4 juillet 2017

Le Cinéma de Joe Dante VI. 2005-2006 : du grand au petit écran

Homecoming (Vote ou crève), 2005
Diffusé en décembre 2006 sur la chaîne américaine Showtime, Homecoming est le 6e épisode de la série Masters of horror. Créée par l'auteur-réalisateur Mick Garris, un proche de Stephen King, déjà à l'œuvre sur Amazing stories et Tales from the cryptcette anthologie horrifique se proposait de confier la réalisation de chaque épisode à de grands noms du cinéma fantastique. Aux côtés de John Landis, Dario Argento, John Carpenter, Don Coscarelli, Tobe Hooper ou encore Takashi Miike, on ne s'étonnera donc pas de croiser parmi ces Maîtres de l'horreur Joe Dante (pour lequel Garris avait d'ailleurs tourné en 1981 le making of The Howling).

L'injuste échec tant critique que commercial du pourtant excellent Looney tunes back in action en 2003 a une nouvelle fois éloigné le réalisateur des plateaux hollywoodiens. La télévision est désormais la seule à lui offrir des opportunités de travail. Les contraintes budgétaires de ce type de production ne sont pas un problème pour celui qui fit ses premières armes chez Roger Corman et qui a déjà collaboré à de semblables collections de téléfilms (Picture windows, Rebel highway). Masters of horror possède sa propre économie, et l'on retrouve souvent d'un épisode à l'autre la même équipe technique. Confiés aux artistes de KNB EFX Group d'Howard Berger et Greg Nicotero, aujourd'hui incontournables (Land of the dead, Kill Bill, The Walking dead), les effets spéciaux de maquillage hyperréalistes constituent une des grandes réussites de la série dans son ensemble. L'essentiel du casting de ce Homecoming est assuré par des acteurs de télévision et, en dehors du fidèle Robert Picardo, la troupe d'habitués du cinéaste manque à l'appel. Enfin, en retrouvant au générique le nom du compositeur Hummie Mann (Runaway daughters, The Second civil war), on prend la mesure du temps qu'il faudra avant que l'on puisse retrouver un quelconque équivalent à la si fertile collaboration qui exista entre Dante et Jerry Goldsmith, décédé en 2004.

Porté par une colère sincère vis-à-vis des choix politiques de son pays sous l'ère Bush Jr. et l'après 11 septembre, le réalisateur profite de la permissivité de la chaîne câblée pour livrer une œuvre incontestablement personnelle, d'une incroyable richesse et d'une audace époustouflante, remarquablement rythmée malgré la concision imposée par sa durée, s'offrant même le luxe de construire son récit en flashback après une ouverture choc redoutablement efficace. Génialement inspiré par une nouvelle de Dale Bailey, le scénariste Sam Hamm (Batman returns) parvient à subvertir la commande en abordant de front l'actualité politique la plus brûlante, dénonçant avec une rage non masquée les mensonges du président et de son administration, les atteintes aux libertés civiques qui ont entaché son mandat et l'interventionnisme controversé en Irak. Choix significatif, la figure du président des États-Unis est absente de ce petit théâtre, Hamm préférant judicieusement circonscrire la scène autour de ceux qui tirent réellement les ficelles.

David Murch, le protagoniste, est un conseiller en communication dont le discours plein d'hypocrisie et politicien au possible va, par on ne sait quel miracle, être pris au pied de la lettre. En réponse à la détresse réelle d'une mère de famille éplorée, il va publiquement souhaiter que tous les fils disparus de l'Amérique puisse revenir à la vie. Comme un mensonge de trop, telle la goutte d'eau qui fait déborder le vase, sa parole va littéralement faire ressusciter les milliers de soldats morts dans une guerre qui n'est pas nommée mais qu'on devine sans effort. C'est comme si la télévision, prise en flagrant délit de mensonge, était soudainement mise face à ses propres responsabilités, redécouvrait le poids réel des mots. Que se passerait-il si, pour une fois, le baratin diffusé chaque jour sur les antennes prêtait enfin à conséquence ? On retrouve ici cette réflexion sur le sens et la toute-puissance des images qui est au cœur du cinéma de Joe Dante, de Gremlins à Small soldiers, en passant par Explorers. Murch lui-même a bâti sans le savoir son système de pensée sur un mensonge, s'appuyant sur un passé familial qu'il croit glorieux et qui s'avérera être une fiction de plus.

Cette idée de faire revenir les soldats morts au front est brillante et magnifiquement exploitée. Et là où Dante fait très fort, c'est en s'affranchissant assez vite des obligations du film d'horreur pour aller au bout de la satire (le personnage de Robert Picardo s'étonnera ainsi que les zombies n'aient même pas le réflexe d'aller dévorer des cerveaux). Contrairement aux clichés, ces morts-vivants souhaitent "simplement" accomplir leur devoir de citoyen et voter contre le pouvoir en place, réclamant le droit à une parole dont on les a privés. Et ils sont nombreux. Constatant que la situation risque de leur échapper, les autorités ne vont cesser de revoir leur stratégie pour maîtriser le phénomène. Considérés comme dissidents, les revenants sont enfermés dans des camps, subissent d'humiliantes expériences scientifiques et se voient définitivement nier leur statut de héros morts pour la patrie, réduits à l'état de viande qui ne suscite plus ni respect, ni compassion. L'armée, toujours soucieuse du moindre profit, envisage d'en faire de super-soldats, invincibles et immortels. Sam Hamm fustige ainsi le peu de considération des classes dirigeantes pour le vote des électeurs, puisque tout est joué d'avance, tout est mis en scène par des médias glaçants de cynisme. L'allusion aux présidentielles de 2000 avec le dépouillement contesté des bureaux de vote en Floride est transparente. Hamm reprend également à son compte l'idée déjà développé dans Dr Folamour du sexe qui mène le monde, illustrant les relations de pouvoir entre la politique et la presse. C'est ainsi qu'on verra notre conseiller s'adonner à de troublants jeux sadomasochistes avec ce surprenant personnage de journaliste arriviste (dont la plaque minéralogique porte l'inscription "BSH-BABE").

