25 novembre 2016

Friedrich Wilhelm Murnau, 1922-1924

Nosferatu, eine Symphonie des Grauens (Nosferatu le vampire), 1922
Tard dans la nuit, tremblant et excité, j'ai à nouveau plongé dans ce film-monde. J'ai encore une fois marché dans les pas du jeune Hutter, quittant Wisborg, ses ruelles de lumière et sa femme amoureuse, pour rejoindre les Carpates et leurs forêts peuplées de bêtes sauvages invisibles. J'ai cru avoir passé comme lui une nuit de cauchemar, en compagnie d'un Comte au comportement plus qu'étrange. Sa posture et ses gestes, faisant comme corps avec les ténèbres, avaient curieusement quelque chose de naturel, imposant une logique autre, certes, mais néanmoins authentique. Ses yeux vides, sa figure livide et dénuée d'expressivité, ses deux fines canines resserrées composaient un être hideux, fascinant mais nullement repoussant.

Mon sang s'est glacé la nuit suivante, lorsque l'horrible silhouette, pâle comme la lune, s'est découpée dans l'encadrement de la porte de ma chambre. J'étais prêt à hurler mais mes cris se coinçaient dans ma gorge et j'aurais pu m'étouffer dans le vomi de mon angoisse. Je ne garde qu'un souvenir brumeux de ce qui a suivi, défilé d'images délirantes, portées par un rythme impossible, issues d'un cerveau fiévreux, d'un ailleurs depuis lequel j'avais perdu la conscience de moi-même. Rien de tout cela n'a pu exister, et pourtant... 

Adaptation non autorisée du chef-d'œuvre de Bram StokerNosferatu, une symphonie de l'horreur est une véritable leçon de mise en scène de la terreur qui n'a rien perdu de sa puissance. Murnau joue du hors champ avec une efficacité diabolique, inaugure le principe du jump-cut, et établit une bonne fois pour toutes les bases stylistiques d'un genre (suggestion, révélation, images-chocs). Certes, il y eut après lui de nombreuses réussites, mais on peut les considérer comme d'habiles variations autour de ce canon. Soucieux du visuel comme ses confrères expressionnistes allemands, le réalisateur ne cherche cependant pas la stylisation des décors, aérant au contraire son récit par de vrais extérieurs, et préférant jouer sur le cadre, la lumière et surtout le montage. Il est tout simplement en train de parfaire un langage, celui du cinéma muet, et on a peine à imaginer l'effet qu'a pu avoir le film sur le public de l'époque. 

Nosferatu n'est cependant pas qu'un poème de l'effroi, le fantastique gothique se teinte également de romantisme et d'un sens du tragique. Je trouve ainsi la fin aussi belle qu'émouvante, l'idée étant quand même qu'Orlock n'est pas qu'un monstrueux suceur de sang mais est réellement tombé amoureux de la femme d'Hutter, se laissant littéralement consumer par la passion en oubliant de surveiller l'heure.




Der letzte Mann (Le Dernier des hommes), 1924
Incontournable sommet du cinéma expressionniste, où décors, personnages et mise en scène font corps. Rejettant les intertitres surexplicatifs et briseurs de rythme, Murnau use en effet de toutes les potentialités de la grammaire cinématographique, de la capacité de métamorphose d'Emil Jannings, et de la mobilité ahurissante de la caméra de Karl Freund pour réaliser une incroyable symphonie où tout fusionne. 

Contrairement au film précédent, et comme il le fera bientôt sur son splendide Faust, Murnau use ici à fond des trucages et des décors fabriqués en studio pour mieux plier le monde à sa vision. Et pourtant, le tour de force technique reste intelligemment au second plan, et ne nous fera jamais perdre de vue le tourment intérieur de ce dernier des hommes.

Film à la fois épuré et flamboyant, drôle et pathétique, beau et horrible, Der letzte Mann se hisse au rang de fable cruelle sur la déchéance, le mensonge du paraître et l'aliénation de la société moderne.



DOSSIER F.W. MURNAU :

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