15 avril 2016

Walt Disney pictures presents : films "live" (1954-1964)

Au début des années 50, devenu par sa réussite commerciale une autorité incontestable et incontestée dans le domaine du film d'animation, Walt Disney a également imposé sa marque à la télévision et est en passe de réaliser son vieux rêve impérial avec Disneyland. Il ne lui reste plus qu'à concurrencer Hollywood sur son propre terrain, et c'est en toute logique qu'il se lance dans la production de films en prises de vue réelles. Voyant en Jules Verne un visionnaire comme lui, il n'hésite pas longtemps sur le choix de son premier sujet...




20 000 leagues under the sea (20 000 lieues sous les mers), Richard Fleischer, 1954
Soucieux de ne pas se rater, et désireux de bien marquer les esprit, l'Oncle Walt envisage cette adaptation comme une production de prestige aux moyens luxueux. 20 000 leagues bénéficie ainsi d'un soin maniaque à tous les niveaux, à l'image du Nautilus, dont le design tout en boulons et rivets devient instantanément une référence esthétique insurpassée de l'esprit Jules Verne et du steampunk (fabuleuse idée de l'écoutille qui s'ouvre comme le diaphragme d'un objectif photographique). Porté par son goût de l'innovation, Disney souhaite que son film soit au top de la technique d'alors. Celui-ci sera donc tourné en cinemascope, une exclusivité Fox qui commence à peine à être exploité, et photographié dans un splendide Technicolor. La réalisation est confiée à Richard Fleischer. Le choix est audacieux à plus d'un titre, d'abord parce que le réalisateur n'a travaillé jusqu'ici que sur des séries B — qui l'ont fait remarquer — ensuite parce que le studio de ses père et oncle Max et Dave étaient les principaux rivaux de Disney durant l'âge d'or du cartoon. Fleischer fils se révèle immédiatement comme l'un des maîtres de la composition en scope, comme pourra l'être plus tard John CarpenterCe savoir-faire ne sera jamais pris en défaut par la suite et le réalisateur servira de consultant pour l'emploi de ce format dans les longs-métrages d'animation alors en production, La Belle et le clochard et Sleeping beauty. Ici lcran large s'accorde parfaitement aux étendues marines et met en valeur les déplacements sous-marins du Nautilus. 

Parfaitement à l'aise dans les scènes de suspense (l'attaque des cannibales, redoutablement efficace), Fleischer se montre aussi rompu aux défis techniques, et réussit ce véritable tour de force que représente la scène de l'attaque du calamar géant, séquence inoubliable dont on devine qu'elle fut un cauchemar de plateau, mettant en vedette sans doute l'un des monstres les plus terrifiants projetés sur l'écran (brrr... cet œil). C'est peu de dire que les effets spéciaux sont de première qualité, transparences comprises, permettant aujourd'hui au film de ne pas accuser son âge. Les matte paintings à la finition admirable sont l'œuvre de Peter Ellenshaw. Formé chez les Archers Powell et Pressburger, Ellenshaw deviendra un des collaborateurs privilégié des films Disney, et sera encore au travail sur Le Trou noir en 1979. Même les scènes sous-marines sont saisissantes. Les inserts d'animaux ont manifestement été tournés avec le même matériel que les prises de vue principales et ne donnent jamais l'impression d'avoir affaire à d'embarrassants stock-shots (ainsi l'attaque du requin, remarquablement montée). On devine la rigueur imposée par Disney lui-même, de proposer un spectacle à la fois éducatif — les merveilles de la mer, de la science — et divertissant. 

Tout cela n'aboutirait cependant qu'à une démonstration de foire si le film ne s'avérait pas aussi brillant sur le fond. La construction du récit est exemplaire. Les informations nécessaires sont rapidement données, et dix minutes plus tard, nous sommes embarqués en pleine mer et gâtés par un spectacle formidablement généreux où tous les ingrédients semblent idéalement réunis : exploration de l'inconnu, aventures exotiques, drame, suspense et humour. On n'est même pas agacé par l'ajout de l'otarie, faire-valoir comique bien dans la tradition Disney. Appartenant également à cette tradition, la musique n'est pas en reste, le film s'ouvrant même au numéro musical. Non dénué de réflexion, 20 000 leagues tient un discours assez alarmiste sur la science mise entre de mauvaises mains. On nous fait comprendre que c'est bien l'énergie atomique qui a été découverte par Nemo, en parfaite résonance avec l'actualité de ces années 50, où le monde est entré dans l'ère froide de la peur nucléaire. 

