6 décembre 2016

Le Monde animé de Don Bluth II. 1983-1986

Dragon's lair, 1983
Après le succès critique de The Secret of N.I.M.H. ce n'est pas au cinéma mais dans les salles d'arcades que se retrouve la production suivante de Don Bluth. Il a en effet dirigé et animé un jeu vidéo d'un nouveau genre, proprement révolutionnaire, tirant parti de la technologie naissante du disque laser et destiné aux salles d'arcade. À des années-lumière du rendu pixelisé des jeux d'alors, Dragon's lair offrait au joueur la possibilité de se déplacer au sein d'un véritable dessin animé interactif. Graphisme, animation et effets sonores à base de voix digitalisées proposaient la même qualité de finition que les films de Bluth. En salle d'arcade, la borne ne pouvait dont qu'attirer l'œil... et vider les porte-monnaies. Le jeu fut donc un carton et ce n'est qu'une fois les pièces insérées dans la machine qu'on réalisait la vaste arnaque.

Le concept, simplissime, consiste à incarner un grand dadais peu héroïque, chargé de libérer une princesse sexy d'un château truffé de monstres et de pièges. Malheureusement, faute à un gameplay aberrant en mode die and retry, le jeu s'avére vite injouable. Le rôle du joueur se résume en effet à deviner quand l'animation va passer du mode automatique au mode manuel, puis à exécuter à la seconde près la bonne combinaison de mouvements pour échapper à un piège systématiquement mortel (sachant qu'aucune indication n'est présente à l'écran pour aider à déterminer la bonne action). Une mauvaise synchronisation et on est bon pour tout recommencer.  La tension et la sollicitation du joueur sont telles qu'il ne parvient même pas véritablement à profiter du travail des animateurs. Titre mythique en raison d'une esthétique qui promettait du rêve, Dragon's lair l'était donc aussi en tant que puissant pourvoyeur de frustration. Le concept du film interactif fut abandonné lors du portage sur NES et Gameboy, transformant ça en un jeu de plateformes parfaitement conventionnel (seule l'atroce difficulté fut conservée).




Space ace, 1984
Tellement confiant dans sa technique, Bluth réalise dès l'année suivante, et exactement sur le même principe, l'animation d'un autre jeu laserdisc. La SF a remplacé la fantasy, mais on dirige toujours un grand dadais dont la princesse est cette fois prisonnière d'un vaisseau spatial. Space ace propose cependant un déroulement un peu moins linéaire. La plupart des joueurs qui bavèrent à l'époque sur la borne d'arcade durent attendre l'arrivée des Atari ST et Amiga pour avoir enfin l'opportunité d'y jouer sans trop se ruiner (le jeu tenait alors sur une demi-douzaine de disquettes, avec des temps de chargement décourageants et était quand même bien moins beau). 

Gameplay toujours aussi aberrant, donc, mais il faut reconnaître que le média en était alors à ses balbutiements, et que visuellement une telle proposition non seulement n'avait pas d'équivalent mais passait même pour avant-gardiste. Malgré le succès commercial du jeu, l'industrie du jeu vidéo sombre au même moment dans une crise économique qui fait disparaître une grande partie des acteurs du marché (c'est la faillite d'Atari). Développée dans la foulée par le studio, la suite Dragon's lair II : Timewarp attendra 1991 pour arriver en salles d'arcade.




An american tail (Fievel et le nouveau monde), 1986
Après avoir révélé au grand public Zemeckis et Joe Dante, Spielberg, producteur heureux avec sa maison de production Amblin', souhaite logiquement se frotter au cinéma d'animation dont il est un grand fan. Impressionné par la qualité technique et la poésie de The Secret of N.I.M.H. il fait appel à Bluth, dans lequel il voit le seul artiste véritablement compétent capable de rivaliser avec Disney.  C'est grâce à l'entremise de Jerry Goldsmith que la rencontre aura lieu. Ne rejetant pas la tradition disneyienne de la comédie musicale, Bluth confie cette fois à James Horner et Barry Mann la tâche de composer une bande originale très inspirée. On a ainsi droit à des chorégraphies endiablées (There are no cats in America faisant écho au I like to be in America de West side story) et à des complaintes qui donnent la chair de poule (le poignant duo Somewhere out there, devenu un standard).

Chapeauté par Universal, Bluth et son équipe bénéficient alors de tout le confort temporel et budgétaire pour réaliser ce qui est peut-être le chef-d'œuvre du studio, transposition habile de l'émigration des Juifs d'Europe centrale suite aux persécutions, et des désillusions du rêve américain. Mêlant une nouvelle fois des préoccupations graves sous couvert de divertissement familial, le film traite de l'exploitation par l'argent-roi, de la perte des parents, de la difficulté pour survivre, met en scène les luttes sociales, le duplicité et le mensonge (avec ce personnage de chat maffieux déguisé en rat). Spielberg a pris à cœur ce projet, y trouvant de nombreuses résonnances avec sa propre histoire (Fievel est le nom de son grand-père). 

Bluth crée des merveilles avec son personnage de souriceau, livré à lui-même et qui s'acharne à conserver son optimisme malgré les épreuves. Son animation est admirable, notamment dans sa façon de lutter constamment avec ses vêtements trop grands. Pour contraster avec le monde anthropomorphe des animaux parlants, les humains sont animés en rotoscopie, et l'ensemble s'intègre joliment dans des décors particulièrement soignés, et comme souvent chez Bluth à l'éclairage très travaillé. Riche en émotions, le film alterne avec réussite les moments de rire (géniale invention du gros chat Tiger qui joue au dur alors qu'il est incapable de faire de mal), le réalisme sordide (la misère new-yorkaise), l'effroi (superbe matérialisation de la tempête sur le bateau) et le tirage de larme (les retrouvailles de Fievel et de ses parents sont irrésistibles). Critique sur les illusions du rêve américain, le film se veut aussi porteur d'espoir, belle ode à la différence, à l'amitié et au multiculturalisme. 

Énorme succès planétaire, pourtant en concurrence avec un autre film de souris sorti de son côté par Disney (Basil détective privé), An american tail va permettre à Bluth d'installer en Irlande le plus grand studio d'animation européen. Notons qu'une suite cinéma à un film qui n'en demandait pas tant sera réalisée par Universal en 1991, Fievel au far-west, de qualité bien moindre et sans que Bluth ne soit impliqué. La plupart de ses films connaîtront d'ailleurs souvent un grand succès lors de leur sortie en vidéo, entraînant plusieurs direct to video sans intérêts (Fievel et le trésor perdu, 1998).



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