29 novembre 2017

Le Cinéma de Richard Donner II. 1982-1985

The Toy (Le Joujou), 1982
Après des débuts difficiles, Donner est désormais bien installé dans le système hollywoodien, et ne va dès lors plus cesser de tourner sans se cantonner à un genre spécifique. Après Inside moves (Rendez-vous chez Max, 1980), comédie dramatique où il dirige John Savage et fait débuter David Morse, il se retrouve embarqué sur ce Joujou, remake du premier long-métrage réalisé en 76 par Francis Veber, avec Richard Pryor à la place de Pierre Richard et Jackie Gleason reprenant le rôle de Michel Bouquet. Le film est un triomphe public. Pryor est alors au sommet de sa popularité, acteur de stand up corrosif devenant une valeur sûre du box office, et sur le nom duquel on peut faire porter un film, quitte à ce qu'il le vampirise (Superman III qu'il tourne dans la foulée). 

Ce n'est pas la première fois que le cinéma français inspire Hollywood — Le Salaire de la peur qui offre à Friedkin son chef-d'œuvre — mais il faut reconnaître une accélération de ces remakes au cours des 80's, avec justement au premier rang les comédies signées Veber : L'Emmerdeur transformé l'année précédente par Billy Wilder en le navrant Buddy buddy, L'Homme à la chaussure rouge, Les Trois fugitifs, que Veber viendra lui-même réaliser, et jusqu'au Dinner for Schmucks de 2010. Formule jugée gagnante puisque le succès sera souvent au rendez-vous. Et l'industrie continuera régulièrement à y puiser son inspiration tant dans la comédie (Trois hommes et un couffin, La Totale, Un indien dans la ville, Neuf mois, Mon père ce héros, LOL) que dans le drame (L'Homme qui aimait les femmes, Le Retour de Martin Guerre, Les Diaboliques, Les Choses de la vie...).




Ladyhawke (La Femme de la nuit), 1985
Après le fantastique horrifique de La Malédiction, le fantastique comic-book de Superman the movie, Donner passe au fantastique médiéval. J'ai longtemps fantasmé ce Ladyhawke, son affiche et l'histoire promise par la bande-annonce, que projetait régulièrement le cinéma parisien Le Grand Pavois, salle de quartier refuge de films en fin d'exclusivité. Ma première vision a été bien plus tardive. J'ai ainsi enfin pu apprécier ce conte splendide, plutôt adulte par son traitement et le public visé, et digne de ces récits fantastiques du moyen-âge, tels les lais de Marie de France. Une approche bien différente de celle d'un Ridley Scott qui bizarrement proposait la même année avec son Legend un autre film d'heroic fantasy, épique et visuellement ultra-travaillé, mais aux sources d'inspiration plus récentes (des illustrateurs du XIXe à Tolkien). Le genre connaissait il est vrai un nouvel âge d'or, avec des titres comme Dark Crystal, L'Histoire sans fin, les Conan de Schwarzennegerou encore Taram et le chaudron magique qui tous proposent la recréation d'un monde de merveilles et de ténèbres. La fantasy connaîtra son dernier soubresaut avec Willow, avant de disparaître jusqu'à se voir ressuscitée avec flamboyance par Peter Jackson au début des années 2000.

Le film de Donner est pour sa part un spectacle émouvant et splendide, magnifié par la photographie de Vittorio Storaro, l'un des chefs-opérateurs italiens les plus expressionnistes. Et bénéficie d'une interprétation de premier plan. Pfeiffer est tout simplement parfaite dans son rôle, pleine d'évanescence, fragile tellement son visage paraît pâle et ses yeux pleins de tristesse. Et c'est toujours amusant de mettre en parallèle le rôle de chevalier blanc incarné ici avec panache par Rutger Hauer et celui du pillard bestial qu'il interprète la même année dans le Flesh+blood de Verhoeven. Le duo joue avec un sérieux très premier degré qui se voit régulièrement contrebalancé par la présence délicieuse d'ironie du jeune Matthew Broderick. J'en viens donc à ce qui me désole le plus, l'élément que tous ceux qui ont vu le film savent qu'il est impossible de passer sous silence, à savoir ce rock FM atroce, choix absurdement assumé par le réalisateur, et qui gâche malheureusement toutes les scènes d'action du film sans exception. Dès que Hauer tire son épée, on sait qu'on va grincer des oreilles. Et l'on se prend à rêver d'un fan edit du film, proposant un autre score, plus conventionnel, classiquement symphonique, qui rendrait mieux justice à ce beau titre.