James Mason donne corps à un Capitaine Nemo, personnage complexe, ambivalent et attachant qu'il est difficile aujourd'hui d'imaginer sous d'autres traits. Alors qu'en d'autres mains et dirigé autrement, Nemo aurait pu tourner au vilain d'opérette, Fleischer conserve son sérieux et en fait ici une figure tragique toute en subtilité. La noblesse du personnage, ses bonnes manières et son éducation sont régulièrement contrebalancées par sa violence et son irréductible autorité, qui s'expliquera plus tard par la profonde blessure qu'il porte en lui (femme et enfant torturés pour qu'il livre le secret de la propulsion). À ce cerveau s'opposent les biscotos de Ned, plus que parfaitement incarné par un Kirk Douglas au charisme rayonnant, aventurier roublard quittant rarement sa bonne humeur, poussant la chansonnette et jouant réellement du ukulele. Tout ces éléments font un peu de 20 000 leagues le film d'aventures parfait, celui qu'on a aimé étant enfant et qu'on revoit aujourd'hui avec le même émerveillement.




Mary Poppins, Robert Stevenson, 1964
Du bonheur en barre que ce film, qui est peut-être, à la limite, un poil trop long, s'apparentant vraiment en celà à une superproduction roadshow, ciselée dans ses moindres détails pour en faire un spectacle total. Tourné intégralement en studio, le film bénéficie de somptueux décors, offrant une vision de Londres complètement magique, suite de toiles peintes aux couleurs délicates et aux superbes éclairages, poétiquement prolongées à l'occasion par les matte paintings de Peter Ellenshaw. Les séquences d'animation sont supervisées par les "Nine old men" du studio, et l'interaction avec les prises de vues réelles est porté à un nouveau degré d'achèvement. Le procédé n'a ici rien de gratuit, le film étant précisément une invitation à entrer dans le rêve, un encouragement à faire exister l'impossible.

On tombe sous le charme d'une Julie Andrews radieuse, on se régale du cabotinage réjouissant de Dick Van Dyke et de la folie douce des seconds rôles bien farfelus (Oncle Albert, le voisin qui tire des coups de canon depuis son toit, le patron de la banque). Même les enfants sont très bien dirigés. Longtemps vu et apprécié doublé, il est vrai que le film mérite d'être vu en VO, Dick Van Dyke y ayant un accent cockney sans équivalent en français. Par son grand nombre de personnages, le récit en tant que comédie parvient à offrir plusieurs niveaux de lecture, et ses gags continuent de me faire rire. Sur le plan musical, Mary Poppins représente sans doute le chef-d'œuvre des frères Sherman. Nombreuses sans être lassantes, les chansons sont irrésistibles, aussi travaillées dans leurs paroles que dans leurs orchestrations, et vite appelées à devenir des standards. Les numéros de danse, s'ils sont rares, ne manquent pas pour autant d'énergie et d'idées délirantes, les deux sommets chorégraphiques étant sans conteste la danse avec les pingouins et celle des ramoneurs. 

On accuse souvent Disney de sombrer dans la mièvrerie, or ici les bons sentiments sont vraiment présentés avec malice et poésie. La séquence qui voit le père se diriger seul dans la nuit de la ville vers sa banque pour s'y faire annoncer son licenciement est par exemple très belle, et son ton tranche avec le reste sans pour autant en ruiner l'harmonie. Bref, du sol au plafond le film est un enchantement inégalé. Pour l'époque, Mary Poppins avait encore une vraie classe, le film était ambitieux et on devine que Disney a supervisé de près cette production pour en parfaire le moindre détail. Aucun film produit ensuite par le studio n'atteindra la même réussite, qu'il s'agisse de L'Apprentie sorcière (qui présente la même ambition technique mais avec un scénario moins convaincant) ou Peter et Elliott le dragon (qui n'a pas bénéficié des mêmes moyens et ça se voit). Sans parler de la sombre époque de la coccinelle Herbie, progressivement dominée par une esthétique télévisuelle.

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