30 juillet 2015

Rétrospective Robert Aldrich (1972-1981)

Les premiers films du gros Bob (sa glorieuse décennie des 50's) demeurent aujourd'hui encore d'authentiques pépites qui ne doivent cependant pas faire d'ombre à sa dernière période où il signa des œuvres tout aussi impressionnantes. Franchement incompris par la critique d'alors, tous ces derniers films osaient les sujets les plus risqués tout en parvenant à les magnifier en d'inoubliables moments, précisément parce que ce thématiques convenaient au réalisateur, parce qu'il saivait en puiser à la fois les potentialités cinématographiques et narratives.



Ulzana's raid (Fureur apache), 1972
Western complètement désabusé avec le toujours fidèle Burt Lancaster ici au bout du rouleau, en vieux scout au regard perdu. Même la musique de Frank DeVol semble à côté de ses pompes avec ses morceaux country guillerets qui collent mal avec le ton sombre des événements. Tout cela abouti à un film assez singulier qui détonne lui-même pas mal avec le genre tel qu'on pouvait le concevoir dans les 70's. Le western entrait alors dans une démarche démystificatrice qui, si elle a donné de très grands films, ne cherchait pas pour autant l'objectivité (Little big man, Soldier blue). Le scandale qu'a connu Ulzana's raid a sa sortie montre bien que son propos n'était pas trop au goût du jour. Mais vue la réputation que se payait Aldrich en ce temps-là, comment s'en étonner ? Le réalisateur propose ici une vision du conflit Blancs/Peaux-rouges sans angélisme ni idéalisme. Les motivations des Indiens sont justifiées par leur nature de guerriers opprimés. Privés de leur liberté au sein des réserves, ils basculent ici dans une sauvagerie sans appel, histoire de se donner l'impression qu'ils n'ont pas perdu tout lien avec leurs racines. Leur violence, incroyablement rendue alors que souvent elliptique, ne peut être comprise par le jeune lieutenant qui reste bloqué sur une vision chrétienne de l'humanité. Cette vision très ouverte qui évite avec courage de tomber dans les clichés m'apparaît finalement tout à fait proche de Apache et de son protagoniste indien peu aimable. La présence de Lancaster dans un rôle miroir n'est sans doute pas fortuite.

Très modeste dans ses moyens, presque intégralement tourné en extérieur et mis en scène sans trop de stylisation, le film évacue volontairement le spectaculaire. Ainsi la confrontation tant attendue entre le détachement de cavalerie et les Indiens sera repoussée jusqu'à la fin, instaurant un climat d'apocalypse imminente et inéluctable, et la victoire sera sans gloire. La brutalité voire l'absence de transition dans les scènes de la première demi-heure m'ont fait me demander si le métrage n'avait pas subi des coupes, tout au moins dans son édition DVD. Ce ne serait pas la première fois chez Aldrich, ni la dernière. Le générique de fin mentionne notamment le rôle de la femme indienne de Lancaster alors que je ne l'ai pas vue de tout le film (elle n'est qu'évoquée).




The Emperor of the North Pole (L'Empereur du Nord), 1973
Ici tout n'est que suie, sueur et sang. Suspense géré de main de maître, mise en scène au cordeau, atmosphère à la Jack London. Aldrich livre un imparable film d'aventures tourné dans les superbes paysages de l'Oregon, Nature sauvage qui rend presque dérisoire l'agitation des humains. 

Au-delà de l'incroyable bagarre Ernest Borgnine Lee Marvin, brutale et spectaculaire comme sait si bien les filmer Aldrich, le film offre un portrait assez inédit et sensible de l'Amérique de la Grande Dépression, avec ces personnages de vagabonds du rail qui connaissaient tous les bons plans pour traverser le pays de long en large. Keith Carradine tout jeunôt est très bon dans le rôle du disciple.




The Longest yard (Plein la gueule), 1974
Aldrich mixe film de prison et film de sport dans un spectacle violent et bourré d'énergie. Un sujet en or qui lui permet de faire preuve une nouvelle fois de son talent à filmer la vitalité brute des corps et des esprits. Castré de sa moustache, Burt Reynolds rayonne. La façon dont son personnage est caractérisé dans la scène d'ouverture est exemplaire, vieille gloire de la testostérone devenu gigolo assumé ayant abandonné toute dignité. 

