16 mai 2017

Le Cinéma de Barbet Schroeder II. 1998-2002

Desperate measures (L'Enjeu), 1998
Duel au sommet entre Andy Garcia et Michael Keaton. Sous ses apparences de pur produit hollywoodien qui sacrifierait ses prétentions sur l'autel du divertissement, se dévoile un film incroyablement prenant et nerveux, basé sur un postulat tordu et néanmoins valable : Keaton joue un dangereux prisonnier psychopathe qui s'avère être le seul donneur de moelle osseuse capable de sauver le fils du flic Garcia, atteint d'une leucémie. Donc Keaton doit à tout prix rester vivant, et il le sait. Ce concept offre ainsi au film la possibilité de sortir du schéma-type entre le chasseur et sa proie, et le réalisateur en exploite une nouvelle fois toute les potentialités grâce à une mise en scène particulièrement alerte.

Schroeder utilise ingénieusement ses très beaux décors pour suggérer que Garcia pénètre en fait dans la tête de son ennemi, passe de l'autre côté du mal pour sauver la vie de son fils. Les allusions en ce sens sont suffisamment nombreuses, à l'image de la passerelle qu'il détruit pour permettre l'ultime face à face qui aura lieu sur un pont suspendu, après avoir parcouru des kilomètres de couloirs, fait d'incessants allers-retours, glissé dans des conduits d'ascenseur, dans les égouts, etc. Dès la scène d'ouverture où Garcia pirate les fichiers du FBI pour obtenir la liste des donneurs compatibles, tout fonctionne ici par effraction, vis à vis des lois comme de la morale (et les réactions de l'enfant sont particulièrement étonnantes). Le rythme reste formidablement soutenu du début à la fin, aboutissant à un spectacle sans faille, qui se revoit avec le même plaisir.




La Virgen de los sicarios (La Vierge des tueurs), 2000
Après plus de dix ans passés à l'intérieur du système hollywoodien, quand bien même il parvenait à traiter des sujets qui nourrissaient sa fascination pour le mal, Schroeder parvient à surprendre en changeant brutalement de terrain. Après Bukowski, le cinéaste relève un nouveau challenge en adaptant le récit éponyme de Fernando Vallejo, qui est un texte fort et puissamment dérangeant. Comme sur Barfly, l'auteur est invité par le réalisateur à signer lui-même le scénario. Le résultat est un film choc, courageux tant par le sujet qu'il ose traiter que par les conditions de tournage qu'il s'impose, au cœur de Medellin. Schroeder tourne en effet sur place, avec une équipe technique locale, en langue espagnole, dans un pays où la tension sociale est encore loin d'être apaisée.

Le choix de la vidéo pouvait laisser craindre une approche bricolée, en mode images volées. Or la mise en scène est ici d'une rigueur constante, assez loin du relâchement esthétique défendu à l'époque par les films Dogme 95. Et ça aboutit à quelque chose d'impressionnant qui est totalement raccord avec la poésie scandaleuse de Vallejo, romantique et crue.




Murder by numbers (Calculs meurtriers), 2002
Evidemment, après l'expérience colombienne, ce titre-ci apparaît comme une sorte de retour au bercail sans prise de risques. Modernisant une fameuse affaire criminelle des années 1920, qui avait déjà inspiré Hitchcock pour La Corde et Fleischer pour Compulsion, le film se tient plutôt très bien dans son déroulement. Le côté Clint Eastwood du personnage de Sandra Bullock — flic alcoolo-torturé-traumatisé — est certes un peu forcé, relevant plus du truc de scénariste. Mais en même temps, le simple fait d'avoir féminisé ainsi ce qui avait fini par devenir un personnage-cliché apparaît plutôt réjouissant au sein d'une telle production balisée. Le jeune couple de froids meurtriers échoue cette fois aux jeunes Ryan Gosling et Michael Pitt. Ce dernier, qui avait déjà bien impressionné dans le Bully de Larry Clarke, allait incarner de nouveau un binôme de psychopathes dans le Funny games U.S. d'Haneke.

Visuellement plutôt classieux, le film bénéficie du talent de Luciano Tovoli, chef opérateur fidèle à Schroeder depuis Kiss of death (1995). Là, encore, le cinéaste fait preuve d'un admirable savoir-faire dans la façon de mener sa barque, qui prouve qu'il s'applique même dans des films de commande. Et c'est peu de dire que le sujet qu'il traite ici s'inscrit parfaitement dans ses obsessions. Le film lâche néanmoins un peu la rampe lors d'un final grotesque qui va abandonner la subtile étude de caractères pour un affrontement physique déjà vu ailleurs. On se retrouve donc plutôt là dans la lignée du efficace mais peu exigeant J.F. partagerait appartement : du bon divertissement élégant. Et c'est déjà pas mal. 



DOSSIER BARBET SCHROEDER :

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