The Goonies (Les Goonies), 1985
C'est la grande époque des productions Amblin', celle vers laquelle tous les rétroviseurs semblent tournés aujourd'hui, avec un Spielberg démiurge auquel le triomphe d'E.T. a donné les coudées franches et qui fait tourner ses protégés en mettant son nom en avant comme argument publicitaire. J'avoue en être resté à mes trop lointains souvenirs de môme (les gadgets rigolos du début, le bisou dans le noir avec la copine du grand frère, un dernier acte limite trauma), et je ne m'avancerai donc pas à exprimer un jugement sur la valeur du film.

Quels que soient ses défauts, The Goonies acquiert aujourd'hui plus que jamais la patine des film emblématiques de cette époque, avec cette façon de faire naître l'aventure au coin de la rue, et d'être en phase avec les attentes de sensations de son jeune public. Tous les ingrédients sont là, du scénario débordant d'idées de Chris Colombus (qui signait Gremlins en cette même période glorieuse), aux effets mécaniques et visuels typiques d'ILM, en passant par le casting de wonderkids : Josh Brolin, Sean Astin, Corey Feldman, Jonathan Ke Quan (le Demi-Lune de Temple of doom), sans oublier l'affiche de Drew StruzanD'ailleurs on s'en fout mais quand j'étais gamin, j'avais côte à côte sur le mur de la cuisine familiale les posters grands formats du Donner, de Mad Max 3 et de Fievel et le nouveau monde. Et j'ai donc pendant des années avalé mes Frosties le nez collé à ces visuels.


DOSSIER RICHARD DONNER :


27 novembre 2017

Le Cinéma de Richard Donner I. 1961-1978

X-15, 1961
Après avoir fait ses armes à la télévision américaine (The Twilight zone, Au nom de la loi, The Man from U.N.C.L.E., Les Mystères de l'Ouest notamment), Richard Donner réalise une poignée de films sans grand succès au cours des années 60. Tout d'abord ce X-15, un docu-fiction sponsorisé par la NASA mettant en scène les exploits de l'avion-fusée X-15, avec Charles Bronson en pilote d'essai et James Stewart en narrateur. Projet bizarre, le film connut une distribution internationale, mais passa néanmoins inaperçu.

Il faudra attendre 1968 pour que Donner réalise son premier "vrai" film de cinéma : Salt & Pepper (Sel, poivre et dynamite), véhicule mettant en vedette Sammy Davis Jr. et son pote du Rat pack, Peter Lawford, qui dut être suffisamment populaire pour justifier d'une suite deux ans plus tard, réalisée cette fois par Jerry Lewis (One more time). Puis ce sera Twinky (L'Ange et le démon), en 1970, une comédie dramatique tournée entre Londres et New York où il retrouve Bronson, et qui ressemble déjà plus à un projet personnel. Film hélas sans grand succès qui contraint Donner à retourner travailler pour la télévision (Les Rues de San Francisco, Kojak), jusqu'à ce qu'enfin il tombe sur un sujet qui lui apparaît comme la chance de sa vie, une opportunité à ne pas rater.




