10 avril 2018

Le Cinéma de Roberto Rossellini III. 1954-1959

Viaggio in Italia (voyage en Italie), 1954
Film fondateur d'une écriture cinématographique moderne. Le réalisateur s'affranchit des exigeances et des règles dramaturgiques, invente un langage inédit grâce à une méthode ou une absence de méthode qui tiendrait presque de l'impro jazz. J'ai rarement eu autant l'impression de plein construit sur du vide, de mise en scène pensée sur la révélation de l'invisible. Et la lecture est d'une limpidité, d'une grâce profonde et belle. Le trouble qui s'empare de Bergman et de Sanders lorsque ce dernier revient de nuit, après plusieurs jours passés à Capri loin de sa femme, se communique pleinement au spectateur. 

Rossellini parvient à pleinement retranscrire l'intimité du couple jusque dans des scènes de foules. Même lorsque les personnages sont noyés lors de soirées mondaines, courtisés ou courtisans, on ressent comme un fil invisible qui continue de les relier l'un l'autre. Jouant sur le choc des cultures, Viaggio in Italia permet enfin à Ingrid Bergman de s'exprimer en anglais, tandis que les personnages italiens conversent avec elle avec leur accent bien dépaysant. Et j'adore ces détails complètement anodins en apparence, comme lorsque Bergman s'efforce maladroitement d'enrouler ses spaghettis autour de sa fourchette.




Angst (La Peur), 1954 
Dernier film qu'aura tourné Roberto avec Ingrid Bergman, en Allemagne et en allemand, adaptant une nouvelle de Stefan Zweig. La "peur" du titre, c'est celle de la femme adultère face à son mari, courant après ses mensonges tandis qu'une rivale la fait chanter. Avec ce faux polar, Rossellini scrute au plus près les bouleversements des visages, révèle la cruauté de ces jeux d'adulte. Rossellini va à l'essentiel et pourtant le drame nous est donné dans toute sa complexité, et toute son absurdité. La scène finale est un sublime moment.

Le film est un sommet d'épure, glaçant dans sa forme comme dans ses péripéties. Certaines images et situations donnent l'impression de sortir d'un mauvais rêve, sentiment bien renforcé par la partition de Renzo Rossellini, riche en percussions. La caméra semble ne jamais lâcher ses personnages. Quasiment chaque scène est filmée en un seul plan, aux mouvements savants, donnant une force incroyable aux performances des acteurs. Un très grand film, assurément, achevant un cycle de cinéma unique et essentiel. Détail amusant, l'apparition éclair de Klaus Kinski, poète déclamant ses vers sur l'estrade d'un cabaret.




ll Generale Della Rovere (Le Général Della Rovere), 1959
Remarquable film. Il faut reconnaître que Rossellini a bénéficié ici d'un formidable scénario, à la fois très simple (presque théâtral puisqu'il s'agit de jeux de masques) et très riche par ses pistes de réflexion. On passe presque du polar au film de prison, mais c'est avant tout le chemin vers la grâce que filme une nouvelle fois le cinéaste. Le film trace le portrait d'un homme, observé méticuleusement, presque "entomologiquement" — donc impitoyablement. On assiste au destin tragique de cet escroc, profiteur de guerre, soit un crime bien ignoble dissimulé sous les atours du beau-parleur séducteur. De Sica incarne merveilleusement ce personnage très dérangeant par son ambivalence, avec une sorte de candeur dans l'immoralité qui fait qu'on se retiendrait presque de le juger. 

C'est pourtant un tricheur presque de nature, puisque son dossier nous apprendra qu'il a commencé très tôt. De pathétique il deviendra magnifique en finissant par endosser le destin d'un autre, par se hisser à la juste hauteur, presque contraint, dernier sursaut d'une humanité dont il s'était jusqu'ici bien passé. Comme si paradoxalement, enfin pris au jeu il n'était plus possible pour lui de tricher.

Les plans de rue, la prison sont des décors de Cinecittà, et il y a une certaine bizarrerie à voir un Rossellini tourné en studio, comme pour appuyer le fait qu'on ne s'inscrit plus dans le néoréalisme (déjà loin). Mais on n'est pas pour autant dans la fable distanciée. Le cinéaste se montre au contraire soucieux de peindre des personnages aux préoccupations très concrètes, jusque dans cet officier nazi qui n'a rien du méchant de cinéma, dénué au contraire de sadisme, et presque désireux d'en finir au plus vite avec une situation qui ne le ravit pas. Ici encore, il est toujours question du sens, voire de la nécessité de l'engagement, illustré par des scènes très fortes, telle celle des prisonniers réunis dans la cellule et s'angoissant de ce qui les attend, interrogeant leur conscience, nous renvoyant le miroir de notre condition.


DOSSIER ROBERTO ROSSELLINI :

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