Les crapules de la prison (gardiens comme détenus) n'ont rien à envier aux Douze salopards, et le match final, quasiment en temps réel, ne laisse pas un souffle de répit au spectateur, annonciateur en cela du magnifique climax équivalent de ...All the marbles.








Hustle (La Cité des dangers), 1975
Bob retrouve Burt et signe ici un polar seventies incroyablement désabusé, constat glaçant de la corruption morale gangrénant tous les échelons de la société californienne. Malgré son atmosphère peu reluisante et sa profonde amertume, le film mélange la tendresse au désespoir. Il possède un rythme étrangement posé, s'attardant sur les relations entre les personnages. La lassitude du héros se ressent ainsi davantage, écœuré par une enquête qui l'amène à plonger son nez dans les bas-fonds, n'aspirant qu'à abandonner ce monde avec sa blonde. 

On peut voir dans la présence de Deneuve une sorte de reconnaissance du réalisateur aux critiques français de la Nouvelle Vague qui l'avaient célébré. De nombreux éléments du récit témoignent encore d'une réelle volonté de faire un film à l'européenne, l'Europe devenant un possible eldorado. On notera quand même une impardonnable censure de la version française qui escamote éhontément la profession de call girl de luxe du personnage de Deneuve, le privant ainsi d'une dimension essentielle à sa compréhension.




Twilight's last gleaming (L'Ultimatum des trois mercenaires), 1977
Atrocement mutilé au montage par les producteurs allemands à sa sortie. En l'état, et c'est génial de le constater, c'est un film passionnant et imprévisible, démarrant comme un film d'action bien tendu avant de dévoiler son jeu en basculant brillamment dans la politique fiction. Manifestement alerte et inspiré, Aldrich utilise des effets de split screen pour renforcer le sentiment de paranoïa, avec cette base militaire truffée de caméras.

Avec son argument de chantage nucléaire, le film cible avec une audace époustouflante les mensonges gouvernementaux, la manipulation médiatique, mettant en scène un Président américain lui-même victime de ses conseillers. Rien qui prête à la rigolade. On retrouve encore ce ton désabusé si propre aux années 70 auquel Lancaster colle encore une fois parfaitement, jusqu'à un final glaçant.




The Choirboys (Bande de flics), 1977
Un excellent film, vraiment intéressant dans son mélange des tons. En forme de chronique, le récit ne se focalise pas sur un personnage mais sur plusieurs membres d'un commissariat, selon une écriture finalement guère éloignée des séries télévisées. Les flics traitent les maux d'une société urbaine à laquelle ils appartiennent eux-mêmes. Aldrich ne dissimule rien de certains de leurs comportements parfois indignes ou révoltants, en même temps qu'il parvient à nous les rendre à l'occasion émouvants. Aucun manichéisme n'est à l'œuvre, c'est même souvent franchement glauque. À l'inverse, certaines séquences sont très drôles, toujours filmées avec cette fièvre qui caractérise le cinéma du gros Bob. Débarassé de tout cet arrière-plan socio-politique, le film anticipe d'une certaine manière la série des Police academy.

Méchamment descendu par la critique, Aldrich étant alors taxé de vulgaire et d'obscène, c'est pourtant une œuvre tout à fait marquante, et il est très intéressant de la rapprocher par son approche d'un métier du magnifique The New centurions (Les Flics ne dorment pas la nuit, 1972) de Richard Fleischer (adapté d'un précédent roman de Joseph Wambaugh) ou des films de flics de Sidney Lumet.





The Frisco Kid (Un Rabbin au Far West), 1979
Vu dans une VF absolument ridicule, où pas une seule voix — Gene Wilder est doublé par un Muppet qui tente de prendre l'accent yiddish — pas une seule intonation ne semblait juste, rendant vraiment le spectacle pénible. J'ai eu de plus l'impression que le film avait subi un violent charcutage. Je veux bien qu'Aldrich s'adonne au montage à la serpe, mais là les séquences s'enchaînaient un peu trop sans transition : du jour à la nuit en quelques secondes, d'un camp d'indien à un monastère puis à la ville. Connaissant les conditions de production dans lesquelles le cinéaste s'est souvent débattu, ça ne m'étonnerait pas que ce film lui aussi ait subi quelques coupes franches. Il n'est pas inintéressant de savoir que le scénario avait été confié huit ans plus tôt à Mike NicholsJohn Wayne devant y tenir le rôle du cowboy !

