30 janvier 2018

Les Engagés, 2017

Les Engagés, 2017
Une série créée par Sullivan Le Postec
1 saison de 10 épisodes 
Avec : Mehdi Meskar, Éric Pucheu, Claudine Charreyre, Nanou Harry, Denis D'Arcangelo, Romain Ogerau...


En dehors de son support de diffusion, impliquant une durée et des moyens a priori plus réduits que les séries TV "traditionnelles", et sans doute une plus grande liberté d'inspiration et de sujets (mais j'ai tellement de contre-exemples), la web-série ne semble plus se limiter aujourd'hui aux petites prods fauchées et amateurs d'antan, ou à des produits dérivés destinés à alimenter la promo des grosses machines. J'avoue que je n'ai pas défriché plus que cela la question, mais ayant découvert coup sur coup 2 web-séries réussies, j'avais envie de partager ces coups de cœur, puisque leur succès repose par essence sur le bouche-à-oreille et l'effet boule-de-neige. J'imagine que ça reste une économie fragile, qu'on est encore en phase d'expérimentation-observation.

Les Engagés est donc une création de Sullivan Le Postec, ex-critique spécialiste de série passé scénariste. Un bon feuilleton, élégant et touchant, qui fait graviter ses personnages et ses enjeux autour d'un lieu associatif LGBT à Lyon. L'engagement évoqué par le titre, c'est à la fois celui qui concerne la politique, la lutte citoyenne pour le respect des droits — et la série s'inscrit de ce point de vue complètement dans notre époque — mais aussi celui des sentiments, avec ces âmes qui se cherchent ou qui s'enferment dans un rôle qui n'est pas le leur. Les thèmes de société sont abordés sans maladresse, ni faute de goût. La série est militante, parle de militantisme, mais ne se limite pas à cette unique visée. Et c'est là qu'est sa réussite, puisqu'elle parvient à nous intéresser à des personnages pleins de contradictions, et surtout parce qu'elle a à cœur de les mettre au service d'une vraie histoire, de soigner sa dramaturgie. Les acteurs sont tous très bons, pleins de justesse, et c'est un plaisir de les voir jouer et évoluer.


Coproduite par Studio 4, filiale de France Télévisions vouée à la diffusion en ligne, Les Engagés bénéficient d'un emballage visuel impeccable, avec une ville de Lyon superbement mise en valeur. La mise en scène est énergique et capte vraiment bien la vitalité de ce petit monde, s'autorisant également de beaux moments de flottements, certes clipesques mais plutôt agréables. Le tout est bien dopé par la bande son intense signée Franck Lebon, malgré qu'elle se limite à 2-3 thèmes qui sembleront vite répétitifs si on binge-watch l'intégralité (mais j'allais pas non plus regarder 10 minutes d'épisode par semaine...).

À mi-saison, je reconnais que le scénar cède un peu à certaines conventions du feuilleton (rebondissements, décisions idiotes de certains persos qu'on ne comprend plus) qui, je trouve, ont tendance à disperser un peu le point de vue, à rendre un peu artificielle la progression du récit, là où justement tout se suivait auparavant avec naturel. Mais ça se conclue de telle sorte qu'on a quand même envie de connaître la suite, même si à cette date la saison 2 ne semble pas officialisée.



Bénéficiant d'une belle couverture critique et multiprimée en festivals, la série a depuis sa mise en ligne à l'été 2017 eu les honneurs d'une diffusion sur... TV5monde. Mais demeure toujours visible gratuitement et en intégralité en streaming. Je ne préfère pas vous renvoyer à la bande-annonce, que je ne trouve pas spécialement attirante. Autant basculer directement sur le premier épisodeIl annonce à ce jour un peu plus de 120 000 vues, aucune idée si c'est un chiffre conséquent.



