15 décembre 2017

Emmanuel Carrère, la vie à l'œuvre IV. 2012-2016

Les Revenants, 2012-2015
La chronique de cette série française créée par Fabrice Gobert et coécrite pour partie dans sa première saison par Emmanuel Carrère a été précédemment publiée ici...


Le Royaume, 2014
Passionnant à plus d'un titre. Partant de sa fascination pour le christianisme, son Histoire et sa philosophie (il eut lui-même une brève période de foi), Carrère endosse le rôle d'enquêteur, revenant aux sources des textes et croisant les exégèses. Loin de se prétendre historien, l'auteur assume bien au contraire son métier d'écrivain, ne se privant pas de combler les trous, de broder selon ses intuitions ou plus simplement selon son goût du romanesque. Plus que de Jésus, il retrace surtout les parcours de Saint-Luc et Saint-Paul, personnages complexes dans la tête desquels il s'efforce de pénétrer, avec le talent dont il a déjà pu faire la preuve.

Évidemment, comme dans pratiquement tous ses livres depuis L'Adversaire, sa personne elle-même n'est jamais loin derrière le sujet officiellement traité. Et ce qui est extraordinaire, c'est comment ce travail se révèle parfaitement complémentaire des précédents. La figure de Philip K. Dick, auquel il avait consacré une biographie exemplaire, est par exemple régulièrement conviée. On constate une nouvelle fois à quel point tout est souvent lié dans le choix de ses sujets, et trouve un écho dans sa propre existence. 

J'ai adoré cette approche iconoclaste, complètement affranchie des règles et des conventions historiennes, qui lui permet sans doute de toucher souvent juste, en tous cas d'une façon qui me convient, nous invitant à partager un regard, son regard, tout en prenant bien soin d'échapper aux déformations. On devine que derrière le texte, il y a une somme de travail colossale (qui me donna méchamment envie de lire l'Histoire des origines du Christianisme de Renan, et qui s'avéra relativement décevante). Le livre est parfaitement construit, mais plus ouvert que jamais aux digressions. Il m'a par conséquent semblé un poil moins rigoureux dans son écriture que d'habitude, dans la tournure des phrases, dans certains enchaînements, Carrère étant un vrai styliste de la phrase faussement simple et s'étant toujours montré maître dans l'art d'organiser un matériau littéraire hétérogène, fait de notes, de recherches et d'anecdotes personnelles.




Il est avantageux d'avoir où aller, 2016
Sous ce titre tiré d'un précepte du Yi-king se cache une compilation relativement dense d'articles, reportages, chroniques, conférences et autres notes d'intentions pour projets de film, publiés par l'auteur au cours des 25 dernières années. Le lecteur familier avec l'œuvre de Carrère pourra légitimement reprocher d'inutiles redondances : pas mal de ces textes auront en effet servi de point de départ à ses ouvrages, et le seul intérêt de les voir reproduits ici serait donc avant tout documentaire, pour comparer premier jet et reprise au long cours, et constater la permanence de certaines préoccupations. 

L'idée de tout donner à lire est plutôt louable, donnant accès à des documents si ce n'est inédits au moins difficilement accessibles. Mais en ce qui concerne ces reportages qui donneront ensuite lieu à des livres aussi riches que L'Adversaire, Un roman russe, D'autres vies que la mienne et Limonov, je n'y ai pas trouvé de plus-value, tant il s'y voient judicieusement développés.

Heureusement, il reste suffisamment d'autres textes pour compenser cette impression d'ouvrage bouche-trou : réflexions vraiment passionnantes sur la méthode de l'écrivain, touchants portraits d'artistes, critiques de livres, et récit de voyage en Russie où la patte de l'écrivain est toujours présente (et c'est ce que j'apprécie), où la figure de l'auteur ne se dissimule jamais derrière son sujet, affirme pleinement sa présence, sa subjectivité et ses limites. Et c'est là que la note en quatrième de couverture se montre pertinente, à savoir que cet ensemble peut d'une certaine façon se lire, aussi, comme une autobiographie. Un recueil que je n'estime donc pas indispensable, et qui à mes yeux serait quand même plutôt destiné aux amateurs de l'écrivain. Façon de patienter jusqu'à la prochaine nouveauté.


DOSSIER EMMANUEL CARRÈRE :

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