En dehors de ces aspects quand même très gênants, je suis néanmoins parvenu à deviner un très beau récit d'amitié avec ce véritable prototype du buddy movie qui repose sur la classique confrontation entre deux cultures. C'est l'histoire d'un Rabbin débarqué de Pologne pour rejoindre San Francisco en pleine ruée vers l'or. Il vivra de nombreuses aventures en traversant tous les États-Unis, se fera arnaquer, capturer par des Indiens, et subira la compagnie d'un cowboy (Harrison Ford) dont il ne sait pas encore qu'il est dévaliseur de banques (en redigeant ce pitch, je réalise que Shanghai kid n'en est que le remake). Le duo est vraiment très sympathique et subtil, sans recourir aux gros gags trop attendus. Évidemment balisé, le récit ménage heureusement d'amusantes surprises. Wilder ne peut ainsi voyager à cheval les jours de shabbat, même s'il est poursuivi par des types qui veulent le pendre, et son attachement à sa Torah le sauvera des Indiens. Dans son rôle de fanfaron droit échappé de Star wars, Ford devient progressivement de plus en plus protecteur avec son compagnon, même s'il le met souvent dans le pétrin, avant de lui redonner la foi dans un final assez étonnant où on ne sait jamais si on est dans la comédie un peu grotesque ou juste dans un portrait profondément humain. Les paysages sont très joliment photographiés, et le toujours fidèle Frank DeVol trouve l'occasion de mixer les mélodies yiddish avec les instruments country sur des rythmes indiens.




...All the marbles (Deux filles au tapis), 1981
Le dernier opus du réalisateur est un film plein d'une énergie et d'une fougue qui doivent finalement assez peu à la conscience d'une fin, au besoin d'une communication définitive, à la notion de « testament cinématographique ». Il y est question de catch féminin, sujet ultra-risqué puisqu'on imagine tout de suite quelque chose de racoleur. On aurait bien tort puisque ...All the marbles est un film enthousiasmant, bouleversant et plein d'humanité, portrait très touchant de l'Amérique provinciale et de ses losers magnifiques. 

Preuve qu'il n'existe pas de mauvais sujet, Aldrich parvient à respecter profondément ses personnages, sans rien dissimuler du pathétique de certaines situations dans lesquelles ils sont plongés. Peter Falk en entraîneur soucieux de dignité est extraordinaire. Et qui plus est, là encore la mise en scène des combats est prodigieuse d'efficacité. Dépassant le match final de The Longest yard, la dernière demi-heure est un affrontement en temps réel dont la tension est si palpable qu'elle laisse KO le spectateur.




23 juillet 2015

Rétrospective Robert Aldrich (1954-1967)

On aurait aimé pouvoir partager la stupéfaction des spectateurs qui virent débarquer en salle les premiers films de Robert Aldrich (1918-1983). Plongeons ensemble au cœur des années cinquante : Hollywood vit les derniers instants de son âge d'or, la télévision concurrençant violemment le système des studios. Et voilà que sur les écrans déboule coup sur coup une poignée de films malpolis, au ton diablement neuf. Les critiques français s'enthousiasment et le réalisateur se voit bientôt affectueusement affublé du surnom de « gros Bob ». 


Apache (Bronco Apache), 1954
Apache fait partie de ces westerns, assez rares encore, qui tentaient au début des 50's de renouveler les attendus du genre, de proposer une vision plus réaliste du Far West et des Indiens en particulier, longtemps cantonnés au rôle de méchants de cinéma. Broken arrow (La Flèche brisée, 1950) de Delmer Daves offrait un ton pacifiste et pro-indien qui reste aujourd'hui encore étonnant ; Run of the arrow (Le Jugement des flèches, 1957) de Samuel Fuller impressionne toujours par son atmosphère de cruelle désillusion.

Aldrich parvient ici à un surcroît d'audace et d'anti-convention avec ce film pro-indien mais pas pacifiste pour autant puisqu'il se permet de prendre pour héros un Peau-rouge méchamment irréductible. Il évite ainsi la caractérisation idiote et malhonnête du "bon sauvage". Grimé en apache assoiffé de survie, Burt Lancaster risquait le ridicule. Il se révèle tout simplement impérial et l'on n'oubliera pas de sitôt le parcours douloureux de son personnage.