29 janvier 2018

Trois films noirs français de 2004

Qui perd gagne !, Laurent Bénégui 2004
On devrait toujours se méfier de titres qui se finissent par un point d'exclamation, qui renvoient plutôt du côté du cinéma de Philippe Clair. Ni l'affiche, ni Lhermitte, ni le sujet (une histoire de joueur de casino, de Loto et d'arnaque) ne m'intéressaient. J'avais été voir ce truc parce que j'étais fan du film précédent de Bénégui, Mauvais genre, sorti en 1997. Un petit bijou de poésie et de drôlerie burlesque, plein d'idée et bien joué, avec un génial Jacques Gamblin faisant feu de tout bois. Une vraie perle à (re)découvrir, inexplicablement inédite en vidéo. 

Mais là qu'est-ce qu'on a ? Une sorte de téléfilm de prestige au scénario pas crédible pour trois sous, dont l'interprétation déficiente devient criante lorsque Michel Aumont fait son apparition, toujours impeccable, lui, et devenu la mascotte du réalisateur. Lhermittte et Zylberstein donnent juste l'impression de vouloir en finir au plus vite, franchement peu soutenus par une mise en scène d'une indigence rare. Bref, c'est un pénible naufrage sur lequel il n'est pas nécessaire de s'étendre davantage, à la suite duquel Bénégui lui-même préfèrera se cantonner à l'écriture. On pourra noter quand même une musique assez jolie et guillerette (enfin pas de quoi se payer la B.O., hein) signée Laurent Coq, et un gag assez drôle... en toute fin de générique !




36 quai des orfèvres, Olivier Marchal, 2004
La tension, la dramatisation m'ont emballé et j'ai souvent jubilé sur mon siège, y voyant à l'époque quelque chose de bien supérieur au tout venant de la production française. Malgré le background affiché du réalisateur (ses 10 années de police), on est vraiment face à un film de cinéma. Dans sa forme, dans sa construction, dans sa narration, Marchal ne souscrit pas à l'esthétique documentaire. Il joue avec des figures de cinéma, et on notera l'hommage à Melville avec Rochdy Zem qui porte le même nom que Serge Reggiani dans Le Doulos : Silien. Le réalisateur possède un sens de l'image et du montage assez stupéfiants, évident dès la séquence d'ouverture et son montage parallèle, mystérieuse façon d'introduire le personnage d'Auteuil. La caméra est mobile et la musique dynamise bien l'ensemble. Par la suite, il est vrai que je me ferai souvent la remarque que Marchal semblait incapable de se passer d'un accompagnement musical, au risque de sombrer parfait dans un effet musique d'ascenseur. Certains plans sont très beaux (le gamin qui regarde son père mort après avoir sauté du balcon, la fille d'Auteuil qui regarde les menottes se refermer sur les poignets de son père). De même cette belle mise en parallèle des deux flics, l'un rejoint par sa femme sous sa douche, l'autre regardant la pluie tomber de derrière sa large baie vitrée, incapable de communiquer avec la sienne. 

Cette présence des femmes, faussement à l'arrière-plan m'a pas mal fait penser au traitement que leur réservait Heat, le chef-d'œuvre de Michael Mann que Marchal a clairement ici en ligne de mire. Les conversations hommes/femmes y sont toujours lourdes de sens. Sans que cela soit plus qu'évoqué, on comprend que Camille (Valeria Golino) était avec Depardieu avant de rejoindre Auteuil. Leur rivalité n'est pas que sur le terrain du pouvoir policier. J'ai de manière générale beaucoup apprécié l'attention accordée à tous les personnages. Les acteurs sont vraiment tous épatant, et j'ai aimé retrouver le trop rare Francis Renaud.

Peut-être que le film manque d'un vrai clou du spectacle. La fusillade centrale aurait pu y prétendre. Elle dégage une vraie puissance (surtout grâce à l'interprète assez flippant du gangster tatoué). Mais on guette un pic qui ne vient pas. De même, en refusant le climax final, en éludant l'affrontement attendu entre Auteuil et Depardieu, Marchal nous frustre. Sa solution, si elle évite louablement la convention, laisse un sentiment d'inachevé. On ne sent pas le poids du calvaire vécu par Auteuil, et le dernier quart d'heure accumule les coïncidences et sent la facilité d'écriture. Du coup, il est vrai que je suis sorti de la salle sur un sentiment mitigé alors que j'étais très enthousiaste durant les 3/4 du métrage. Il faudrait le revoir aujourd'hui afin de constater si ces faiblesses se sont ou non estompées avec les années.




