25 décembre 2015

Noël ! Noël !

King of kings (Le Roi des rois), Nicholas Ray, 1961

La superproduction antique a été à partir du milieu des années 50 une étape presque obligée pour un grand nombre de réalisateurs hollywoodiens. Parmi les plus notables : De Mille (The Ten commandments), Hawks (Land of the Pharaohs), Wyler (Ben-Hur), Vidor (l'embarrassant Solomon and Sheba), Aldrich (Sodom and Gomorrah), Mankiewicz (Cleopatra)Anthony Mann (l'intelligent et somptueux The Fall of the roman empire), Kubrick (Spartacus), George Stevens (The Greatest story ever told) ou encore Huston (The Bible). Ce sont des œuvres mal aimées, déconsidérées souvent à raison par rapport aux autres films de ces cinéastes, car jugées comme de grands barnums forcément impersonnels.

Film peu connu, parce que vite mis dans le même panier, King of kings version 1961, c'est du Nicholas Ray en fin de carrière, à une époque où le cinéaste était plus que porté sur la bouteille. C'est un film de commande, qui se révèle avant tout très illustratif, n'ayant donc absolument pas pour ambition de proposer un semblant de réflexion sur les Évangiles. Certes. La raison pour laquelle j'en parle et le loue, c'est parce que c'est magnifiquement mis en scène. Le film ne trouve en effet pas son intérêt dans son récit mais bien dans sa forme. Pas un plan, pas un enchaînement qui ne soit surprenant, riche d'inventivité, rendant vraiment le visionnage d'autant plus jubilatoire qu'on n'en attendait pas tant. Ray ne s'est clairement pas endormi pendant le tournage, et l'on retrouve par moment la patte sophistiquée du metteur en scène de Rebel without a causeOrson Welles assure la narration en voix-off, tandis que dans le rôle-titre, les yeux bleus de Jeffrey Hunter incarnent ce qu'il faut de magnétisme. Mais c'est surtout Robert Ryan qui en impose en Jean le baptiste. L'acteur donne l'impression d'être fait d'un seul bloc, prêt à assumer son destin jusqu'au bout. Il ne faut vraiment pas rater l'occasion de découvrir ce film méconnu qui propose donc un spectacle visuellement époustouflant... avant d'enchaîner avec son pendant satirique, le génial Monty Python's life of Brian.



Barabbas, Richard Fleischer, 1961
Une superproduction chapeautée par De Laurentiis, le mogul italien que Fleischer retrouvera en fin de carrière pour ses adaptations rigolotes des romans de Robert E. Howard. J'ai écrit plus haut que s'il semblait pourtant idéalement s'y prêter, le genre du peplum n'a pas vraiment donné de films réussis sur le sujet religieux, préférant privilégier le folklore et le spectaculaire, plutôt que de traiter dignement la représentation et le sens des mythes, ou de poser la question de la croyance. Adaptant le roman du Suédois Pär Lagerkvist, prix Nobel de littérature, le film de Fleischer procède un peu comme le Ben-Hur de Lewis Wallace : il s'agit en effet dans les deux cas d'aborder la figure et le message du Christ via un personnage secondaire, en marge des textes canoniques. Là, le prince déchu Ben-Hur, ici le bandit Barabbas, être fruste grâcié par la foule et qui va lutter pendant des années pour donner un sens à ce nouveau destin. 

La force du film s'impose au spectateur dès les premières images, qui projettent sur l'écran les moments forts de la Passion du Christ. Clair-obscur impressionnant et maîtrise admirable d'un format cinemascope exploité dans toutes ses possibilités.  Et c'est peu de dire que le film prend une toute autre dimension si on a la chance de le voir sur grand écran. Fleischer définissait ce film comme une superproduction intimiste, et le résultat est en effet aussi spectaculaire qu'intelligent. Des mines de souffre, aux arènes de gladiateur, des bas-fonds de Jerusalem à l'émergence d'une lumière intérieure, la trajectoire du protagoniste propose un voyage d'une très grande richesse. Le film est vraiment une des plus belles réussites du genre selon moi — et sur tous les plans (interprétation, scénario, photo, musique, réalisation). Et dans le rôle-titre, Anthony Quinn est tout simplement prodigieux, trouvant certainement là un de ses rôles les plus intéressants.




Il Vangelo secondo Matteo (L'Évangile selon Saint-Matthieu), Pier Paolo Pasolini, 1964
Des visages, des figures... Soucieux de vérité et de retour aux sources, Pasolini refuse ici toute fabrication dramaturgique. Il donne corps au texte, rien qu'au texte et on a ainsi l'impression comme jamais auparavant que la parole du Christ nous est donnée dans toute sa force. L'Évangile de Saint-Matthieu procédant par épisodes, Pasolini respecte cette construction lacunaire et ne craint pas les ellipses brutales, au risque parfois de faire décrocher le spectateur devant l'avalanche des paraboles. Mais comme cette vision qui nous est proposée est inédite, on reste fasciné et, malgré tout, la voix et les idées du prophète nous pénètrent. 

Portée par la seule présence des acteurs, la force du film nait également de cette rigueur esthétique qu'impose le cinéaste. L'inscription des personnages dans la Nature et la lumière en devient alors souvent envoûtante. Le noir et blanc violemment contrasté de Tonino Delli Colli est absolument magnifique, et même si on peut trouver que Pasolini en abuse un peu à force de répétitions, les musiques choisies (Bach, Mozart, du gospel) créent de beaux moments, l'émotion parvenant finalement à surgir lorsque le Christ arrive au bout de son chemin et entre dans la douleur. 




The Last temptation of Christ (La Dernière tentation du Christ), Martin Scorsese, 1988
Au-delà de ses audaces discutables — la scène des baptêmes de Jean-Baptiste est un peu trop rock n'roll — il s'agit pour moi d'un des films les plus justes et intelligents jamais réalisés sur les origines du christianisme, l'approche la plus convaincante de ses mystères et de son message originel, un évangile qui me parle vraiment, un choc dont je ne me suis jamais remis (sans remettre en cause mon athéïsme, je précise). Formidablement secondé par le scénario de Paul Schrader, Scorsese nous fait assister à la naissance d'une morale moderne qui a pour but de libérer l'homme en lui révélant l'amour de son prochain. On constatera ensuite l'évolution douteuse de cette morale, et comment bien vite elle est détournée puis confisquée pour devenir dogme et mystique. 

Je trouve les partis-pris du scénariste et de son réalisateur passionnants, avec cette volonté de demeurer à hauteur d'homme, quand bien même il s'agirait de cet Homme-là (ecce homo). Scorsese n'élude pas les tourments qu'il aurait pu éventuellement connaître, sa conscience de se sentir réellement possédé, sa peur d'un destin de souffrance, l'horreur de soi-même. Autant de thèmes abordés avec une justesse et une poésie confondantes. Riche de réflexions, le film est aussi un spectacle fascinant, avec ce qu'il faut d'éléments romanesques et de tension. On sent qu'il a été tourné difficilement et avec peu de moyens, mais cette sobriété sert parfaitement son propos. Le score supervisé par Peter Gabriel s'associe avec grâce à la mise en scène de Scorsese qu'on sent viscéralement habité par son sujet, alternant entre moments de rage et de contemplation. Et Willem Dafoe, Harvey Keitel et Barbara Hershey en particulier livrent une interprétation absolument sublime. Bref, j'idolâtre ce film.

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