Vera Cruz, 1954
Bonheur que ce western qui bafoue la morale avec un sourire éclatant, et où tout le monde — qu'il soit homme ou femme — trahit tout le monde, motivé uniquement par l'appât du gain. Le spectacle est coloré et réjouissant, et le dynamisme de la mise en scène fait des merveilles, à l'image du duo Lancaster / Cooper dont la complicité ne repose que sur l'intérêt personnel, annonçant en cela les cowboys de Sergio Leone.

Avec Apache et Vera Cruz tournés dans la foulée, Aldrich faisait souffler un vent frais sur le western : un indien comme protagoniste dans l'un, deux crapules dans l'autre, une tragédie sans compromission pour l'un (même si la fin fut modifiée), un grand récit picaresque pour l'autre. Deux classiques indémodés.







Kiss me deadly (En quatrième vitesse), 1955
Chef-d'œuvre du polar américain, ou l'art de la série B porté à son comble sous la forme d'un cauchemar fantastique.

C'est certainement l'un des films les plus géniaux du réalisateur, surprenant dans ses moindres détails dès sa magistrale séquence d'ouverture. Le héros n'est rien de moins que l'un des plus ignobles personnages de détective privé. Une mise en scène aux effets baroques absolument jubilatoire, des trognes étonnantes (Jack Elam), de la poésie, du bizarre, et puis une fin mythique. Un chef-d'œuvre, vous dis-je.














The Big knife (Le Grand couteau), 1955

Aldrich porte à l'écran la pièce de Clifford Odetts, sorte de fable qui met à nu les rouages de la société du spectacle. Et la charge est particulièrement féroce. Il est évidemment question ici des concessions de l'art face à l'argent et au pouvoir. Hollywood apparaît comme un système mafieux, où les stars ne sont plus qu'une propriété marchande. L'origine théâtrale du matériau est respectée sans pour autant aboutir à un film statique. L'unité de lieu lieu est ainsi filmée par une caméra formidablement nerveuse qui s'efforce de capter avec rage les atermoiements de personnage qui semblent comme prisonniers d'une toile qu'ils ont eux-même contribué à tisser.

C'est l'occasion pour Aldrich de démontrer à quel point il est un grand directeur d'acteurs, tant il pousse à chaque film ses interprètes à donner le meilleur d'eux-mêmes. Rod Steiger est ici méconnaissable, tandis que Jack Palance livre une performance poignante (et il est à peu près certain qu'en lui confiant dix ans plus tard  le rôle du producteur dans Le Mépris, Godard souhaitait faire écho à film d'Aldrich). A l'instar d'un Billy Wilder, le réalisateur reviendra à plusieurs reprise règler ses comptes avec la machine hollywoodienne, consacrant plusieurs film à son univers impitoyable.




Attack ! (Attaque), 1956
Premier film de guerre pour le cinéaste, cette fois encore tiré d'une pièce de théâtre. Avec une telle source, il était évident que l'aspect psychologique prendrait le pas sur la dimension spectaculaire. Avec très peu de moyens, une cabane et deux tanks, Aldrich ne trahit donc pas les intentions de la pièce, renforcant au contraire l'atmosphère étouffante de ce qui se révèle être un véritable pamphlet antimilitariste.

On devine un tournage expéditif, contraignant la caméra à travailler sans raffinement, ce qui donne au film une hargne tout à fait dérangeante. Jack Palance y est une nouvelle fois parfait.











Sodom and Gomorrah (Sodome et Gomorrhe), 1963
Découvert dans une copie aux couleurs indéterminables dont la VF risible ne dépareillait pas avec la débilité des dialogues. Quand Aldrich s'essaie au peplum, cela donne une catastrophe cinématographique que je rapprocherai du calamiteux Solomon and Sheba, le dernier film de King Vidor qui au moins avait comme excuse des difficultés de tournage, de santé et de casting. On peut y voir une forme d'académisme décadent, le film représentant bien cette fin de l'âge d'or hollywoodien, passé de la superproduction prestige aux coproductions avec l'Italie, tentant de sauver les apparences mais se foutant désormais du prestige. Parfois crédité en tant que coréalisateur, Sergio Leone aurait en fait juste servi de caution. Assistant expérimenté, le futur réalisateur du Colosse de Rhodes avait en quelque sorte les clés de Cinecittà.