Je suis un assassin, Thomas Vincent, 2004
Le très bon précédent film du réalisateur, Karnaval qui révéla Sylvie Testud, m'était bien resté en tête et je partais donc confiant. C'était même assez rigolo quand j'ai du répéter bien fort à la caissière qui m'avait mal entendu : « Je suis un assassin !... » Résultat des courses, j'ai trouvé ce film noir adapté de Donald Westlake inégalement maîtrisé, avec surtout l'impression que toute la seconde partie, quand Viard et Cluzet s'installent chez Giraudeau, n'avait pas grand chose à dire et à montrer. Je ne sais pas si ça tient des dialogues ou des acteurs mais la description de leur chute dans la folie m'est apparue un peu légère, voire artificielle.

J'en ignore les causes, mais le film de Vincent a en fait été une production difficile et est sorti amputé de nombreuses scènes. Je suis pas sûr qu'il aurait été plus réussi s'il n'avait pas été coupé, mais c'est vrai que de nombreux trous sont sensibles et gênants. L'enquête policière et le personnage de l'inspecteur joué par Antoine Chappey semblent avoir particulièrement morflé au montage. Il reste encore des choses surprenantes, mais qui perdent trop vite en tension, ou qui ne vont pas très loin, avec un Giraudeau qui se croirait revenu sur le plateau de Ce jour-là de Raoul Ruiz. J'ai vraiment regardé le film se terminer avec un intérêt bien émoussé. Au final, l'attente est un peu déçue, même si ça m'avait quand même fait plaisir de voir à nouveau Cluzet sur les écrans, magistral comme toujours.

26 janvier 2018

Deux romans de Jesse Kellerman

Les Visages, 2008
Cette lecture figure aujourd'hui encore parmi mes gros coups de cœur. Quand bien même Jesse Kellerman continue à se voir publié dans des collections noires, son roman échappe pour moi clairement à l'étiquette "thriller", et ce serait vraiment dommage de l'aborder avec cette attente. Et par ailleurs, je ne comprends pas cette liberté que s'autorise le titre français Les Visages alors qu'en VO c'est The Genius. C'est un peu le genre de bouquin on l'on sent que l'auteur s'est investi à fond avec l'ambition de pondre une sorte d'œuvre définitive. Kellerman déroule ainsi une histoire dense et passionnante, habitée par des personnages qui semblent pleinement exister, chacun d'eux offrant au lecteur un environnement bien particulier. Pour aller vite, on dira que ça se passe dans le milieu de l'art contemporain newyorkais, dépeint ici avec crédibilité sur plusieurs époques, entre galeristes, critiques et artistes. Et l'on est vite happé. 

Même si le suspense est là, avec un habile dosage de révélations, le rythme est relativement posé, permettant d'approfondir les personnages. Et bien évidemment, si le roman m'a autant emballé c'est surtout grâce à son style formidablement inspiré, et certainement bien servi par la traduction. C'est émouvant, drôle, terrifiant, intelligent. Après un résultat aussi percutant, j'ai naturellement eu très envie de prolonger la découverte de cet auteur.




Bestseller, 2012
Et j'ai jeté mon dévolu sur ce qui était alors son dernier roman paru sous son seul nom (il a depuis cosigné plusieurs ouvrages avec son papa Jonathan). Je nourrissais bien entendu peu d'espoir de trouver ici des émotions et une satisfaction équivalentes à celles procurées par The Genius... mais je ne m'attendais pas à une telle douche froide. Les prémisses étaient pourtant très encourageants. Promu lui-même auteur de bestseller grâce à ces précédents romans, Kellerman met ici en scène un milieu littéraire qu'on imagine lui être familier, nous faisant cotoyer losers et écrivain à succès. Les personnages sont bien campés, les chapitres très courts maintiennent l'attention. 

