26 janvier 2018

Deux romans de Jesse Kellerman

Les Visages, 2008
Cette lecture figure aujourd'hui encore parmi mes gros coups de cœur. Quand bien même Jesse Kellerman continue à se voir publié dans des collections noires, son roman échappe pour moi clairement à l'étiquette "thriller", et ce serait vraiment dommage de l'aborder avec cette attente. Et par ailleurs, je ne comprends pas cette liberté que s'autorise le titre français Les Visages alors qu'en VO c'est The Genius. C'est un peu le genre de bouquin on l'on sent que l'auteur s'est investi à fond avec l'ambition de pondre une sorte d'œuvre définitive. Kellerman déroule ainsi une histoire dense et passionnante, habitée par des personnages qui semblent pleinement exister, chacun d'eux offrant au lecteur un environnement bien particulier. Pour aller vite, on dira que ça se passe dans le milieu de l'art contemporain newyorkais, dépeint ici avec crédibilité sur plusieurs époques, entre galeristes, critiques et artistes. Et l'on est vite happé. 

Même si le suspense est là, avec un habile dosage de révélations, le rythme est relativement posé, permettant d'approfondir les personnages. Et bien évidemment, si le roman m'a autant emballé c'est surtout grâce à son style formidablement inspiré, et certainement bien servi par la traduction. C'est émouvant, drôle, terrifiant, intelligent. Après un résultat aussi percutant, j'ai naturellement eu très envie de prolonger la découverte de cet auteur.




Bestseller, 2012
Et j'ai jeté mon dévolu sur ce qui était alors son dernier roman paru sous son seul nom (il a depuis cosigné plusieurs ouvrages avec son papa Jonathan). Je nourrissais bien entendu peu d'espoir de trouver ici des émotions et une satisfaction équivalentes à celles procurées par The Genius... mais je ne m'attendais pas à une telle douche froide. Les prémisses étaient pourtant très encourageants. Promu lui-même auteur de bestseller grâce à ces précédents romans, Kellerman met ici en scène un milieu littéraire qu'on imagine lui être familier, nous faisant cotoyer losers et écrivain à succès. Les personnages sont bien campés, les chapitres très courts maintiennent l'attention. 

Et puis progressivement, on bascule dans quelque chose d'autre : une parodie du roman d'espionnage complètement grotesque, où le manque de sérieux est tel — j'ai souvent pensé à Tintin au pays des Soviets — qu'on en vient à reconsidérer tout ce qui vient de précéder. On se retrouve alors face à un divertissement trèèèès léger. Une vaste blague qui en réalité fonctionne plutôt bien car la parodie est vraiment drôle, mais qui fait qu'on se retrouve à l'arrivée face à un roman franchement anecdotique, une récréation un peu décevante. Kellerman assume le jeu avec les clichés, et en poussant un peu son récit peut aussi être lu comme une déconstruction critique de certains procédés des thrillers à succès. Mais ça ne va pas beaucoup plus loin.

La lecture est plaisante, et c'est évidemment là l'essentiel. J'avais juste espéré un peu plus d'ambition de la part d'un auteur qui avait su si magnifiquement en faire preuve précédemment. Je suis éventuellement prêt à lui redonner une chance si on m'affirme qu'il s'est rattrapé sur d'autres titres, mais à ce jour je reste sur le sentiment qu'il restera l'auteur d'un unique roman (comme Ken Grimwood et son Replay), roman que je persiste néanmoins à recommander chaudement.

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