The Omen (La Malédiction), 1976
Enfin découvert ce titre, considéré comme emblématique d'une époque où le cinéma fantastique se plaisait à créer du malaise psychologique avec des marmots, de Rosemary's baby à The Shining, en passant par Audrey Rose. Donner et ses producteurs se retrouvent ici évidemment en quête de la formule à succès de The Exorcist, et leur sujet est plutôt bien trouvé, mais le résultat est loin d'arriver à la cheville du Friedkin. Ça démarrait plutôt bien, le film se montrant remarquablement inventif dans sa mise en scène, ses cadrages, son éclairage et son montage, qui témoignent d'un vrai appétit du cinéaste, d'une volonté de dépasser le cadre bas de gamme de la série B, auquel son budget pouvait le contraindre. Donner opte donc pour une approche plutôt réaliste, se montrant relativement avare en effets chocs et scènes ouvertement fantastiques, pour mieux leur donner un impact maximal au moment où elles surgissent, et en faire des petits morceaux de bravoure d'autant plus grandiloquents et fascinants qu'ils sont portés par une musique hors-norme (et oscarisée) de Jerry Goldsmith, en mode chants grégoriens inversés. Le problème est que ce qu'il raconte ne m'a pas vraiment passionné. La faute en grande partie à un scénario qui fait bientôt le choix de se focaliser sur la minutieuse — mais tellement pleine de trous qu'elle en deviendrait nanarde — enquête autour du monde de papa Peck et de son copain David Warner (très bon) pour aboutir à une conclusion qui ne faisait aucun doute aux yeux du spectateur. Même le moment où Peck doute est vite évacué.

On passe du coup complètement à côté de ce qui me semblait pourtant être le vrai sujet. Sur le papier, The Omen avait tout pour donner un drame déchirant, avec cette idée du mal absolu incarné au cœur de la cellule familiale, dans le corps par nature aimable et innocent d'un enfant, avec par dessus ça l'idée brillante de situer l'intrigue dans le milieu politique. Malheureusement, le film échoue totalement à susciter le moindre trouble, le moindre vertige, notamment à cause de l'interprétation fadasse de la mère par Lee Remick, personnage sans relief, à la platitude des dialogues amoureux du couple, et à un gamin qui joue mal (ou est très mal dirigé, donnant presque l'impression de plans volés), et qui n'a donc aucune présence à l'écran. Même le climax, qui n'est tout de même rien d'autre qu'une scène d'infanticide, est impitoyablement escamoté (mais je crois que Donner n'a pas eu les coudées franches sur ce final). Évidemment, ça aurait été un autre film — et j'ignore si le remake de 2006 exploite mieux cette veine — mais par conséquent, je n'ai guère été emballé par un récit sur lequel le spectateur a trois longueurs d'avance sur les personnages. J'en retiens des bouts de scène, isolément, morceaux brillants (la mort du prêtre, la fouille du cimetière italien, la composition fantastique de la gouvernante). Le plus désolant est que le passage qui m'aura finalement le plus intéressé aura été le tout dernier plan, me donnant presque envie de m'intéresser aux suites réputées médiocres.






Superman the movie, 1978
Chronique précédemment publiée dans ma retrospective Superman au cinéma...



















Superman II, 1978
Alors qu'il le tournait en parallèle du premier volet, Donner se vit dépossédé du projet par ses producteurs. Et c'est le britannique Richard Lester qui reprit, réorienta et acheva ce Superman II tel qu'il sortit sur les écrans et qu'on l'a vu pendant des années. Trente ans plus tard, la Warner offrit à Donner l'opportunité de revenir sur la matière déjà en boîte et de présenter sa version du film, qui s'affirme plus que jamais pensé dans la continuité du premier volet, tant sur le plan de la narration, que du ton. Bien que dissimulant mal son côté un peu bricolée (en reconstituant par exemple des scènes perdues à partir de répétitions filmées, et en conservant quand même des plans tournés par Lester), cette Donner's cut ne manque pas d'intérêt, et c'est quand même assez fabuleux qu'elle ait eu droit à sa résurrection.