Paresse désolante de la mise en scène, aberrations incompréhensibles, scénario bien avare en orgies et débauche,  malgré les promesses du sujet. Rien de franchement troublant, même pour l'époque. Seule la grande scène de bataille contre les Zélamites parvient à réveiller un peu l'attention grâce à un montage bien nerveux, compilant sans doute des plans tournés par une seconde équipe. Malgré tout, on est heureux de constater que Stewart Granger n'a rien perdu de son charisme, et Pier Angeli est vraiment charmante (surtout doublée par ma Sorcière bien-aimée !). Bref, une parenthèse bien dispensable dans la carrière d'Aldrich.





Flight of the Phoenix (Le Vol du Phénix), 1966
Un des meilleurs films de survie que j'ai pu voir, solide dans sa narration, appréciable par son minimalisme. On est embarqué dès l'ouverture à bord de l'avion, sans préambule artificiel, et pendant plus de deux heures la caméra d'Aldrich ne s'éloignera jamais à plus de 100 mètres de la carlingue. Il est question de courage et de lâcheté, de volonté et de désespoir, de folie et de doute. Le scénario exploite bien toutes les situations qui peuvent se présenter dans un tel environnement, en évitant les personnages trop caricaturaux, et c'est constamment passionnant. Ici chacun a sa part d'ombre et de lumière (à l'exception d'une vraie ordure qu'Aldrich fait disparaître dès le crash !). On a des séquences d'une grande violence et des affrontements psychologiques magistralement mis en valeur.

Film de mecs, Flight of the Phoenix donne lieu à de grands numéros d'acteur. Les comédiens sont tous géniaux. Borgnine a de belles scènes, Attenborough est très touchant, George Kennedy a sa bonne tête, et c'est plutôt sympa de voir ces types avoir la gueule de plus en plus cramée par le soleil et mal rasée. La musique de Frank DeVol est incroyablement en accord avec le rythme du film, soulignant bien les différentes émotions et péripéties. Un vrai classique.





The Dirty dozen (Les Douze salopards), 1967
Je crois que ça a été un peu le début de l'incompréhension dont a été victime Aldrich, autrefois encensé par la critique. On ne lui a pas pardonné d'avoir explosé le box office avec ce film trop vite catalogué comme film de guerre complaisant voire douteux. 

Pourtant, derrière le spectacle extraordinairement efficace et franchement jubilatoire, derrière le casting prestigieux et formidablement payant, on a quand même un discours parfaitement clair : ce sont des brutes qui sont engagées pour faire la guerre parce que la guerre est un sale boulot qui n'est pas fait par et pour des héros. Un authentique film de guerre ne saurait dont être autrement que brutal. Voilà la clé du film, qu'a très bien su retrouver Tarantino avec ses Inglorious basterds. Gros succès, The Dirty dozen apportera également pour un temps à son réalisateur une nouvelle indépendance et une nouvelle liberté de création.

20 juillet 2015

Le Jukebox du lundi : XTC

Respectés par leurs pairs, les Anglais de XTC, et à leur tête l'énervé Andy Partridge et le délicat Colin Moulding, ont eu une influence considérable sur une quantité de groupes pop dès la fin des années 80. Davantage encore que Blur, leurs plus légitimes enfants furent et restent encore à mes oreilles, The Boo Radleys. Chez nous, L'Affaire Louis'trio une fois revenue de sa Chic planète s'est progressivement laissée aller à assumer également cet héritage, allant jusqu'à faire appel à Colin Moulding en personne pour parfaire certaines de leurs pépites pop. Et Outre-atlantique ça ne m'étonnerait pas que Kevin Barnes s'en revendique pour ses compos d'Of Montreal. Si vous aimez ceux-là, vous ne pouvez qu'aimer leurs modèles. Pour le reste, je ne peux que renvoyer à l'excellent article amoureusement écrit par Philippe Auclair dans l'indispensable Dictionnaire du rock chez Robert Laffont. L'historique du groupe y est précisément décrite, de sa constitution aux conditions de production de chaque album. 

Je tenais juste à établir ici une liste de mes morceaux préférés, si ça peut servir de guide à ceux qui voudraient en savoir plus. Si vous appréciez la pop anglaise aux arrangements tarabiscotés, exécutée par des musiciens virtuoses aux multiples inspirations, il ne faut pas hésiter à y plonger. Ce qui est  très appréciable chez eux c'est que leur talent ne s'est pas tari avec le temps, et que même leurs ultimes disques sont réussis. N'importe lequel des morceaux que je liste ici peut me combler de bonheur dans la seconde, squattant alors ma tête pour un moment, et il m'est particulièrement cruel d'en limiter le choix proposé à l'écoute.



