10 octobre 2016

Plessix & Dieter, Julien Boisvert, 1989-1995

Plessix & Dieter, Julien Boisvert, 1989-1995
Sans doute une des œuvres les plus attachantes du neuvième art. J'ai découvert la série d'une traite lorsqu'est parue la première édition de l'intégrale, n'en avais jamais entendu parler avant, et ce fut un vrai choc. Avec les quatre volumes de Julien Boisvert, Michel Plessix et Dieter sont parvenus à une entente qui se sent et qui est rare, alchimie miraculeuse. Tant sur le plan de la narration que du dessin et de la composition, chaque planche peut être considérée comme une intimidante leçon de maître. Au fil des tomes, on assiste à la fois au mûrissement d'un personnage et d'un style qui, gagnant en aisance, se permet de plus en plus d’audaces. La transformation opère dès le premier tome, et elle est sidérante. 

Avec sa tête de cousin de Fantasio, Boisvert semble parti pour des aventures rigolotes et légères. Dès la dixième page, pourtant, le drame survient. Notre héros se retrouve confronté à l’amour, à la violence et à la mort avec une soudaineté aussi brutale pour lui que pour le lecteur qui se croyait à l’abri d'une telle bifurcation par rapport aux codes traditionnels de la bande dessinée d'aventures. Rescapé de ce premier saut dans le grand bain, Boisvert a alors acquis une épaisseur qu’on ne lui aurait pas soupçonnée. Marqué par cette expérience, il est devenu adulte. Son caractère s’enrichit, évolue, il perd progressivement certaines de ses illusions, en gagne d’autres, révèle ses blessures, ses lâchetés aussi. Sans que l'hommage ne prenne jamais le pas sur la justesse dramaturgique — je suis passé complètement à côté lors de ma première lecture — Plessix et Dieter composent en réalité une variation subtile et émouvante autour des aventures de Tintin, et de son père spirituel HergéC’est là que réside la grande réussite des auteurs : nous amener à considérer parallèlement l’accomplissement progressif d’un individu ET d’un héros de bande dessinée. 


Il y a dans ces pages une originalité de ton indéniable. On est dans le récit d’aventure, avec son lot de péripéties et d’humour, qui sait faire place à la gravité, aux instants de méditation et aux élans de mysticisme que suggèrent certains lieux. Car le voyage n'est pas qu'intérieur, au contraire. De la savane africaine aux forêts du Middle West, des brumes de Guernesey au désert mexicain, chaque album propose un total dépaysement, une redéfinition radicale des bases précédemment construites. C'est l'occasion pour Plessix de fignoler ses décors, et on sent qu'il y prend un plaisir inouï, tant par la délicatesse du trait que la richesse des couleurs. Son amour de la Nature trouvera toute sa place dans son travail suivant, charmant bien que comparativement moins prenant, Le Vent dans les saules.

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