30 mars 2018

Le Cinéma de Roberto Rossellini I. 1945-1948

Roma città apperta (Rome, ville ouverte), 1945
Un film qui me laisse complétement interloqué par le destin tragique de ses personnages, la subtilité et la richesse du scénario (co-signé par Fellini) et l'inspiration de la mise en scène. Situant son film dans la réalité et le présent les plus immédiats, Rossellini a su trouver le ton juste. Inquiet et léger au début — on y relévera même quelques notations comiques liés notamment à la figure du prêtre — le ton du récit va devenir de plus en plus sombre jusqu'à culminer dans l'horreur. Cette progression amène à une dernière demi-heure qui laisse le spectateur vraiment bouleversé. Il faut voir comment le réalisateur nous fait éprouver la violence des tortures en recourrant à des ellipses qui ne minimisent en rien leur caractère atroce, au contraire. Et puis cet inoubliable dernier plan qui nous montre les enfants redescendre, soudés, vers l'horizon de la ville, symboles de l'avenir d'un pays à reconstruire.

Par son courage et sa dimension romanesque, le film se montre incroyablement audacieux, bien moins frileux que le cinéma français dans sa capacité à braquer le regard sur le complexité de sa propre Histoire. On peut gloser autant qu'on veut sur la théorie du néoréalisme, mais les conditions matérielles précèdent ici les intentions. Quand Rossellini tourne Rome ville ouverte, l'Italie est en ruine et il la filme dans sa plus brûlante actualité. Techniquement le tournage en studio est tout simplement impossible, construire des décors coûte cher, de même que payer des acteurs. La caméra n'a pas d'autre choix que de descendre dans la rue, au cœur d'un pays qui a vécu autant de drames que d'histoires dignes d'être racontées. Bref cette esthétique se lie avant tout à une nécessité matérielle. Vues les conditions de tournage, le matériel ne pouvait être de bonne qualité, Rossellini bricole avec des bouts de pellicule glanés ça et là. Le résultat donne l'impression d'assister à l'Histoire en marche. Tout est vrai, mais la vérité est un mensonge.




Paisa', 1946
Une oeuvre admirable construite en six épisodes, témoignant déjà de ce goût si particulier des Italiens pour le film à sketch. Mais contrairement à la majorité de ce type de production, Paisa' ne m'a jamais semblé souffrir d'un déséquilibre. Chaque sketche est aussi différent que pleinement complémentaire, l'ensemble aboutissant à un modèle de cohérence et de justesse. Fellini est ici encore présent, assistant Rossellini au scénario et à la mise en scène.

Paisa' fait le constat implacable et honnête d'un espace et d'un temps précis : l'Italie au temps de la Libération. De segment en segment, la caméra du cinéaste remonte le pays et dresse un portrait assez large du paysage italien face aux soubresauts de l'Histoire. Des marécages du Pô à la Sicile, de Naples à Rome, en passant par Florence, Rossellini filme autant de situations qui se lient à cette période particulière dans une guerre, tant du côté de la population que des armées, ennemis et alliés. Comme dans Rome ville ouverte et Allemagne année zéro, on reste estomaqué par cette impression de vérité, de captation de faits quasiment dans leur actualité la plus douloureuse, et par l'authentique richesse cinématographique de l'ensemble, des personnages, des séquences et de leur mise en forme, où la dimension documentaire ne se fait jamais au détriment de la justesse romanesque et même de la poésie. Superbe.





Germania anno zero (Allemagne année zéro), 1948 
Film impressionnant par son refus total des artifices. Tournant en Allemagne, en langue allemande, Rossellini ne cherche ni les facilités ni le confort, osant s'intéresser au destin des vaincus. Il dresse avec une acuité sidérante le portrait d'une enfance, d'une époque, d'un peuple, mélangeant le drame — la trame narrative du film, extrêmement concise — et le réalisme documentaire avec ces prises de vues dans les ruines de Berlin, d'une valeur inestimable. Le spectateur assiste fasciné à cette lutte pour la vie au milieu du chaos. Comment ne pas être étreint par l'émotion, lorsqu'on voit le jeune Edmund, gamin entouré d'horreur et de desespoir, retrouver le temps d'une parenthèse des gestes et des jeux d'enfants, et se demander s'il en a encore le droit. 

Un film digne, intelligent et évidemment profondément triste. Peut-on être plus en prise avec l'actualité, percevoir à ce point le poids du passé, les défis du présent et les incertitudes du futur ? Je ne vois pas d'équivalent à ce qu'a réussi ici Rossellini, et si le film a tant tourné dans les classes d'Histoire c'est à mes yeux à juste titre.

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