Et puis progressivement, on bascule dans quelque chose d'autre : une parodie du roman d'espionnage complètement grotesque, où le manque de sérieux est tel — j'ai souvent pensé à Tintin au pays des Soviets — qu'on en vient à reconsidérer tout ce qui vient de précéder. On se retrouve alors face à un divertissement trèèèès léger. Une vaste blague qui en réalité fonctionne plutôt bien car la parodie est vraiment drôle, mais qui fait qu'on se retrouve à l'arrivée face à un roman franchement anecdotique, une récréation un peu décevante. Kellerman assume le jeu avec les clichés, et en poussant un peu son récit peut aussi être lu comme une déconstruction critique de certains procédés des thrillers à succès. Mais ça ne va pas beaucoup plus loin.

La lecture est plaisante, et c'est évidemment là l'essentiel. J'avais juste espéré un peu plus d'ambition de la part d'un auteur qui avait su si magnifiquement en faire preuve précédemment. Je suis éventuellement prêt à lui redonner une chance si on m'affirme qu'il s'est rattrapé sur d'autres titres, mais à ce jour je reste sur le sentiment qu'il restera l'auteur d'un unique roman (comme Ken Grimwood et son Replay), roman que je persiste néanmoins à recommander chaudement.

24 janvier 2018

Le Cinéma bis de Sergio Martino

Milano trema : la polizia vuole giustizia (Rue de la violence), 1973
Bon polar qui baigne dans une atmosphère permanente de corruption et d'injustice. On y suit Luc Merenda (convaincant sosie de Bernard Tapie tout jeune), flic aux méthodes expéditives que sa hiérarchie laisse gentiment opérer en marge, tout en le rappelant à l'ordre pour la forme. Bon artisan, le réalisateur Sergio Martino braque le peu reluisant reflet de son époque, dépeignant une société italienne en pleine confusion des valeurs, où flics, gangsters et radicaux politique se mélangent dans l'ombre. Le propos est plutôt intéressant, mais assené sans trop de subtilité. Le comportement du héros et la logique de son plan se dont pas des plus convaincants, et du coup on passe un peu à côté de l'empathie pour certains personnages qui souhaitaient jouer sur la corde sensible.

Sans pour autant sombrer dans les excès du bis, le réalisateur n'oublie pas de combler aussi le spectateur venu ici pour se distraire, et son film propose un chouette enchaînement de scènes de braquage et surtout de poursuites en petites bagnoles complètement dingues, confiées à Remy Julienne, dont certains plans sont clairement tournés sans autorisation en plein milieu du trafic milanais. Nombreuses et assez fournies, ces scènes sont loin d'être toujours justifiées par le récit, et leur montage est parfois un peu confus. Mais on pourra estimer que leur côté extrême participe de cette expression de rage qui habite l'inspecteur Merenda. L'affrontement final en mode stock-car semble même annoncer — toutes proportions gardées — le climax du Bullet in the head de John WooDans le genre, plutôt un film solide, et en y repensant, assez riche, mais manquant un peu de force dans sa caractérisation.




2019 dopo la caduta di New York (2019 après la chute de New York), 1983
Tout est déjà dans le titre. Le scénario pille comme c'est pas permis dans les succès de l'époque, oubliant en route aussi bien le talent que les moyens. Ça donne à l'arrivée un sous-Mad Max croisé avec un sous-Escape from New York. Finalement un peu l'équivalent de ce que fera Neil Marshall avec dix fois plus de budget mais aussi d'inspiration sur son jubilatoire Doomsday. Sauf que chez Martino c'est du pur opportunisme commercial et pas de l'hommage. Le film est plutôt joliment photographié et se permet même le luxe d'une séquence tournée à Monument valley. En soi ça suffit à lui donner une touche et une ambition que n'avaient pas pu se permettre d'autres post-apo ritals de cette "glorieuse" époque. 

