2 mars 2017

Le Cinéma de Joe Dante I. Les Gremlins de Hollywood

Joe Dante et les Gremlins de Hollywood
Sous la direction de Bill Krohn, en collaboration avec Roger Garcia et Jonathan Rosenbaum
Éditions Cahiers du Cinéma / Festival international du film de Locarno, 1999


En août 1999, Joe Dante est l'invité du 52ème festival international du film de Locarno et reçoit un Léopard d'honneur pour l'ensemble de son œuvre. En parallèle, une importante rétrospective retrace sa carrière et, à travers elle, rend hommage à ce qu'on appela la seconde génération Corman, soit tous ces cinéastes qui, après Scorsese ou Coppola, firent leurs armes au studio New World à la fin des années 70, avant de poursuivre leur carrière avec des fortunes diverses. Entre autres, Paul Bartel, Jonathan Demme, James Cameron, Ron Howard, John SaylesC'est à cette occasion qu'est paru ce livre. Les "Gremlins d'Hollywood" designe donc le statut de Dante et de ses acolytes au sein de l'industrie hollywoodienne, joyeux anarchistes et authentiques auteurs subvertissant de l'intérieur un système avant tout marchand. Cette retrospective sera ensuite accueillie par la Cinémathèque française — salle République — et aujourd'hui encore je garde un souvenir ému de cette programmation. 

Bill Krohn est critique de cinéma et correspondant américain des Cahiers du Cinéma. Articulé autour d'un entretien au long cours avec Dante, l'ouvrage qu'il a dirigé est bien plus qu'une monographie. C'est aussi le portrait de toute une génération d'artistes et de cinéastes dévoilant en creux l'Histoire d'un studio emblématique. Krohn interroge ainsi l'ex-protégé de Roger Corman, particulièrement disert lorsqu'il s'agit de revenir chronologiquement sur tous ses films, de leurs intentions aux conditions de production qui toutes méritent d'être contées, Dante ayant toujours eu maille à partir avec ses différents employeurs. On survole ainsi sa carrière, de son travail universitaire The Movie orgy (1966-1975) qui attira l'attention de Corman, à son actualité la plus récente d'alors, soit la sortie désastreuse de Small soldiers.


Le processus de développement de chaque production (film, téléfilm, série TV) est abordé en détails et sans langue de bois. Dante évoque son enfance, la naissance de sa cinéphilie, son goût pour les B movies des fifties et son entrée dans le milieu. La partie concernant sa formation à toute épreuve chez New World est sans doute une des plus savoureuses. On sait à quel point Roger Corman a le sens des affaires et du marketing, et qu'une de ses devises consiste à en faire le plus avec le moins. Ainsi, débutant comme monteur de bandes annonces, la spécialité de Dante consistait à truffer celles-ci de stock shots d'explosion d'hélicoptères, afin de survendre un film plus spectaculaire. Après le succès de ses premiers opus labelisés cinéma d'exploitation, le réalisateur sera repéré par Steven Spielberg et introduit dans le monde des majors. Avec son sketch pour Twilight zone the movie puis Gremlins, c'est le début de la célébrité, mâtinée de cruelles désillusions. Dante revient en détail sur les incroyables difficultés rencontrées lors des tournages de Explorers, The 'Burbs ou Small soldiers, chacun de ces films donnant lieu à d'épuisantes batailles avec les cadres des studios pour aboutir à une œuvre où parvient malgré tout à émerger la personnalité de son auteur.


Ces anecdotes nous sont livrées au cours d'un véritable échange, passionné et passionnant, entre le critique et le cinéaste. Comme le dit Krohn en introduction : « Joe Dante est le cinéaste le plus cultivé et le plus spirituel qui travaille actuellement à Hollywood. » Et en effet, la discussion s'avère fournie en références. D'hier à aujourd'hui, Dante donne sa définition du cinéma qu'il aime, de cet artisanat qu'il espère incarner, sans distinction de bon ou mauvais genre. « Je n'éprouve rien à la vision de films comme Armageddon. Je n'éprouve rien à l'égard des gens qui l'ont fait. Aucun amour de la fabrication d'un film ne se communique au public, et je veux croire que l'inverse est vrai de mes films, qu'une relative intelligence est à l'œuvre et tente même, dans certains cas, de justifier l'utilisation du matériau. »

Ainsi, Dante n’apparaît pas comme un réalisateur frustré de ses expériences difficiles, il exprime une conscience aiguë de son métier, en prolongement direct avec les thématiques cinéphiles de ses films. Car avant d'être cinéaste, il s'assume en tant que "movie buff", se faisant le défenseur d'une culture populaire. C'est ainsi que même dans ses travaux de commande les moins personnels, sa sincérité demeure, prompt à la satire mais sans pour autant faire preuve de cynisme, s'attachant toujours à quelques personnages chargés d'incarner son point de vue (du Billy Peltzer de Gremlins au Ben d'Explorers).


L'entretien est divisé en plusieurs segments comme autant d'étapes dans la carrière de Dante. Chacun de ces segment est précédé d'un texte signé par des critiques, qui présentent et analysent la période à venir, procurant ainsi une continuité logique entre chaque partie du livre et offrant une multiplicité d'éclairages. Roger Corman signe la préface, et rappelle l'incroyable niche de talents que son studio a abritée. Puis, Charles Tesson se propose de traiter du pouvoir de l’image dans l’œuvre de Dante, et principalement dans Gremlins. Si son analyse a le mérite d'être éclairante sur certains points, elle cède sans doute parfois à la surinterprétation. Dave Kehr est chargé de tracer plus précisément le portrait de cette fameuse seconde génération New World. Joseph McBride livre une analyse spécifique de la relation paradoxale qui unit Dante à Spielberg, tandis qu'en épilogue, Jonathan Rosenbaum revient sur la production et la réception de Small soldiers, avec un luxe de détails passionnant. Cet ensemble est suivi d'un conséquent Dictionnaire cormanien et dantesque, véritable mine d'informations qui consacre une notice à chacun des collaborateurs de Dante et à tous ceux qui ont croisé sa route chez New World, d'Allan Arkush à Vernon Zimmerman, de Dick Miller à Barbara Steele en passant par Jerry Goldsmith ou Charlie Haas

Enfin, preuve du caractère quasi-définitif de l'ouvrage, la lecture s'achève sur une chronologie et une filmographie commentée du cinéaste. Et il faut encore préciser que cet excellent travail bénéficie d'une remarquable iconographie couleur et noir et blanc, mêlant photos d'exploitation et de tournage, ainsi que quelques surprenants storyboards. Au final, nous sommes là face à une somme précieuse que chaque fan de Joe Dante se doit d’avoir lu, et dont on adorerait qu'il soit mis à jour. Au-delà, les cinéphiles y trouveront leur compte, tant est passionnante cette plongée au cœur de la fabrication des films et de l'industrie du cinéma américain.



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