28 novembre 2016

Friedrich Wilhelm Murnau, 1927-1931

Sunrise (L'Aurore), 1927
C'est l'époque où le cinéma muet semble avoir atteint la perfection de son langage, parvenant à capturer l'essence même des personnages qu'il met en scène, et à la faire entrer directement en résonnance avec le cœur du spectateur. C'est l'époque de ces chefs-d'œuvres d'évidence que sont The Crowd de King Vidor, Solitude de Paul Fejos, ou les films que Borzage tourne avec le duo Janet Gaynor et Charles FarrellC'est l'époque, enfin, où le prodige du cinéma allemand F.W. Murnau est appelé à Hollywood pour réaliser Sunrisevéritable poème sur pellicule. Disposant pour son premier film américain d'une liberté totale et de moyens sans pareils, le cinéaste va synthétiser ici le fruit de toutes ses précédentes expériences. Le film fourmille notamment d'effets optiques qui viennent constamment soutenir, illustrer et transfigurer les émotions et sentiments des personnages. 

Murnau nous conte une histoire d'amour universelle, hors du temps, brassant des thèmes simples (la femme, l'homme, la ville), où les êtres sont tour à tour victimes et acteurs de la passion. Et George O'Brien et Janet Gaynor s'imposent au firmament des plus beaux couples de cinéma. Quel bonheur de partager un temps leur amour retrouvé et consolidé, purifié par les larmes et le pardon du ciel. Le talent de Murnau, sa compréhension et sa maîtrise du média, bref son génie, nous laissent bouleversés. Ces quelques lignes ne peuvent lui rendre justice, il faut voir ce film pour accéder à une juste compréhension du miracle ici à l'œuvre.




City girl (La Bru / L'Intruse), 1930 
Avant-dernier film du cinéaste, prolongement évident de Sunrise en moins flamboyant (mais tout est relatif), City girl est l'histoire dun amour contrarié dont la beauté et la profondeur semblent directement émaner de la simplicité de ses intentions. Au lieu de jouer naïvement sur l'opposition ville infernale / campagne idyllique, le réalisateur s'attache au contraire à montrer que, quel que soit le lieu, les comportements humains ne changent pas. La seule chose qui fera la différence, ce sera la sincérité des sentiments. 

Ici en effet, on a d'un côté le fermier pétri d'innocence écrasé par l'autorité paternelle (Charles Farrell, acteur immortalisé par ses prestations fiévreuses chez Borzage), et de l'autre la jeune serveuse qui rêve d'une Nature accueillante. Leur rencontre va brièvement représenter pour eux un moment où ils se sentiront enfin vivre, à l'image de l'exaltante séquence de la course dans les champs, filmée par un fantastique travelling aérien. Mais la vie à la campagne s'avérera être un autre enfer, équivalent à celui qui régnait dans l'atmosphère étouffante du restaurant à l'heure de pointe : l'hostilité du beau-père et la concupiscence des ouvriers agricoles valent la vulgarité des clients et la sévérité de la patronne qu'a connue la jeune fille (très belle Mary Duncan, au jeu si naturel). Murnau résout alors son intrigue lors d'une nuit de tempête à l'atmosphère quasi fantastique, où l'on a vraiment l'impression de sentir le vent dans les blés. Du point de vue formel, son film est extrêmement sobre. Pas d'effets visuels, très peu de décors. Il s'agit encore une fois d'atteindre une forme de quintessence.




Tabu (Tabou), cosigné par Robert Flaherty, 1931 
L'ultime romance à la Murnau, plus épurée que jamais du fait de cet environnement paradisiaque qu'est l'île de Bora-Bora. Le naturalisme des comédiens — tous des non-professionnels recrutés sur les lieux-mêmes — en devient bouleversant. Cette interprétation pleine de charme et de vie, associée à la mise en scène et au montage superbement maîtrisés, font de ce film posthume un pur bijou qui n'est en rien plombé par les artifices du muet, s'imposant dans toute sa modernité et son universalité. Très peu d'effets de surimpression, on est évidemment à mille lieues de l'expressionniste allemand, et c'est plutôt aux derniers feux du cinéma muet que l'on assiste. Les seuls cartons apparaissant à l'écran sont ceux des lettres et pancartes que lisent les personnages.

Le film commence sur la description délicieuse et jamais fastidieuse de l'existence édenique de jeunes gens se livrant à des jeux de séduction, vivant en totale harmonie avec la Nature. Même les scènes de danse rituelle nous touchent par l'enthousiasme sincère des danseurs qui dégagent une énergie communicative. Le récit se met très vite en branle lorsqu'une tribu voisine veut faire d'une des jeunes filles du village leur vierge sacrée. Elle devient alors tabou. Elle parviendra à fuir avec son amoureux et après une périlleuse traversée, ils se réfugieront sur une île un peu plus occidentalisée, colonie française. Le film montrera avec beaucoup de force et sans naïveté la difficile survie dans cette société d'un couple qui ne connaît pas la valeur de l'argent, alors que la malédiction du tabou va refaire surface. La fin sera quant à elle d'une noirceur rare. Comme si le concept même de happy end n'avait jamais été inventé. Un vrai choc.

Le documentariste Flaherty et Murnau avaient initié le projet ensemble, mais il semblerait que ce dernier ait progressivement entièrement pris les rênes sur le plateau. Thématiquement et visuellement, le film semble complètement s'épurer pour épouser la seule figure du jeune couple. Entre une société moderne qui fonctionne sur des rapports monétaires et les tabous imposés par une société traditionnelle, le couple lutte et s'accroche à ses rêves contre vents et marées du sort. Et puis il y a ces apparitions fantomatiques, et qui nous semblent parfois rêvées, du vieux chef qui vient menacer la jeune fille à la lueur de la lune. Une splendeur.


DOSSIER F.W. MURNAU :

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