Elle permet surtout de constater à quel point l'autre Richard avait de son côté réussi à marquer le film de son empreinte, pour le meilleur ou pour le pire, avant de pouvoir pleinement lâcher son goût pour le burlesque dans le troisième volet. Dans un cas comme dans l'autre, j'avoue que ça reste un film qui ne m'a jamais vraiment passionné, un peu trop en mode remake paresseux et dispensable, n'ajoutant que peu de développements au premier film qui avait déjà tout dit.


DOSSIER RICHARD DONNER :

24 novembre 2017

Histoire permanente du cinéma français, 2003-2004

Tais-toi, Francis Veber, 2003
Après le retour en grâce qui lui offrit Le Dîner de cons (toujours pas vu), Veber tentait sans doute avec ce Tais-toi de ressusciter la formule gagnante de ses buddy movies. Le résultat est absolument navrant, un film qui se voit et qui s'oublie. La faute à une désolante paresse tant dans l'écriture que dans la mise en scène.

Je temporise charitablement cet avis en citant tout de même une scène qui m'avait vraiment fait marrer, mais pour des raisons extra-cinématographiques : lorsque Depardieu et Jean Reno se retrouvent pour la première fois en cellule, je me suis demandé comment ce dernier avait fait pour rester de marbre devant les conneries verbales du premier, qui joue ici le parfait benêt. Le plan-séquence qui nous les montre de face ne trahit aucun frémissement de narine de sa part. J'y vois là sans doute la plus impressionnante performance de Jean Reno à ce jour.




Le Soleil assassiné, Abdelkrim Bahloul, 2003
Le film raconte les derniers jours de la vie de Jean Sénac, poète Algérois qui participa de près à l'Indépendance algérienne avant de finir assassiné en 1973. Berling est comme toujours parfait (c'était l'époque où il savait encore choisir ses films), donnant le souffle nécessaire à la figure du poète sans jamais sombrer dans la naïveté. Bahloul trace ainsi un beau portrait, loin de toute hagiographie, et c'est une des grandes qualités de son film, là où j'avoue que je craignais quelque chose d'un peu didactique et lourd. Son intrigue reste très solide, avance intelligemment, laissant aux personnages le temps d'exister, évitant les facilités du manichéisme. Les dialogues ont beau être très écrits, les acteurs ont une telle fraîcheur de jeu qu'ils parviennent à faire sonner très agréablement ces phrases si joliment tournées et finalement justifiées. Car c'est exprimé sans complaisance. Ici, rien de superflu.

Délicat également dans sa mise en scène, le réalisateur sait aussi prendre le temps de capturer un rayon de lumière sur la campagne de Sétif, de saisir ces moments de retrouvailles entre amis, les espoirs de la jeunesse comme les désillusions politiques des militants. On notera également une très belle utilisation de la musique, parfois volontairement anachronique (Souad Massi), qui renforce le côté nostalgique et envoûtant de l'atmosphère générale, permettant ainsi au film de s'imprègner en nous un bon moment après que les lumières de la salle se soient rallumées.




Mon père est ingénieur, Robert Guédiguian, 2004
Encore une belle réussite de la part de Guédiguian après son très émouvant Marie-Jo et ses deux amours (2002) qui m'avait beaucoup séduit. On retrouve ici ses complices Darroussin et Ascaride dans le récit subtil et riche d'une histoire d'amour perdu, de déceptions politiques, d'utopie et d'humanité, toujours à Marseille.

Les dialogues, les interprètes, la mise en scène — avec quelques très beaux plans, et un travail sur la photographie particulièrement soigné — de même que les thèmes abordés, bref tout les ingrédients qui composent le film touchent parce que toujours justes, inspirés, sachant même faire preuve d'audace à l'occasion. Ainsi, la construction éclatée et l'ouverture à une certaine relecture des évangiles apportent une touche d'originalité qui rend au final ce long-métrage aussi étonnant qu'estimable.