Pas trop paresseux donc, le film est relativement généreux en action, et nous gâte avec une belle galerie de véhicules customisés dans le style médiéval, des décors kitshouilles de laboratoires, de chouettes maquettes de bases secrètes, de Manhattan et de vaisseaux spatiaux, sans oublier la présence de pittoresques mutants radioactifs. Pour le reste, les acteurs sont exécrables comme il faut, ce qui ajoute au charme de ce doux nanar, surtout si on privilégie comme il se doit sa version doublée en français.

22 janvier 2018

Histoire permanente du cinéma italien, 1971-1973

Il Merlo mascio (Ma femme est un violon), Pasquale Festa Campanile, 1971
J'avais adoré ce film, petit bijou de l'âge d'or de la comédie italienne, plein d'idées farfelues et vraiment très très drôle. On est certes dans un registre plutôt paillard, mais qui se garde de jamais sombrer dans la complaisance scabreuse propre aux sexy-comédies transalpines (qui y ont cependant certainement  puisé leur inspiration). Seules comptent ici la dimension humoristique et cruellement satirique, avec l'histoire de cet homme incapable de voir sa femme comme un objet de désir et qui va en quelque sorte exploiter les fantasmes des autres pour mieux existerLes scénaristes mêlent ainsi avec autant de bonheur satire sociale et situations comiques, le ton devenant de plus en plus grinçant. Et le réalisateur se fait plaisir en mettant en valeur une Laura Antonelli tout simplement renversante de beauté. 

La narration subjective autorise toute une série de visions et fantasmes savoureux, qui ne sont clairement pas sans évoquer le Billy Wilder de Sept ans de réflexion, qui égratignait déjà bien la figure du mâle dans les années 50. Ça m'a rendu très curieux du reste de la filmographie de Festa Campanile, mais je n'ai pas eu depuis l'occasion depuis d'en poursuivre la découverte.




La Polizia è al servizio del cittadino ? (La Police au service du citoyen), Romolo Guerrieri (aka Romolo Girolami), 1973
Enrico Maria Salerno joue les super-flics luttant contre la corruption généralisée et les lourdeurs administratives de sa hiérarchie. Malgré que ses déductions voient toujours juste, ses supérieurs s'obstinent à lui demander de réunir des preuves pour boucler le mafieux qui fait régner sa loi sur l'industrie d'import-export des fruits et légumes de la région (Daniel Gélin). Notre commissaire va donc menacer comme il faut quelques crapules, falsifier des preuves, entrer par effraction chez les bad guys et les cambrioler. Il est aidé en cela par son adjoint, un moustachu obsédé du cul qui trempe gentiment dans la combine. Le tout bénéficie du parrainage de Marlboro, les personnages ne cessant de brandir des paquets de façon un peu trop ostentatoire pour être honnête.

Tournant sous pseudonyme, Romolo Girolami se débrouille plutôt bien dans les scènes de filatures, mais son film sombre souvent dans le ridicule par le côté jusqu'au boutiste de son héros, énième avatar de Dirty Harry qui finira par rendre justice lui-même (« car si la justice tient dans une de ses mains une balance, dans l'autre elle brandit un glaive ! »). Vu dans son toujours subtil doublage français, le film est surtout définitivement plombé par pas mal de situations et de répliques bien rentre-dedans, tout le monde se traitant de « connard » et autres « fils de pute. » Cela dit, c'est vrai que dans la dernière demi-heure, l'ambiance s'assombrit pas mal, devient plus désespérée et qu'on cesse un peu de rire. Musique de Luis Bacalov plutôt sympa.





Revolver (La Poursuite implacable), Sergio Sollima, 1973
Pas de cinéma bis ici ou de comédie licencieuse. Cette fois c'est du grand, du très grand cinéma. Réalisateur génial des westerns du péon Cuchillo (Saludos hombre), Sergio Sollima se montre tout aussi inspiré dans le genre du polar, distillant ici encore en contrebande un intelligent discours politique au cœur du divertissement le plus efficace. Avec Bandits à Milan de Lizzano, c'est pour moi l'un des chefs-d'œuvre de ce genre, si typé mais qui s'est pourtant la plupart du temps circonscrit aux exigences du cinéma d'exploitation (par exemple, chez Castellari). 

