28 février 2018

Le Cinéma de P.T. Anderson II. 1999-2002

Magnolia, 1999
On a là l'aboutissement de ce qu'on pourra rétrospectivement considérer comme la première période du cinéaste. Cette fois la durée du récit s'affranchit des contraintes commerciales, répondant à des ambitions qui paraissent sans limites. Grâce à une mise en scène bluffante qui enchaîne les moments d'anthologie, grâce à un montage complètement calé sur une musique qui ne s'arrête jamais et qui joue des raccords dans le mouvement pour passer d'une histoire à l'autre, on ne sent pas passer les trois heures de cette éprouvante soirée en quasi-temps réel. J'ai toujours été inexplicablement sensible à tout ces notions de hasard et de coïncidences, à la dispersion des signes du destin, et le torrent d'émotion si merveilleusement charrié par ces chassés-croisés polyphoniques me touche ici exactement comme le fait le Demy des Demoiselles de Rochefort, qui me semble une inspiration tellement évidente. On y retrouve à l'œuvre le même art de la musicalité et du mélodrame. Sauf que ça se passe à Los Angeles, son miroir aux alouettes où errent des anges déchus, des perdants magnifiques et des enfants sacrifiés.

J'aime toutes ces magnifiques âmes, je me régale de ces interprétations grandioses, les chansons d'Aimee Mann me serrent le cœur et même si j'ai vu le film un paquet de fois, je vibre toujours avec les personnages, me projetant dans leur détresse et souhaitant sincèrement leur bonheur. Le metteur en scène démiurge a en plus le bon goût de ne pas se montrer inutilement cruel et de laisser passer la lumière, nous offrant à mes yeux rien de moins que l'un des plus beaux derniers plans que je connaisse du cinéma mondial, osmose parfaite entre son, image et émotion. Il serait vain de citer chaque acteur qui donne ici le meilleur de lui même, jusqu'au moindre petit rôle (Alfred Molina, Henry Gibson) tout juste évoquerais-je la prestation hallucinante d'un Tom Cruise à contre-emploi, choix aussi audacieux et réussi que l'avait été celui de Mark Wahlberg pour le rôle principal de Boogie nights. Année faste pour Cruise qui nous avait déjà régalé quelques moins plus tôt par sa participation à l'ultime opus kubrickien. 

Foin de discours vaseux, j'adore tout simplement ce film — qui reste mon préféré du cinéaste s'il fallait bêtement hiérarchiser, le plus immédiat, le plus poignant, s'adressant davantage au cœur qu'au cerveau. Par son écriture, Magnolia assume toujours plus l'héritage du cinéma de Scorsese mais fut aussi souvent renvoyé au Altman de Short cuts. Et c'est tout à l'honneur d'Anderson d'avoir ensuite réussi à faire table rase de ces vénérables parrains pour inventer un nouveau langage, le sien propre.




Punch-drunk love, 2002
Un ovni absolu. C'est peu de dire que conquis comme je l'étais par les précédentes œuvres du cinéaste, j'attendais celle-ci au tournant. Ce sera l'un de mes plus grands chocs visuels et émotionnels de l'année de sa sortie. J'en trépignais de bonheur lorsque les lumières se sont rallumées. Le choc fut d'autant plus fort qu'Anderson propose un renouvellement radical de son cinéma. L'un des grands plaisirs que procurent ses films est qu'ils gagnent à être revus, qu'ils le réclament même. À chaque fois que revois Punch-drunk loveje n'en reviens pas qu'un truc aussi bizarre et audacieux ait pu être librement tourné  — impression qui se banalisera presque en se répétant sur les titres suivants, tous aussi hors-catégories. Et je ne pense pas m'emballer en estimant que le qualificatif de « génie » est loin d'être déplacé pour un artiste complet tel qu'Anderson, seul auteur de ses scénarii sur ce film comme sur les précédents.

Dès l'ouverture, ce qui nous est donné ici à voir est tellement singulier, quasiment avant-gardiste que l'on est happé. À la fois par son côté imprévisible, par ses audaces de mise en scène qui rendent chaque scène fascinante, par cette volonté de bizarrerie d'autant plus troublante que finalement le film ne raconte rien de réellement improbable ou fantaisiste. Au contraire même, puisqu'en son cœur il y a une véritable histoire d'amour. Et puis c'est aussi très drôle, mais avec une approche de la comédie qui, même si elle joue sur l'absurde, semble là aussi ne rien devoir à personne et tracer tranquillement mais avec une fière assurance son sillon. Bref, on se fait agréablement promener par divers états, et en tant que spectateur c'est un bonheur.

C'est le film qui fait qu'alors que sa carrière avant ça et après ça ne m'a jamais intéressé, je conserve un minimum de sympathie pour Adam Sandler. Le couple qu'il forme ici avec Emily Watson est d'une grâce bouleversante. Pour moi, c'est un vrai chef-d'œuvre, tellement à part que les mots me manquent pour en parler plus justement. C'est un film qui n'accepte pas la demi-mesure. On le rejettera en bloc ou y adhérera fusionnellement, mais dans un cas comme dans l'autre, on ne sera pas rester insensible devant une telle proposition d'aventure.





Paper bag, 1999
Après le splendide Across the universe, j'ai un faible pour cet autre clip qu'Anderson réalisait la même année que Magnolia pour sa compagne Fiona Apple. Plaisir des yeux et des oreilles, c'est aussi pour lui d'exprimer très littéralement son goût pour la comédie musicale laissé en filigrane dans Magnolia :





DOSSIER PT ANDERSON :

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