, de mort et de religion, sans tabou, avec une crudité assumée des dialogues et des situations, et via un ton plutôt ouvertement antirépublicain et antipuritain. Pour autant, Angels in America est loin d'être un pensum lourdingue, Kushner s'étant efforcé de ne jamais oublier ses personnages, et de les traiter avec justesse. Les Mormons sont par exemple loin de la caricature attendue. De même, tout ce qu'il y aurait pu avoir de prétentieux dans l'ambition du dramaturge est régulièrement désamorcé par l'humour et l'autodérision. Lorsque le fantastique s'invite, les personnages réagissent ainsi logiquement et normalement face à l'irrationnel. L'onirisme est d'ailleurs traité ici sans complaisance, en mélangeant constamment rêve et trivialité. Signés Richard Edlund, les effets spéciaux sont parfaitement maîtrisés, donnant lieu à des visions souvent impressionnantes. Visuellement, le spectacle est particulièrement soigné : riche photographie automnale de Stephen Goldblatt qui profite d'un tournage en extérieur pour mieux mettre en valeur New York, décors fignolés par Stuart Wurtzel, le tout soutenu par la musique fort émouvante de Thomas Newman.

Maître de ce bateau, Nichols assure pour sa part une mise en scène inspirée, maîtrisant parfaitement les étonnantes séquences oniriques et sachant parfaitement valoriser ses comédiens. Le rythme de la série télé lui permet de leur offrir un vaste champ d'expérimentation. Et c'est peu de dire que la distribution est prestigieuse et l'interprétation estomaquante. Le metteur en scène retrouve notamment Meryl Streep et Emma Thompson, et ses jeunes acteurs dament sans problème le pion aux vieux briscards. Justin Kirk est particulièrement impressionnant. Comme dans la pièce, les personnages jouent un double rôle. Ça tourne sans doute un peu trop souvent à la performance, mais on sent que Nichols les encadre et que ses acteurs donnent le meilleur d'eux-mêmes. La série fut un événement mondial et même sa diffusion en France a été bien médiatisée. Elle fut auréolée de cinq Golden globes pour les acteurs Pacino, Streep, Jeffrey Wright, Mary-Louise Parker, et élue meilleure minisérie. Kushner coscénarisera ensuite avec tout autant de talent le formidable Munich, de Steven Spielberg (2005)



Closer (Entre adultes consentants), 2004
On ne quitte pas le théâtre, puisque pour son retour au cinéma, Nichols met en scène une nouvelle adaptation  de pièce, là encore confiée tant qu'à faire à l'auteur lui-même, le britannique Patrick Marber. Toujours à cheval sur les générations, toujours respecté par la profession, Nichols bénéficie d'un casting à la mode, avec un quatuor d'interprètes impeccablement impliqués. Portman avait déjà été dirigée par Nichols sur scène dans La Mouette. Owen et elle livrent ici de vraies performances, grâce à des rôles forts et bien écrits de personnages qui évoluent étonnamment au fil de l'histoire. Law et Roberts font pour leur part preuve d'une vraie sensibilité dans leur interprétation, mais peinent à faire ressentir la passion qui est censée les mouvoir. Du coup, cette inégalité finit par rendre le film moins passionnant qu'il aurait pu être. On se contente alors d'apprécier les moments forts qu'il nous offre, au sein d'un ensemble qui aurait pu convaincre davantage. À ce titre, on notera la très belle chanson de Damien Rice en ouverture et fermeture du film, qui apporte une belle et profonde atmosphère de mélancolie.

Comédie dramatique, Closer est un film sur les hasards et ses malentendus, sur la perversité, l'amour et la vengeance. La question est de savoir si la franchise n'est pas parfois plus dévastatrice que le mensonge. Plus prosaïquement, il est surtout question ici d'adultères et de jeux d'adultes à l'intérêt relatif. On est à Londres, mais en dehors de l'utilisation du chat Internet, le film ne cherche pas particulièrement à faire du social ou a prendre le pouls de la société du début du XXIe siècle. Plutôt épuré, le film est construit comme une suite de duos d'acteurs, exactement comme dans Angels in America. Se soumettant à ce dispositif, la caméra de Nichols, souvent en mouvement, capte et observe impitoyablement chaque couple se débattre au sein des décors successifs. La gestion du temps est assez stimulante, chaque scène étant séparée des autres de plusieurs mois, et le spectateur étant invité alors à refaire le point sur les relations entre les personnages, reconstituant l'état de leur situation à partir de rares indices. 

Après le coup d'éclat d'Angels in America, l'ambition de ce nouveau film, son propos très adulte et la rigueur de sa mise en scène font que la critique lui reconnaîtra un certain intérêt. C'est à noter car il y a encore peu de temps, le cinéaste semblait définitivement déconsidéré par ces mêmes critiques.



Charlie Wilson's war (La Guerre selon Charlie Wilson), 2007
Presque dix ans après Primary colors, Nichols s'offre une nouvelle plongée dans les coulisses du pouvoir américain. Il est cette fois formidablement secondé par le si brillant Aaron Sorkin, spécialiste et explorateur infatigable de la gouvernance américaine (Le Président et Miss Wade, et surtout The West wing). Ce Charlie Wilson's war est une production aux allures télévisuelles, qui aurait pu être produite par HBO. Il s'agit de dévoiler sous l'angle de la farce les arcanes des décisions politiques, les jeux de pouvoirs dans les couloirs, entre enjeux financiers et contrôle médiatique. 

Le rythme inimitable des dialogues de Sorkin donne au film un emballage de comédie américaine diablement efficace, mais qui ne doit pas faire perdre de vue la virulence du propos. On y parle en effet de choses aussi graves que des responsabilités des politiques américaines qui armèrent les Talibans pour lutter contre l'armée soviétique en Afghanistan. On a alors d'autant moins envie de rire que derrière les situations loufoques et l'abattage des acteurs, ce n'est rien de moins que la réalité historique qui nous est ici racontée, finalement sans forcer tant que ça le trait. La satire devient alors vite grinçante. L'interprétation est une nouvelle fois chez Nichols remarquable. Tom Hanks et Philip Seymour Hoffmann jouant toujours à la limite du grotesque, et on se régale avec eux. Le film est un peu passé inaperçu. Sa légereté est feinte et il mérite qu'on s'y attarde de plus près. 

Et c'est sur ce titre plein de fougue que s'achève la filmographie de ce cinéaste qui, s'il a calmé les folles audaces visuelles de ses débuts, n'a jamais cessé d'offrir de passionnants espaces de jeux à certains des meilleurs comédiens d'Hollywood.


DOSSIER MIKE NICHOLS :

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