Reflet tétanisant de ces années de plomb que connaissait alors l'Italie, Revolver est un film époustouflant, très dense et assez imprévisible dans sa progression. Il n'a finalement pas grand chose à gagner à être artificiellement relié à un genre, puisqu'il relève à la fois du thriller, du buddy movie, du brûlot politique, du drame et du film d'action. Ses personnages sont faits de chair et de sang, se voyant ici élevés pratiquement au rang d'icônes tragiques. Inattendu dans cet univers, Oliver Reed est monumental, tandis que Fabio Testi impressionne par son jeu plein de fièvre, trouvant sans doute ici son meilleur rôle. Et si ça ne suffisait pas, les talents réunis ici se voient encore secondées par une mémorable partition de Morricone. J'ai un petit faible pour la jolie chanson interprétée par Daniel Beretta (qu'on connaîtra mieux plus tard comme la voix française de Schwarzenegger) qui joue dans le film une sorte de sous-Polnareff :

18 janvier 2018

Le Cinéma de Richard Donner V. 1995-2006

Assassins, 1995
On a ici un peu l'impression d'avoir perdu le réalisateur, avec cette nouvelle production Joel Silver sans saveur qui semble avoir égaré la formule magique de ses actioners des années 80. Construit sur l'opposition basique entre deux tueurs à gages rivaux et doués, sur la confrontation de deux méthodes, le film est écrit par les (encore) frères Wachowski, qui feront en sorte par la suite d'assurer eux-mêmes la réalisation de leurs scripts.

Assassins est ce qu'on appelle un film véhicule, remodelé en cours de route pour ses interprètes. D'un côté un Stallone pas encore en perte d'aura (sorti juste après, Daylight en sera sans doute les derniers feux). De l'autre, un Antonio Banderas bien loin d'Almodovar et qui, après quelques seconds rôles marquants à Hollywood, passe sur le devant de la scène suite au succès du Desperado de RodriguezLeurs deux noms sont clairement mis sur le même plan dans la promotion (affiches, bandes annonces), un peu comme on avait eu Stallone / Snipes pour Demolition man ou Stallone / Stone pour L'Expert... Le nom-même de Richard Donner n'est pas un argument de vente. Le réalisateur ne ralentit pour autant pas son activité, retrouvant bientôt son complice Mel Gibson d'abord sur Conspiracy theory, film de 1997 avec Julia Roberts que je n'ai pas vu, puis avec un retour sans risque à une franchise qui n'en méritait pas tant...




Lethal weapon 4 (L'Arme fatale 4), 1998 
J'avoue que je n'ai jamais eu la curiosité de savoir à quel point Donner s'impliquait dans la conception de ses films, à la production desquels il a la plupart du temps été associé. Ni de chercher d'éventuelles thématiques récurrentes dans son œuvre. Je me souviens même qu'à l'époque de sa sortie, ce Lethal weapon 4 représentait pour moi le symbole détestable du cinéma commercial hollywoodien par rapport au cinéma d'auteur, et je l'ai longtemps snobé. C'est pourtant déjà un peu mieux que le 3e volet, et souvent drôle. La scène du gaz hilarant chez le dentiste en particulier est assez mémorable, dans le genre comédie en roue libre. Et Chris Rock, même s'il n'est pas un acteur très convaincant, a quelques bonnes répliques. Je retiendrais également les impressionnantes cascades sur autoroute, et des effets pyrotechniques très réussis. 

Le film devient surtout très intéressant dans sa volonté de mixer l'actioner "joelsilverien" avec le cinéma de Hong Kong. La tentative est cependant encore timide, la mise en scène reste contrainte par le formatage hollywoodien et sous-exploite les talents de Jet Li, qui écope d'un rôle vraiment trop léger. La même année, Jackie Chan rencontrait le succès avec Rush hour, qui fonctionnait justement exactement sur la formule buddy movie popularisée par la franchise de Donner. Mais il faudra attendre l'arrivée fracassante de The Matrix (1999) pour que la mutation s'achève et que l'approche du cinéma d'action américain soit totalement repensée sous l'influence des chorégraphes hongkongais.

