9 octobre 2017

Histoire permanente du cinéma italien, 1970-1971

Cinque bambole per la luna d'agosto (L'Île de l'épouvante), Mario Bava, 1970
Le peu que j'ai vu de la filmographie fournie de Bava m'a pour l'instant peu convaincu. Malgré ses qualités, la mise en scène de Le Corps et le fouet (1963) ou de La Baie sanglante (1971) ne suffisent pas à mes yeux à transcender un matériau de base pauvrement développé. J'ai néanmoins un bon souvenir des Trois visages de la peur (1963), en particulier du sketch La Goutte d'eau, terrifiant et superbe bijou de mise en scène, et de l'amusant plan final du film, travelling arrière qui révèle un Boris Karloff à dada sur son cheval mécanique au milieu du plateau de tournage, preuve que le réalisateur ne se prend vraiment pas au sérieux. Cette Île de l'épouvante est une variation très distrayante sur le principe des Dix petits nègres d'Agatha Christie, avec cette poignée de personnages isolés pour des vacances sur une île, qui se font mystérieusement assassiner les uns après les autres. Chaque survivant se retrouve alors forcé de soupçonner les autres, et le spectateur de multiplier les pronostics. 

Le moteur de l'intrigue totalement dérisoire (une formule scientifique à arracher à un professeur utopiste), n'est qu'un prétexte pour faire le portrait d'individus  pathétiques, motivés par l'argent et le sexe. C'est d'un cynisme tout à fait réjouissant, jusqu'à un épilogue qui confirme qu'on est bien dans une fable. Les incohérences pullulent, notamment dans l'attitude des personnnages qui non seulement ne paniquent jamais de voir leurs conjoints respectifs crever, mais qui surtout ne soupçonnent à aucun moment cette étrange fille qui ne fait que se balader dans l'île, sans véritable raison. Le côté bizarre de cet objet filmique naît de cette impression que chaque scène se déroule en donnant l'impression de ne déboucher sur rien. Les personnages se rencontrent, dialoguent, l'histoire avance effectivement et pourtant c'est comme si rien n'était lié. En dehors des zooms tous atroces, Bava signe une mise en scène et des cadrages parfaitement maîtrisés. J'ai particulièrement apprécié sa façon de recomposer son cadre à l'intérieur d'un même plan, par la disposition de ses comédiens où par un mouvement précis de caméra. Le gore est assez modéré, l'aspect macabre du film se résumant surtout à cette chambre froide où l'on pend les cadavres successifs au milieu des tas de bidoche. La présence d'Edwige Fenech, qu'on devine une nouvelle fois engagée pour ses "talents", finit de réchauffer tout ça.




La Bestia uccide a sangue freddo (Les Insatisfaites poupées érotiques du Pr. Hichcock), Fernando Di Leo, 1971
Un genre de huis clos centré sur une incroyable baraque qui ressemble autant à un asile psychiatrique pour jeunes femmes instables que moi je ressemble à Greta Garbo. La décoration de style médiéval présente ainsi un catalogue d'armes tout à fait à leur place dans ce genre d'établissement (hache, arbalète, épée, hallebarde et vierge de fer à tous les étages). Les docteurs sont d'une compétence douteuse, et on sent que le temps de tournage de Klaus Kinski a été compté, l'acteur donnant vraiment l'impression d'attendre avec impatience mais sans implication le moment de toucher sa paye. Di Leo propose ici un giallo aux rebondissements bien inconséquents, avec des archétypes de personnages névrosés qui donneront chacun lieu à des situations pittoresques : la nympho, l'agoraphobe, la suicidaire, la meurtrière. Il faut noter que ces pensionnaires sont toutes évidemment superbes, et j'ai gentiment craqué sur l'infirmière rousse lesbienne interprétée par Monica Strebel. L'ambition érotique du film est peut-être l'aspect le plus convaincant, via quelques scènes d'amour et de caresses pour le coup véritablement belles et sensuelles, dotées d'une très jolie musique mélancolique.

C'est dans sa deuxième partie que le film commence vraiment à délirer, au cours d'une nuit interminable à la temporalité aberrante. Tantôt on a l'impression que la maison est déserte et que tout le monde est couché depuis longtemps, ce qui permet au tueur de roder tranquillou. Et tantôt il semble qu'il règne une grande activité avec les malades et les infirmiers tout habillés et prêts à surgir au moindre hurlement. Di Leo a du se rendre compte que son scenar manquait un peu de corps, et il se rattrape alors sur la mise en scène et le montage, proposant des plans souvent farfelus et des raccords brutaux assez inspirés. Il s'amuse à mettre le spectateur sur une fausse piste, en nous poussant à identifier le tueur en Kinski. Bref un film qui semble à la fois suivre les codes d'un genre tout en s'en contrefoutant ouvertement, pas flippant pour un sou mais finalement très amusant et qui fait passer un excellent moment.




Addio Zio Tom (Les Négriers), Gualtiero Jacopetti et Franco Prosperi, 1971
On passe au versant craspec du ciné bis italien avec cet indigne successeur d'Africa addio, précédent film des réalisateurs Jacopetti et Prosperi, qui depuis leur séminal Mondo cane (1962) enchaînent les scandales à succès. J'ai découvert Addio zio Tom dans sa version française, assez radicalement charcutée de plusieurs dizaines de minutes par le distributeur. En l'état, demeure un ahurissant ovni filmique qui a pour prétention d'offrir un témoignage édifiant sur l'esclavage aux États-unis, son Histoire, ses méthodes et ses répercussions sur la société américaine d'aujourd'hui (enfin celle des 70's et de la lutte pour les droits civiques). Le résultat est d'autant plus impressionnant que c'est tout le contraire d'une petite production fauchée : figurants en pagaille, décors gigantesques et réalisme démentiel de la reconstitution, avec un tournage en Haïti qui a pu profiter des ressources mises à disposition par le dictateur Papa Doc. On est sans cesse partagé entre le dégoût des horreurs réelles de la traite des Noirs et la complaisance putassière des réalisateurs qui relève pleinement de ce cinéma d'exploitation où le voyeurisme se pare hypocritement d'une caution morale. En particulier — on s'en sera douté — dès lors qu'il s'agira de dénoncer l'esclavagisme sexuel (mais pas que).

Les raccords avec la société contemporaine, dans la version française, sont assez gratinés eux aussi, montrant la population Noire désormais socialement intégrée mais ayant honteusement oblitéré son histoire, donc soit-disant ayant totalement perdu ses valeurs. Le film se montre ainsi impitoyablement critique vis-à-vis de la société américaine, via un discours abusivement caricatural qui laisse le spectateur suffoqué par tant d'audaces et d'inconséquence. Par bien des aspects, l'atmosphère lourde et dérangeante qui plane sur ce film n'est pas sans évoquer le Mandingo réalisé quatre ans plus tard par Richard Fleischer.

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