4 avril 2016

La Maison des bois, Maurice Pialat, 1971

Soit 7 épisodes de 50', coproduits par l'ORTF et la RAI, alors que Pialat avait seulement réalisé L'Enfance nue.

Cinéaste exigeant et vache avec lui-même, Pialat considérait ce travail pour la télévision comme l'un de ses plus heureux, en particulier le cinquième épisode. Avant de se voir restaurée, projetée et enfin éditée, la série est demeurée longtemps invisible, et c'est ce seul commentaire qui a alimenté sa réputation et maintenu l'intérêt autour d'elle.  

Pour ma part, j'en suis sorti complètement bouleversé. L'action est située durant la Première guerre mondiale, mais se déroule à l'arrière des combats, dans une campagne française anonyme. Elle met en scène des enfants hébergés dans une famille de gens simples, tandis que leurs parents sont au front, ou contraints de travailler en ville, ou ont tout simplement disparu. Et durant ces sept épisodes, Pialat nous fait littéralement cohabiter avec ces formidables personnages que sont Maman Jeanne et Papa Albert, interprétés par des acteurs épatants. Pierre Doris, plutôt habitué au nanars, reconnaissait avec émotion que La Maison des bois était ce qui lui était arrivé de mieux dans sa carrière.

La série ouvre pour nous la parenthèse d'une enfance révolue, où l'on a encore le droit de se montrer insouciant. On assiste à des instants de vie plus vrais que nature. Les enfants en particulier, semblent ne jamais jouer, et lorsqu'ils sont gagnés par l'émotion, le spectateur l'est également. Profitant de la temporalité lâche permise par le format télévisé, Pialat donne parfois l'impression de filmer en roue libre, sans vraiment de cadre contraignant, captant de vrais fous-rires, de vraies improvisations. Les scènes avec Pialat instituteur sont d'autant plus géniales qu'on devine que le metteur en scène dirige les mômes en direct. Il est souvent lui-même pris au jeu, et la surprise des réactions n'en est alors que plus savoureuse. Certes, les coutures sont parfois très visibles. À quelques rares exceptions, le montage est quasiment aux abonnés absents et la caméra prompte au zoom ne nous épargne aucune hésitation. 

Et pourtant, malgré le fait que l'on n'est jamais vraiment dupe de tous ces éléments de fabrication de la fiction, le naturalisme à l'œuvre dans ce film est miraculeux. Les personnages acquièrent une vérité extraordinaire et l'on est convié à partager sans plus de distance toutes leurs émotions. Car évidemment, le drame de l'enfance abandonnée et de la guerre est bien là, de plus en plus palpable au fil des épisodes. Le résultat est alors aussi gratifiant que bouleversant, et l'on en sort avec l'impression rare d'avoir partagé l'existence et la sensibilité de tout un petit groupe de personnages à la fin de la première guerre mondiale. 

La série est d'une richesse et d'une beauté dont il m'est bien difficile de rendre compte ici. Sa découverte en salle demeure pour moi un grand moment... de cinéma.  Sa réputation est plus que justifiée, et surtout elle tient le coup à la revoyure. C'est, et de très loin, le plus beau Pialat que j'ai vu, celui qui m'a le plus convaincu (même si le dernier épisode est un peu moins inspiré). Allez-y l'esprit ouvert et détendu et passez quelques heures de bonheur en compagnie de la touchante famille de Pialat. Poignant.


Le générique de la série : Trois beaux oiseaux du paradis, de Maurice Ravel.




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