White music (1978)
Marqué par le punk de l'époque, tel que pouvait le pratiquer Talking heads en particulier, ce premier album témoigne d'une énergie brute, au service d'une vraie volonté de fabriquer des titres pop, énergiques et dansants.
- This is pop  (le parfum de l'évidence)
- Statue of liberty  (sorte de rock n'roll fifties en mode punk très amusant)
- Science friction








Go 2 (1979)
Album que je ne connais pas, considéré comme le moins bon, mais dont la méta-pochette vaut le détour (clique pour agrandir).










Drums and wires (1979)
Premier chef-d'œuvre, formidablement homogène et dont je ne me suis toujours pas lassé. On est ici toujours dans cette première veine très punk : production sèche et agressive, interprétation pleine de tension. Mais avec une science de la composition qui plane soudain bien au-dessus des attentes du genre.
- Making plans for Nigel  (leur titre le plus connu)
- Day in, day out  (imparable)
- Limelight  (ou ce qu'auraient donné The Beach boys s'ils avaient été punks)
- Complicated game  (réjouissant d'impolitesse)





Black sea (1980)
Avec cet album, XTC suit un de ses modèles, The Beatles : le groupe cesse la scène et va désormais fignoler ses œuvres savamment en studio. Qui dit nouvelles méthodes de production dit nouveau son, et dès Respectable street le premier titre on comprend qu'on est en train de basculer dans autre chose. L'instrumentation s'est considérablement enrichie, c'est peu de le dire, et la mutation est passionnante.
- General and majors  
- Love at first sight
- No language in our lungs
- Burning with optimistic flames





English settlement (1982)
Surprenant cocktail que ce double album, proposant une variété d'écriture qui est un vrai régal pour l'auditeur. XTC nous propose désormais à chaque nouvel album un véritable voyage, chaque morceau se présentant en quelque sorte comme une redéfinition de leur art, avec une production qui déborde d'idées. Chaque chanson devient un petit opéra en plusieurs mouvements, s'ouvrant selon les besoins à d'autres instruments plus ou moins identifiés, et faisant toujours la part belle aux harmonies vocales. Qu'on est loin de l'inspiration des débuts, le groupe est désormais bien plus proche d'un Burt Bacharach que d'un David Byrne, et parvient même à dépasser les ambitions que rêvait pour lui-même Brian Wilson. Le charme n'opére pourtant pas forcément à la première écoute, mais ça mérite qu'on y rejette ses oreilles attentives.
- Senses working overtime  (petit chef-d'œuvre)
- Fly on the wall  (où XTC surprend avec des sonorités inédites)
- Snowman





Mummer (1982)
- Love on a farmboy's wages
- Great fire
- Wonderland










The Big express (1984)
- Wake up   (qui aurait pu rendre jaloux Peter Gabriel)
- Seagull screaming kiss her kiss her  (indéfinissable)
- This world over
- You're the wish you are I had  (et son refrain très "beatles")











Skylarking (1986)
- The Meeting place  (à la fois chanson et cabinet de curiosité, riche de passionnantes trouvailles sonores)
- Dear god  (vraie perle qui mêle force et fragilité, et qui fut même dans un premier temps écartée de l'album tant il est vrai que son apparente simplicité détonne)







Oranges & lemons (1988)
- The Mayor of Simpleton  (super efficace)
- Merely a man  (et ses réjouissantes trompettes altières)




Nonsuch (1991)
Peut-être leur plus beau disque. Encore un double album bien rempli, contenant son lot de morceaux tantôt follement entraînants, tantôt joliment mélancoliques qui témoignent d'une inspiration et d'une ambition qui impressionnent. On passe d'une atmosphère à l'autre et on tirera évidemment encore plus de plaisir si on accorde au disque une écoute attentive. Tout est bon, difficile de privilégier un sommet plus qu'un autre, mais on pourra si on veut en retenir :
- The Disappointed  (tube absolu)
- Bungalow  (tout simplement sublime, un titre inclassable, mystérieux et majestueux à la fois)
- Books are burning  (parfaite conclusion à l'album)