Au beau milieu de cette farce où l'hilarité est souvent de mise, il arrive cependant que le rire soit jaune. Ainsi l'étonnante scène du jeune mort-vivant accueilli et hébergé un soir de pluie par un couple de restaurateurs. La situation est éminemment absurde et pourtant cette brève parenthèse se révèle profondément touchante. Car derrière la figure du zombie, il y a une vie gâchée pour une cause injuste, et la frontière entre l'allégorie et la réalité apparaît alors bien ténue. Dante parvient à une tonalité peu évidente, subtile, dérangeante et pourtant pleine de pudeur. Les scènes au bureau de vote proposent le même type d'incongruité. Des zombies déposent leur bulletin dans l'urne. Ce pourrait être drôle, mais la mort qui suit cet acte citoyen, comme l'ultime effort après lequel on meurt d'épuisement et l'on repose enfin en paix, a quelque chose de pathétique. Finalement, aussi bien vivants que morts, ces hommes sont aussi peu considérés par les autorités, ce qui ne peut que nous indigner.

Derrière ce jeu franchement jubilatoire avec les codes d'un genre, Homecoming est donc bien un virulent pamphlet, qui ne cherche pas à faire de leçon mais à dénoncer par l'absurde une situation bien réelle. En cela, il mérite d'être rapproché du cinéma politique de George Romero et de ses zombies représentant la mauvaise conscience et les errements de nos sociétés modernes. La scène du cimetière est d'ailleurs un écho évident à Night of the living dead (et l'on s'amuse à repérer sur les tombes les noms gravés de Romero, Jacques Tourneur et Jean Yarbrough). 

Face à la frénésie des vivants préoccupés par un possible basculement de l'opinion publique, la lenteur tranquille des zombies aide à poser le rythme et à suggérer peut-être une véritable réflexion chez le spectateur qui ne serait venu là que pour les frissons et le divertissement. Homecoming assume incontestablement cette part du programme, mais il s'en dégage aussi une vraie amertume qui l'inscrit bien dans la lignée du magistral The Second civil war et de ses ruptures de ton désarmantes. Il est d'ailleurs intéressant de constater que si la satire sociale et politique a toujours été présente chez Dante, son propos semble se radicaliser depuis la fin des années 90. Sur ce terrain-là, The Second civil war et Homecoming forment un diptyque passionnant et intelligent qui prouve l'incontestable santé d'un cinéaste revenu des illusions qui pouvaient encore lui rester et qui n'a plus rien à perdre.




The Screwfly solution (La Guerre des sexes), 2006
Pour ce second épisode réalisé pour la 2e (et dernière à ce jour) saison de la série Masters of horrors, Dante et son scénariste Sam Hamm se révèlent une nouvelle fois incroyablement inspirés. La mise en place est encore une fois aussi efficace que terrifiante, établissant son postulat apocalyptique dès la scène d'ouverture avec cette vision anodine d'une american way of life typique et rassurante qui révèle brusquement une atroce réalité. Par cette approche et par sa progression sournoise, j'y ai trouvé pas mal de points communs avec The Happening de Shyamalan, évidemment avec cette idée d'une sorte de modification hormonale qui bouleverse l'équilibre d'une espèce. Et pour moi ce moyen-métrage aurait clairement pu donner lieu à un long-métrage d'anticipation qui aurait parfaitement sa place dans la tendance pessimiste actuelle du cinéma de genre. 

Le film est surtout passionnant dans sa première partie, nous faisant prendre conscience de toutes les conséquences du problème et donnant lieu à plein de scénettes d'autant plus horribles que le décalage avec la réalité n'est pas si excessif que ça. Dante et Hamm ne font qu'extrapoler à partir d'une authentique et triste réalité sociale, faite de machisme, violence conjugale, et guerre des sexes larvée. Pas besoin de brandir l'intégrisme religieux, ici évoqué, puisque ces horreurs-là se passent aussi aux États-unis. Le récit se circonscrit dans une seconde partie à la survie de l'héroïne. Peut-être la dernière femme sur Terre ? qui nous renverrait cette fois à un épisode de The Twilight zone. La pseudo-explication finale était sans doute dispensable, apportant une réponse un peu trop prosaïque aux dernières interrogations. 

Dénué d'humour et de second degré, et plutôt bien rythmé par rapports à la plupart des autres épisodes de cette anthologie trop souvent contraints de meubler, le film maintient un suspense bien tendu tout du long. Il bénéficie d'excellents dialogues et d'une très bonne interprétation (c'est toujours un plaisir de recroiser Elliot Gould) qui aident à faire passer la pilule de son postulat, tandis que la mise en scène de Dante s'efface totalement derrière son sujet, fonctionnelle à défaut d'être personnelle, ce qui ne saurait lui être reproché, même si on regrettera de n'y voir aucun de ses habituelles références de cinéphile. Bref, un brillant brûlot féministe.



DOSSIER JOE DANTE :
V. Le Retour perdant 1994-2003
VII. Le Trou noir 2009-2014 (prochainement...)

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