23 avril 2016

R.W.F. teil 1 (1966-1971)

Par curiosité, j'ai été lire ce que Jacques Lourcelles disait de Rainer Werner Fassbinder (1945-1982) dans son Dictionnaire des films (Robert Laffont, coll. Bouquins). Et je n'ai pas été déçu, puisqu'il l'apprécie autant que Rohmer. Une seule entrée (Le Droit du plus fort), prétexte pour résumer ainsi la filmographie du Munichois :

« L'œuvre de Fassbinder, abondante, bâclée sous son apparente rigueur, exprimant toutes les idées reçues de l'époque, est comme le "Café du commerce", lugubre et plein de courant d'air, de ce vingtième siècle finissant. Les générations futures y verront peut-être un document sociologique, mais rien n'est moins sûr. »

Rien n'est mois sûr en effet... Acteur, scénariste, dramaturge, metteur en scène, producteur, décédé à 37 ans, il laissera derrière lui vingt-cinq longs-métrages de cinéma tournés sur une douzaine d'années, plus d'une dizaine de téléfilms, sans compter les pièces de théâtre. J'adore son cinéma avec lequel le spectateur finit par se sentir en terrain familier : récurrences des figures de style, goût de la provocation, fidélité d'une troupe d'acteurs et d'une équipe technique. Débordante et faisant souvent avec les moyens du bord, son œuvre ne semble pour autant jamais entraîner d'essoufflement dans l'inspiration. Fassbinder excellait à mélanger les tons et c'est ce qui rend ses films constamment surprenants, mais surtout accessibles.




Der Stadtstreicher (Le Clochard), 1966
Un des tous premiers essais de Fafa, tourné avec trois sous et quelques amis. C'est une histoire quasi muette et ouverte à l'onirisme. On y suit un bonhomme dans une étrange balade à Munich, qui l'amène à se retrouver avec un flingue entre les mains. On apprécie déjà un étonnant travail sur le son, et un superbe noir et blanc joliment nuancé. Déjà prompt à passer de l'autre côté de la caméra, le réalisateur s'y offre une petite apparition.





Das Kleine Chaos (Le Petit chaos), 1967
Autre court-métrage qui cette fois laisse entrer davantage d'idées, sans se soucier de les canaliser. Fassbinder y opère une dévitalisation savoureuse des codes du film noir, avec ce trio de colporteurs qui séquestrent une femme pour lui tirer son fric. On s'y amuse d'autant plus que le réalisateur, interprétant l'un des bad boys de la bande, annonce à la fin qu'il va profiter de cet argent... pour aller au cinéma. Le tout sur fond de musique pop qui achève de donner à l'ensemble des airs de récréation.





Der Amerikanisches Soldat (Le Soldat américain), 1970
Un régal que ce faux film noir, emballé dans un superbe noir et blanc aux ombres particulièrement profondes. « Il ne se passe jamais rien en Allemagne », dit le protagoniste, ex-GI ayant servi au Vietnam et venu faire le tueur à gages à Munich. Alors Fassbinder invente pour lui des histoires, à partir de matériaux ramenés d'Outre-Atlantique : le film noir avec ses femmes-objets tout juste bonnes à se prendre une mandale ou à s'entendre dire « ta gueule ! », des types au chapeau mou, des inserts de Batman ou Clark Gable. D'une liberté totale, expérimentant avec une fraîcheur digne des débuts de la Nouvelle vague française, le film s'autorise à moquer le mélodrame (la serveuse qui se poignarde d'amour et tout le monde s'en fout), et fait porter aux personnages allemands les noms de Lang ou Murnau.

Persistant dans son goût presque potache de la provocation, Fafa s'amuse à titiller les censeurs, filmant des cartes de poker porno ou la nudité totale des personnages lors d’une scène intime. Scène dont je cherche encore la raison d'être, qui nous montre la serveuse, face caméra au coin du lit, raconter pour elle seule — et le spectateur avec elle — l'histoire d'Emmi et Ali, sujet d'un film à venir quatre ans plus tard, Tous les autres s'appellent Ali. Constater la présence de toute la bande de l'Antiteater, pour des apparitions aussi brèves qu’énigmatiques (savoureuse composition d'Ulli Lommel grimé en gitan), participe également au plaisir pris face à ce film plein de jeunesse. Enfin, génial dernier plan-séquence avec son ralenti tout à fait inattendu (l'homme qui roule au sol avec le cadavre de son frère, la mère déjà en deuil qui contemple la scène, et Franz l'ami d'enfance rattrapé par la nuit du bitume). Et Peer Raben, le compositeur attitré de Fafa, compose une très belle ballade pop qui vient rythmer le film et distiller au cœur du récit une mélancolie latente sans laquelle je ne pense pas que l'émotion passerait.




Rio das mortes, 1971
Clairement fauché et à coup sûr faisant partie de ses films tournés en une poignée de jours, il s’agit ici de son premier en couleurs. Un conte moral qui parle de la jeunesse allemande des 70’s, du monde du travail, du désir d’utopie (symbolisé ici par le Pérou, que veulent rejoindre à tout prix deux potes d’enfance), le tiraillement entre le confort bourgeois et la revendication de ses droits (notamment ceux des femmes). Conte moral mais aussi cruel, car l’ironie est de tous les plans, l’artificialité des situations et du jeu des acteurs étant ici poussée assez loin. 

Il faut quand même que ceux qui ont des a priori concernant le cinéma de Fafa le sachent : ce regard caméra plein d’ironie sur ses personnages fait qu’on s’amuse beaucoup devant ses films. Le cinéaste a le sens de l’humour et en même temps qu'il nous déroule sa fable au fond assez triste, il s’amuse avec les clichés du drame et de l’amour, ce qui donne parfois de très belles scènes amoureuses entre Hanna Shygulla et son Jules, où le summum du drame est atteint lorsque ce dernier renverse par maladresse une salière... La dernière bobine témoigne à ce titre d'une vraie volonté de sabotage, avec un monologue volontairement inintéressant qui dure incroyablement longtemps alors que l’émotion du spectateur est à son comble et qu’il guette le dénouement. La toute fin elle-même, déjouant une nouvelle fois l’attente, n’en est alors que plus forte, et on se rend alors compte que les personnages qu’on a suivi depuis le début, loin d'être des pantins, ne manquaient pas d’âme.


DOSSIER RAINER WERNER FASSBINDER :

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