Apple venus volume one (1998)
Nonsuch représentait un aboutissement. Cet album a beau être tardif, ce n'est pas pour autant qu'il est le signe d'un appauvrissement puisque XTC propose à nouveau ici un disque miraculeux, une véritable merveille, étonnamment aboutie, pour un album que j'ai toujours trouvé insuffisamment célébré tant les morceaux sont là encore incroyablement ciselés. Il est vrai que le groupe est alors brutalement épuré de ses membres, seuls Partridge et Moulding se disputent encore le gâteau, définitivement lâchés par un label qui ne les a jamais jugés suffisamment rentables.
- River of orchids
- I'd like that  (fabuleux d'imprévisibilité et de richesses harmoniques)
- Easter theatre  (pareil)
- Frivolous tonight  (irresistible)
- Your dictionnary





Wasp star - Apple venus volume two (2000)
Plus rock et détendu que le précédent, c'est vraiment là leur chant du cygne, les musiciens ayant plus ou moins cessé de s'entendre. Pourtant la morosité n'est pas de mise. Les compositions sont toujours aussi soignées mais sonnent ici avec une production plus simple, plus immédiate, quasiment live. C'en est même émouvant de finir sa discographie sur un disque à ce point empli de fraîcheur.
- Playground  (témoignage d'une jeunesse éternelle)
- My Brown Guitar 

17 juillet 2015

Polars d'été pas français


James Ellroy, Le Dahlia noir, 1987
Premier et jusqu'à présent seul Ellroy que j'ai lu. Assurément un très bon roman. J'ai beaucoup aimé le ton, l'atmosphère et les tourments des différents personnages qui sont formidablement bien travaillés et convaincants. Le bouquin a toutes les apparences du polar classique avec l'exploration des bas-fonds de la société et des âmes, tout en proposant une approche très originale, dont je ne saurais vraiment dire à quoi on la doit. En tout cas, ça fait bien illusion parce que je pense quand même que la résolution de l'affaire est un peu tarabiscotée pour paraître vraisemblable, mais ce n'est pas forcément ce que j'attendais non plus.

Intéressant aussi de constater que le film de De Palma ne m'a pas du tout parasité la lecture comme je le craignais. J'ai surtout réalisé que je n'en ai gardé quasiment aucun souvenir, si ce n'est une poignée de scènes cinématographiquement très fortes. Et je n'ai rien contre Josh Hartnett acteur, mais dès les premières lignes on réalise qu'il est très loin du Bleichert du roman. Cela dit, l'édition 2006 du bouquin chez Rivages que j'ai eu entre les mains inclut une postface d'Ellroy très intéressante où il loue plutôt la réussite du film tout en revenant sur certaines de ses obsessions personnelles auxquelles son inspiration doit beaucoup.




Patricia Cornwell, Postmortem, 1990
Là encore, découverte d'un auteur à l'intimidante réputation. Forcément, on ne peut s'empêcher d'avoir quelques attentes en abordant une œuvre dont on a entendu parler, dont on s'est fait une idée qui a entraîné notre curiosité. J'espérais donc trouver un polar supra-efficace. Et j'ai finalement eu droit à une enquête pas particulièrement passionnante, ni originale, reposant sur des indices un peu faciles, qui plus est gentiment desservie par l'utilisation d'éléments technologiques qui paraissent bien datés, même si l'auteur faisait certainement figure de pionnière en évoquant dès 1990 la question du piratage de réseaux. 

Consciente que son intrigue ne fera pas tout, Cornwell s'efforce de développer un peu la vie privée de son héroïne, d'en faire un vrai personnage et de poser les bases d'un univers. Peut-être que les aventures suivantes de Kay Scarpetta s'améliorent par la suite, mais ça reste à ce stade relativement peu approfondi et surtout pas du tout touchant, jusqu'à un dénouement tardif qui ne m'a pas non plus fait tressauter. Bref, ni retors, ni malin. Je ne refuserai pas de me plonger à l'occasion dans d'autres opus, mais circonspect quand même.




Iain Pears, L'Affaire Raphaël, 1991
En abordant cette lecture, je pensais lire un roman policier se déroulant à la Renaissance. L'Affaire Raphaël est en réalité le premier titre d'une série de bouquins mettant en scène un bureau d'inspecteurs italiens, chargés d'enquêter sur les vols de tableaux et les escroqueries du marché de l'art. Bonne pioche. On est donc plongé dans le monde des musées, des collectionneurs et des ventes aux enchères, et l'auteur semble assez bien connaître son sujet. 

