3 octobre 2016

Les Films de Richard Fleischer IX. 1974-1976

The Spikes gang (Du sang dans la poussière), 1974
Un très beau western qu'on pourrait qualifier de désenchanté, qui s'inscrit bien dans cette revisitation du genre telle qu'elle s'est pratiquée durant cette décennie dans le cinéma américain. De même qu'un Arthur Penn ou un Sam PeckinpahFleischer s'inscrit effectivement dans la lignée de ces post-westerns qui démystifiaient alors cruellement les mythes du genre. L'Ouest peint ici est particulièrement hostile, loin des actes héroïques et des hors-la-loi romantiques. 

The Spikes gang raconte l'histoire simple et pleine d'humanité d'un trio de copains, fils de fermiers qui décident brusquement de tenter leur chance ailleurs en se faisant braqueurs de banque. Parmi eux on notera les tous jeunes Ron Howard et Charles Martin Smith (l'incorruptible à lunettes de De Palma). Cette rébellion juvénile, cette volonté de rupture avec le sillon tracé par les aînés, devait particulièrement résonner avec le jeune public de 1974, dans une Amérique encore en pleine déroute vietnamienne.

Le manque d'expérience de ces apprentis bandits va évidemment être la cause de toute une série de coups catastrophiques que Fleischer filme avec réalisme, sans jamais appuyer sur ce que ça pourrait avoir de simplement comique. Car la détresse des personnages est réelle, le picaresque se teinte de tragique, on n'est pas dans la farce. Leur route va croiser celle d'un bandit plus ou moins en bout de course, magnifiquement interprété par Lee Marvin, qui va les prendre sous son aile. L'aventure s'achèvera de façon particulièrement choquante, nous abandonnant sur un dénouement sans gloire, gunfight douloureux qui nous laisse bouleversés. En cela, j'ai presque envie de dire que The Spikes gang est avec The Last run l'un des films les plus émouvants du réalisateur que j'aie pu voir, de ceux dont les personnages sont les plus attachants. Et on n'oubliera pas de mentionner la jolie musique western aux accents mélancoliques de Fred Karlin.




Mandingo, 1975
Le film est adapté de la série de romans Falconhurst, saga familiale se déroulant dans un domaine esclavagiste de Louisiane. Producteur aussi audacieux qu'opportuniste, Dino De Laurentiis vit très vite le potentiel commercial de ce gros succès de librairie, le thème étant celui de l'exploitation sexuelle : sélection génétique, plaisir du maître, frustration et sadisme. Le film fit scandale à sa sortie, et valut à son réalisateur les plus viles accusations. Aujourd'hui encore, il mérite incontestablement sa réputation sulfureuse. Cette peinture de l'esclavagisme dans les États du Sud américain est aussi éprouvante qu'inconfortable. On est régulièrement révolté par ce qui nous est montré, et Fleischer fait preuve d'une absence de frilosité assez impressionnante, refusant de se voiler la face quant à la réalité des actes commis par cette société à cette époque. 

Cependant, Mandingo tel qu'il existe est une œuvre défigurée, amputée de pratiquement 1h30 de métrage. Au grand regret d'un Fleischer très impliqué dont la volonté initiale était de livrer une vraie réflexion, sérieuse et documentée sur un système économique institutionnalisé, De Laurentiis a préféré accentuer les ingrédients les plus immédiatement spectaculaires du sujet. On se retrouve donc avec une superproduction qui par bien des aspects a des allures de film d'exploitation, finalement plus proche du dérangeant mondo Les Négriers de Jacopetti et Prosperi que de la fresque politique. Les horreurs subies par les esclaves Noirs s'enchaînent au cœur d'un récit mélodramatique assez extrême dans ses péripéties, jusqu'à un final qui laisse le spectateur abasourdi. C'est sans doute pour ces raccourcis dramatiques et le refus radical du politiquement correct que le film sera violemment rejeté par la critique, et l'on devine que la très longue scène d'amour entre Blanche (qui porte bien son nom) et l'esclave Ganymede du certainement chauffer les esprits d'alors. 

Visuellement le film est incroyablement travaillé, faisant encore plus regretter que le fond ait été escamoté. La photographie de Richard Kline, associée à la direction artistique de Boris Leven, compose une atmosphère véritablement étouffante, en particulier lors des scènes d'intérieur aux sombres boiseries et lourdes étoffes. Les propriétaires Blancs nous sont montrés dès le début comme une "race" dégénérée et malade. Dans des rôles difficiles, James Mason et Perry King se montrent très convaincants. Score assez original de Maurice Jarre, qui mélange des sonorités bluesy et tribales, sans jamais faire preuve de lourdeur dans son accompagnement du récit. Le compositeur signe également une chanson interprétée par Muddy Waters qui vient, en contrepoint, raconter l'espérance du peuple Noir qui veut croire en un avenir meilleur et libre.




The Incredible Sarah (Incroyable Sarah), 1976
Produit par la revue Reader's digest, ce biopic sur Sarah Bernhardt se laisse voir sans réel déplaisir mais sans enthousiasme non plus, ne venant en rien renouveler le genre. Les séduisantes affiches de Mucha au générique donnent le ton de ce qu'on pourra considérer comme un joli livre d'images. Les costumes sont très beaux, et au fur et à mesure du récit les décors deviennent de plus en plus fastueux, en particulier dans l'hôtel particulier de la Bernhardt, d'un style art déco quelque peu en avance sur son temps (l'action se situe plus ou moins entre 1860 et 1900). Ce travail de reconstitution soigné n'est évidemment pas sans rappeler La Fille sur la balançoire. Le tout est joliment emballé par le score d'Elmer Bernstein

Dans le rôle-titre, Glenda Jackson se livre pleinement. Le personnage de la grande tragédienne française nous est montré à la fois dans sa détermination (son désir plus fort que tout d'être la plus grande vedette de son temps) et ses caprices (son envie de tout contrôler, sa façon de mettre en scène et de jouer la comédie jusque dans sa vie privée, et en particulier sa vie amoureuse). Sa prestation dans Phèdre est assez saisissante, mais pour le reste on ne sent jamais vraiment le génie de celle qui fut la comédienne la plus vénérée de son temps, ni sa diction si particulière telle que des enregistrements n'ont l'ont fait connaître.

Les scènes s'enchaînent sans se bousculer, avec néanmoins un bon rythme qui permet à certaines moments de bien se détacher : Sarah récitant un poème de Hugo devant Napoléon III ; ses débuts catastrophiques sur la scène de l'Odéon ; sa tentative de suicide dans la Seine (très beau décor nocturne) ; son aide aux soldats blessés pendant la guerre contre la Prusse. Le film reste cependant trop lisse, platement illustratif, la faute sans doute au contrôle strict des producteurs qui auraient apparemment voulu expurger le scénario de tout élément trop embarrassant, notamment la toxicomanie pourtant avérée de l'héroïne. Même si l'on sent que Fleischer ne s'est pas senti très impliqué du fait de ces conditions, il fait encore preuve d'un minimum d'inspiration lorsqu'il met par exemple en parallèle les représentations théâtrales et la vie de l'actrice (Jeanne d'Arc au bûcher). Ce qui évite au résultat d'être un ratage, tout au plus un travail scolaire.


DOSSIER RICHARD FLEISCHER :

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