Pour finir sur ce film, je dirai encore que le côté mal élevé de certaines situations et répliques en font un sympathique spectacle, qui joue bien de son côté obsolète (parce que le « Too old for this shit », ça commence à faire longtemps qu'on l'entend). Mention spéciale au générique de fin qui, sous la forme d'un album de photos de famille, nous invite dans l'envers du décor en rendant hommage à tous ceux qui ont travaillé sur la série depuis le premier film : les acteurs et l'équipe de réalisation apparaissent dans leur propre rôle, assumant complètement la dimension fictive de l'entreprise, cet artisanat de l'illusion qu'est le cinéma — that's entertainment — et l'effet est plutôt chouette. C'est là qu'on se dit que c'est presque un petit miracle que d'être parvenu au sein de cette industrie à conserver le même casting (les gamins qui grandissent), le même réalisateur, les mêmes compositeurs,  etc. pendant dix ans. De cette franchise, qui aura inévitablement droit à son reboot ou sa suite revival, je retiendrai surtout les deux premiers volets, avec une préférence marquée pour le second.




Timeline (Prisonniers du temps), 2003
C'est maintenant que Richard Donner ralentit la cadence. Sorti dans l'indifférence générale, Timeline se présente sans vraies têtes d'affiche (Paul Walker, Gerard Butler, David Thewlis, Lambert Wilson, mouais, on a vu plus vendeur), son principal argument commercial se limitant à être une adaptation de Michael Crichton.

C'est une production laborieuse, pleine de réécritures et qui contraint même Jerry Goldsmith à quitter le navire, rendez-vous manqué avec le réalisateur de The Omen. Le manque de moyens est cruellement visible à l'écran, les enjeux à base de voyage dans le temps sont peu intéressants, avec un montage en parallèle laborieux entre scènes d'action dans le passé et intrigues de laboratoire dans le présent. Donner donne ici l'impression d'être fini, achevant sa carrière dans des sous-productions sans âmes, comme Peter Hyams à la même époque abonné à Jean-Claude Van Damme.




16 blocks, 2006
Après le désastre de ce Timeline, c'est peu de dire que je n'attendais plus rien de Donner, et peut-être qu'au moment de sa sortie l'actu ciné était suffisamment morne pour que je cède à la curiosité. Et j'avais trouvé ça très bon. Un polar solide reposant sur un concept assez enthousiasmant, qui se met en place sans fioritures dès le premier quart d'heure. Remake non assumé de L'Epreuve de force, 16 blocks pourrait à mes yeux s'inscrire officieusement dans la franchise Die hard, bien plus dignement que n'aura su le faire l'ignoble 4e volet. On est donc là dans un des retours aux sources les plus convaincants de la grande époque des Silver productions (Le Dernier Samaritain) avec un pur polar hard boiled.

Les interprètes sont excellents. Bruce Willis en chien battu ce n'est évidemment pas une grande prise de risque mais l'efficacité a été prouvée. Certains face à face entre lui et David Morse (que Donner avait fait débuter dans Inside moves) sont un régal par leur côté très théatral, affrontements psychologiques pleins de tensions, procurées aussi bien par les dialogues suffisamment bien écrits pour venir enrichir sans lourdeur les personnages, que par la mise en scène. Donner a l'intelligence de privilégier sa direction d'acteur sur le spectaculaire, s'attachant finalement davantage aux personnages qu'aux courses poursuites, sans pour autant négliger ces dernières dans lesquelles son savoir-faire n'est plus à prouver. Bref, d'une certaine manière le film est très classique mais un classique intelligent, avec des péripéties ludiques qui maintiennent tout du long l'attention en éveil, jouant à la fois sur les contraintes d'espace et de temps. Le film témoigne ainsi d'une énergie et une vitalité qu'on n'espérait plus de la part du cinéaste, et si sa carrière doit s'achever sur ce titre, cela n'aura rien de déshonorant.



DOSSIER RICHARD DONNER :