Le récit est quand même assez généreux en clichés sur l'Italie et les Italiens, l'enquête est truffée de facilités, de béances et de comportements stupides, ce qui fait que la résolution de l'énigme demeure jusqu'au bout assez imprévisible et qu'on accepte quand même de se laisser embarquer. La traduction y est sans doute pour quelque chose, mais j'ai trouvé ça écrit sans aucune saveur. Les titres suivants de Pears sont peut-être plus aboutis. Je reste curieux.



Arturo Pérez-Reverte, Le Tableau du maître flamand, 1990
Un bon polar madrilène en forme de partie d'échec machiavélique et d'analyse iconographique, bien divertissant donc, même si on aboutit une nouvelle fois à un dénouement typiquement tordu. Pérez fabrique un intrigue un peu gratuitement tortueuse, où l'énigme s'épaissit à chaque chapitre, et c'est prenant. 

Mais je crois que j'ai quand même de plus en plus de mal à accepter ce type d'énigmes impossibles dans des romans contemporains. C'est plutôt ce que j'ai envie de trouver dans un Agatha Christie, un Conan Doyle ou un Maurice LeblancMais bon, ça n'enlève heureusement rien à la qualité du récit qui précède l'explication finale, grâce notamment à une très belle écriture.





Alicia Giménez Bartlett, Meurtres sur papier, 2000
Découverte plaisante. C'est apparemment le quatrième volet d'une série mettant en scène une inspectrice de police dans le Barcelone d'aujourd'hui. L'enquête ne passionne pas vraiment en elle-même, mais la mayonnaise finit quand même par prendre grâce à une caractérisation assez peu conventionnelle des personnages. Bartlett évite les clichés du polar, son enquête est pleine de fausses pistes, d'allers-retours et se résout sans chercher des coups d'éclats artificiels. En fait ça se veut plutôt très réaliste, et vu le métier de l'héroïne, c'est évidemment pas très rose. D'autant qu'à l'enquête proprement dite s'ajoutent les tourments de son quotidien. 

L'auteur dessine ainsi une protagoniste assez marrante par sa causticité mais qui est aussi très touchante précisément parce qu'elle n'a pas la science infuse. Ça change de ces flics qui maîtrisent trop bien leurs suspects ou qui sortent des répliques trop spirituelles. Plutôt pas mal, donc, parce que ça déjoue certaines attentes (le polar est parfois un genre trop confortable).




Le Livre sans nom, 2007
Un faux polar "destroy" — si je peux me permettre d'user encore de cet épithète en 2015 — littéralement jubilatoire, aux dialogues constamment réjouissants et inspirés, avec des personnages impossibles et hauts en couleurs. C'est drôle, excessivement violent, et on a tout à fait raison de penser en le lisant au tandem Tarantino/Rodriguez tant les influences  de série B sont partagées. Ambiance frontière mexicaine, bar miteux, motels sans clims,  grosses motos, et compétitions de virilité. 

Le bouquin progresse de façon complètement imprévisible, et réserve son lot de surprises qui font de cette lecture un vrai plaisir. C'est parfaitement inconséquent, un peu comme une bonne grosse blague. Il y a pourtant derrière tout ça un incontestable talent pour aboutir à une écriture nerveuse et un rythme très rock n'roll. Tout laissait penser que les aventures du Bourbon kid seraient sans lendemain, puisqu'on assiste à rien de moins qu'à l'apocalypse sur terre. Et pourtant, sans doute pour répondre au succès du bouquin, l'auteur demeuré anonyme a prolongé le délire dans d'autres titres qui me donnent bien envie.





Arnaldur Indridason, Le Livre du roi, 2006
Divertissant polar. L'écriture est d'une très plaisante fluidité, le suspense plutôt bien maintenu même si ça se résume assez vite à une chasse linéaire aux indices, chaque nouvelle trouvaille conduisant opportunément à une autre (mais on va dire que c'est un peu le principe du genre). 

C'est surtout le fond de l'histoire qui éveille ici le plus l'intérêt, à base de patrimoine culturel et historique islandais. Il y a en effet derrière la course au trésor que propose Indridason, et les impasses dans lesquelles se retrouvent plongés ses héros, tout un pan d'une histoire pénible et pas si ancienne qui est exhumée ici. Mais on retrombe quand même relativement vite dans une recette éprouvée de suspense qui crée des moments aussi haletants qu'amusants, et qui font finalement passer le sentiment du divertissement avant le propos historique.